Le-Pré-Saint-Gervais : une promenade inattendue, accolée à Paris

Vous cherchez à vous évader de Paris sans franchir la barrière fatidique des 10 kilomètres ? Le-Pré-Saint-Gervais, qui est la plus petite commune de Seine-Saint-Denis accolée à Paris, permet en ces temps de restriction kilométrique de se dégourdir les jambes tout en découvrant des endroits inattendus. Une balade tranquille suit les traces du passé résidentiel et industriel de ce curieux petit arpent de 70 hectares. En partant du métro Hoche (ligne 5), on remonte la rue Hoche et la rue du Pré-Saint-Gervais. À l’intersection de la rue Franklin, bifurcation à droite pour découvrir quelques mètres plus loin un site unique dans toute l’Ile de France : l’usine-rue de la rue Carnot. C’est le seul exemple régional encore sur pied d’usine-rue insérée dans le tissu urbain (ci-dessus).

La construction de l’usine Rateau (turbo-ventilateurs puis turbo-compresseurs pour avions) débute en 1913. Elle est remaniée dans les années 1930 puis en 1950, quand elle est cédée aux quincailleries Guitel. Ces remaniements ont toujours été effectués dans un souci d’harmonisation des façades. L’usine s’étendait sur 10.000 mètres carrés et employait jusqu’à 1600 ouvriers. Elle a été abandonnées en 2001. Récemment restaurée et en partie reconstruite et modernisée mais dans un souci de conservation, elle abrite actuellement 137 logements ainsi que des bureaux et un espace de travail collaboratif. L’ensemble, homogène, est saisissant et constitue une belle surprise.

En revenant sur ses pas, on continue la montée par la rue Joineau jusqu’à croiser la rue Gabriel Péri. Là, au n°20 se trouve un autre témoignage du passé rutilant du Pré-Saint-Gervais, les Salaisons Busso. Adieu andouilles, boudins, terrines, et autres charcuteries ! Après 60 ans de bons et «boyaux» services, les salaisons, dédiées à la préparation de cochonaille, ont fermé leurs portes en 2012. Mais le bâtiment est toujours bien vivant et ses 7000 mètres carrés débordent de créativité. Le collectif Soukmachine, organisateur de projets culturels et «reconvertisseur» de friches industrielles, a eu l’heureuse idée de négocier le squat des Salaisons Busso en attendant la destruction du site ; permettant ainsi à 150 artisans et artistes de disposer de mètres carrés pas chers à côté de la capitale.

L’endroit se visite (1). On prend plaisir à déambuler dans cet immense espace atypique aux couloirs jonchés de coupes de bois, rouleaux de tissus, papiers et matières en tous genres, meubles et objets de récup parfois assemblés en compositions arty comme pour un décor de film. Les rues Salengro et Emile Zola, attenantes aux Salaisons, sont typiques avec leurs maisons pittoresques en pierre meulière et briquettes rouges.

La rue commerçante Joineau abrite le marché couvert, un endroit haut en couleurs aux produits de qualité. Son emplacement était autrefois occupé par la grande usine de cycles et voitures Gladiator, dont les premiers ateliers ont ouvert en 1891. En 1905, Gladiator s’étendait déjà sur 19 000 m2 et sa croissance était assurée grâce à son bureau d’études très performant qui produisait de nombreux prototypes. L’usine a été détruite à la fin des années 1950. Sa belle et imposante façade, dont il ne reste rien, a été remplacée par des immeubles d’une banalité triste.

En face du marché, coincé entre un kebab et une banque tout aussi banals, un porche d’immeuble ouvre de façon inattendue sur un paradis insoupçonnable, la Villa du Pré (photo de chute). Là, un entrelac de ruelles calmes bordées de grands arbres et parsemées de 200 villas aux jardins fleuris dessine un décor résolument champêtre. Au printemps avec les arbres en fleurs, c’est un émerveillement ! Nombre des maisons de la Villa-du-pré datent du XIXe siècle, mais pas toutes et l’îlot est d’autant plus attachant que la variété architecturale y est grande. S’y mêlent, entre autres et sans nuire au tableau, un cube moderne terre de Sienne à toit plat, qui semble échappé du Mexique et deux «Sam’suffit » typiques de Quend-plage. À la fin des années 1820, un certain M. Gide, qui n’était pas André, voulut se livrer à l’exploitation du gypse du sous-sol de son terrain. La mairie fut avisée de lui en refuser l’exploitation sans quoi, il n’aurait pas divisé son domaine en 200 lots. Il y fit construire, en 1830, des maisons avec jardinets en façade destinés à la bourgeoisie, séduite par la sérénité de cette enclave gervaisienne. Autant dire que la Villa attire aujourd’hui les bobos parisiens qui savent que le bonheur est dans le Pré !

La promenade au Pré-Saint-Gervais se termine un peu plus haut sur la rue Joineau où se trouve la mairie. Cette grande demeure bourgeoise, bâtie fin XVIIIe siècle par une famille anglaise fortunée, a été acquise par le conseil municipal en 1840. La place de la mairie, avec son bel hôtel de ville, son square, son café-terrasse, sa fontaine médiévale et ses animations les jours de fête distille le charme des petites villes provinciales.

S’il vous reste de l’énergie, vous pourrez prolonger cette balade par la visite de la cité-jardin du Pré-Saint-Gervais (entrée par le 35 avenue Jean Jaurès), un autre havre verdoyant de l’architecte Félix Dumail qui s’étend également sur Les Lilas et Pantin. Construite entre 1920 et 1930 au Pré, la cité-jardin, qui comprend 56 pavillons et des logements collectifs ainsi que des squares et équipements culturels et sportifs, répondait à une idéologie urbaine qui souhaitait intégrer de façon moins brutale les logements dans la ville. Votre résistance est à toute épreuve ?  Finissez par une flânerie le long du Canal de l’Ourcq. Depuis la mairie, il suffira de descendre la rue Joineau toujours tout droit jusqu’au canal. Arrivés là, bifurquez à gauche pour longer ses rives jusqu’au métro Stalingrad.

Lottie Brickert

 

Marché couvert, 76 rue Joineau, ouvert les mardis, jeudis et samedis de 7h à 13h30
(1) Anciennes salaisons Busso : Réserver la visite guidée sur : http://lepreavie.com/actualites/

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5 réponses à Le-Pré-Saint-Gervais : une promenade inattendue, accolée à Paris

  1. philippe person dit :

    Quelle belle idée que cette promenade !
    Je vais me servir de votre texte comme guide touristique. J’avoue que je n’ai jamais mis mes papiers au Pré Saint Gervais en quatre décennies parisiennes.
    Habitant le 17e arrondissement, je dois être dans la limite des dix kilomètres sacrés !
    Encore merci, Lottie.
    Je pense qu’avec trois ou quatre degrés de plus au thermomètre, un peu de soleil et le retour prochain des terrasses (on peut rêver), cela occupera un de mes futurs dimanches

  2. Yves Brocard dit :

    Bonjour et merci pour cette balade inattendue, dans l’espace et surtout le temps, où toutes les entreprises ont fait place à des logements, qui semblent bien aménagés puisqu’ils attirent les bobos. C’est malheureusement pour moi au-delà des 10 km autorisés. Et découvrir au passage Quend-plage, encore plus improbable, mais je connaissais Fort-Mahon Plage sa voisine, proche de Berck. Saint-Valéry-sur-Somme et Le Touquet-Paris-Plage, de part et d’autres de Quend-plage, sont des noms font plus rêver, mais ce sera pour des temps meilleurs.
    Bonne journée

  3. thierry dit :

    Bon, j’aurais presque envie de dire merci à M. Macron pour nous avoir permis de découvrir ce si-charmant coin de Paris… mais il ne faut tout de même pas exagérer !! Je me contenterai d’un vrai merci et bravo Lottie pour cette balade pertinente. Thierrry

  4. Marie-Hélène Fauveau dit :

    ah oui merci pour cette suggestion…
    je vais aussi imprimer le parcours
    mh

  5. Raymond dit :

    Les bobos gervaisiens des Sam’suffit ne vont pas comprendre la cause de cet afflux soudain de promeneurs venus arpenter leur pré-carré… Belle invitation à la découverte d’un petit espace préservé dans ce Pré tristement dégradé par des barres et des tours d’habit social hyper concentré.
    Merci Lottie de nous entraîner à ta suite sur des chemins encore propices à la rêverie.

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