L’hospitalité urbi et orbi

Quelle est la taille du lit? La pression du pommeau de douche est-elle assez forte? L’immeuble est-il sécurisé? Quelle est la vitesse du wifi? Le gel douche est-il sans sulfates? Recevoir des hôtes très exigeants sous la tutelle de la célèbre enseigne Airbnb, revient très souvent à se compliquer la vie. Mais pas pour rien. Car justement, lorsque Nafissa Tiago tente l’expérience dans son appartement de la Porte de la Chapelle, c’est afin de compléter des revenus aléatoires qu’elle obtient de ses travaux scénaristiques. Avec « Faites comme chez vous, Chroniques Airbnb », Nafissa Tiago nous fait partager son expérience d’hôtesse prise entre deux feux, ses clients d’une part et ses correspondants Airbnb de l’autre. Ces chroniques sont le roman moderne de l’évolution urbi et orbi d’usages fort anciens mais révolutionnés par des algorithmes implacables. C’est bien écrit, instructif et suffisamment drôle pour ne jamais s’ennuyer.

Une anecdote après l’autre, l’auteur nous fait partager ce qui revient au viol consenti de sa vie privée. Les voyageurs occupent sa chambre, utilisent sa salle de bains et sa cuisine tandis qu’elle couche sur le canapé clic-clac du salon. Au fil des séjours, elle finit par acquérir une sorte de science comportementale en fonction des nationalités de passage, elle-même ayant des origines à la fois algériennes et capverdiennes. Mal lui en prend de ne pas garder ses réflexions pour elle, car sur ces plateformes tout se sait, chacun note tout le monde, tandis que le vocabulaire est sous étroite surveillance. Un jour qu’elle s’étend imprudemment sur le sans-gêne d’un Indien, elle se prend une volée de bois vert d’une gardienne du temple pour le moins vigilante. Préfigurant la paranoïa racialiste que nous connaissons aujourd’hui, sa correspondante Airbnb lui annonce tout de go qu’elle bloque son compte en raison de son attitude honteuse (« shameful »). Avant de conclure que toutes les réservations à venir sont annulées, la décision étant sans appel. Et cela se termine par « Kind regards » soit à peu près le même genre bien souvent faux-cul de notre « cordialement » tricolore.

Un combat épistolaire s’engage alors. Nafissa Tiago se résout à mettre sa dignité sous cloche en tentant de faire amende honorable.  Il lui faut bien préserver ses revenus. Mais la suite s’envenime. La lointaine Candy souligne dans un autre courrier que la décision ne sera pas révisée et que le débat est clos, avec toujours les « kind regards » et « all the best » de circonstance. Un moment (fortement) tentée par un bien moins hypocrite, « Dear Candy, fuck you », Nafissa se ravise et en lieu et place finit par lui dire « God bless you ». Et le miracle se produit. C’était la formule magique à prononcer, l’impitoyable Candy réactive le compte.

Bon livre vraiment qui nous plonge dans cette  bienveillance contemporaine, cette chaleur bidon qui corrompt finalement tout. Un ouvrage expliquant d’emblée comment, à partir d’un bête hébergement du côté de San-Francisco voici quelques années, de jeunes associés ont eu l’idée d’industrialiser l’hospitalité. Un succès exponentiel s’en est ensuivi. L’entreprise a accusé le choc avec l’épidémie de Covid mais aux dernières nouvelles, elle vaut toujours quelque cent milliards de dollars en Bourse. Surtout nous lecteurs, sommes amenés via le regard de l’auteur, à côtoyer ces nouveaux voyageurs devenus de plus en plus exigeants car parfaitement conscients, grâce à la notation, de leur pouvoir de vie ou de mort sur leur hôte.

Après avoir bourlingué dans l’humanitaire avec une fraîche maîtrise de lettres en poche, Nafissa Tiago a donc découvert sa nouvelle vie de réceptionniste au sourire convenu, parfois pour le meilleur, assez souvent pour le pire. Comme à ses débuts d’hôtesse, lorsqu’elle ne savait pas encore comment filtrer les réservations. Ce qui fait qu’elle subit par exemple la visite d’un punk-à-chien camé jusqu’aux yeux. Lequel lui souille, entre autres choses, sa baignoire. Lorsqu’elle appelle la plateforme au-secours, l’automate qui répond lui demande de motiver sa demande. À sa réponse « urgence clochard », il lui est bien entendu rétorqué de reformuler. Son exaspération nous contamine mais son humour toujours présent, nous calme à temps. De la même façon quand un résident exhibitionniste trouve chez elle l’occasion de se livrer à son besoin favori ou quand un Australien, sur un malentendu, lui postillonne l’écume de sa bière au visage. Son sens salvateur de la dérision et de l’autodérision, fléchira néanmoins le jour où toutes ses affaires disparaîtront, escamotées par un touriste indélicat.

Cette somme de chroniques constitue un récit éclairant des changements sociétaux induits par les grandes firmes de l’Internet. Par exemple vers la fin quand l’auteur nous raconte sa rencontre avec une jeune fille qu’elle héberge et qui gagne tout simplement sa vie comme « camgirl », métier consistant à se déshabiller et faire des choses indécentes devant une caméra depuis chez soi, pour le compte de milliers de voyeurs.

Ce livre ne nous dit pas où tout cela nous mène. Mais nous rappelle pourquoi il vaut mieux entretenir son sens de l’humour en toutes circonstances.

 

PHB

« Faites comme chez vous, Chroniques Airbnb », Nafissa Tiago, éditions Le nouvel Attila, 320 pages, 17 euros. Sortie le 7 mai

 

 

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Une réponse à L’hospitalité urbi et orbi

  1. Françoise Objois dit :

    Excellent cette approche de la vie d’aujourd’hui… ! Merci de nous signaler ce livre que tous les utilisateurs d’airbnb auront à coeur de lire. Cela dit aussi quelque chose de la précarisation du travail qui oblige à trouver des solutions que personne n’auraient accepté en France avant que l’ubérisation n’ai déferlé sur le monde du travail….

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