Les deux batailles de Waterloo

La première commence le 15 juin 1815. Napoléon et son armée entrent en Belgique, pour affronter une coalition anglo-hollando-prussienne. Du temps ou il était le général Bonaparte, il a peaufiné une stratégie personnelle, testée en grandeur réelle pendant la campagne d’Italie. Celle-ci repose sur une remarquable perception des cartes, alliée à une bonne reconnaissance des champs de bataille. Excellent DRH, il devine la combativité de ses troupes qu’il excelle à galvaniser. Il est maître en l’art des pseudo-retraites, des fausses pistes et des effets de surprise. Il n’hésite pas à utiliser les différentes armes à contre emploi, notamment la cavalerie et l’artillerie. Mais son atout principal réside dans sa rapidité d’intervention, lui permettant de battre successivement les différents ennemis en marche, avant qu’ils aient pu réaliser leur jonction, et se concentrer en un bloc compact.
Le 15 juin, alors qu’on le pensait sur la défensive, il attaque. Le 16, il a envoyé son aile droite, commandée par Grouchy, écraser les Prussiens de Blücher. Mais ceux-ci parviennent à se retirer en bon ordre à Ligny, poursuivis par 30 000 Français. Reste à s’occuper des Anglais. Depuis près de vingt ans qu’ils s’affrontent, ceux-ci ont eu le temps de comprendre les astuces de l’Empereur, à vrai dire assez répétitif (J.Keegan, L’art du commandement, chap. Wellington à Waterloo Perrin 2013). Par conséquent, Arthur de Wellington va installer un bloc de résistance sur le mont Saint Jean, fortifiant le triangle château d’Hougoumont-fermes de la Haie sainte et de Papelotte. Il connait bien cette position stratégique ou Blücher est convenu de le rejoindre. L’aile gauche de l’armée impériale, commandée par Ney, va, sans succès, tenter de le déloger.

Le 17, Napoléon arrive sur place en début de soirée . Il a chevauché 15 heures au milieu de ses soldats. Ceux-ci ont subi une marche forcée le ventre vide, l’intendance n’ayant pas suivi. Il a plu toute la journée. Il pleuvra une partie de la nuit, puis toute la matinée du lendemain. La troupe tentera de dormir dans la boue. Au moment des assauts, la plaine de Waterloo forme un espace réduit, la terre gorgée d’eau rend malaisés les mouvements des lourds canons et les charges de cavaliers. Les lignes anglaises font face. Chose imprévue, les Prussiens, par un mouvement tournant, ayant échappé à leurs poursuivants, viennent prendre les Français à revers. Les Anglais vont pouvoir passer à l’offensive et tailler ces derniers en pièces. Pendant tout ce temps, l’Empereur est resté étrangement absent. Il va demeurer au moins quatre heures dans son quartier général de la ferme du Caillou, déléguant à Ney des décisions relevant du commandant en chef. Avec toutes les imprécisions que cela est susceptible de générer.

On le verra, piétinant sans cesse d’une démarche inhabituelle, et jamais en selle, contrairement à son habitude. En début de nuit, comprenant l’affaire pliée, il prend la route de Paris, en léger équipage, probablement pas à cheval. Il n’était plus en état de le faire. Des témoignages postérieurs expliqueront tout ceci : le prince Jérôme rapporte des troubles urinaires fort invalidants (probablement une urétrite, souvenir d’une gonococcie ancienne)… le maréchal Bertrand et le général Gourgaud évoquent une crise hémorroïdaire aigüe, deux affections impropres aux cavalcades guerrières. À petites causes, grands effets. Et Hugo Victor aura, dans l’Expiation, le mot de la fin : «en un clin d’œil/Comme s’envole au vent une paille enflammée/S’évanouit ce bruit qui fut la Grande Armée.»

La seconde bataille de Waterloo va se dérouler en 2015. La nouvelle paraissait une carabistouille. La République Française mobilisait sa masse de manœuvre diplomatique contre le Royaume de Belgique. En prévision des hostilités, elle s’assurait discrètement le soutien des principales capitales de l’Union. Le motif ? La Monnaie Royale préparait la frappe d’une pièce commémorant le bicentenaire de Waterloo.

Un État membre désirant marquer un événement peut émettre une pièce illustrée d’une gravure spécifique. Sous quelques conditions : le volume mis en circulation doit rester modeste, constitué uniquement du modèle 2 euros, après avis favorable de l’ECOnomie and FINancial affairs council (ECOFIN). Le catalogue des faits ainsi distingués n’est normalement pas limité. Il comprend aussi bien la naissance de Primoz Trubar, réformateur protestant slovène, la mémoire de Simone Veil, que le mariage du prince Albert II de Monaco avec Charlène Wittstock.

L’esquisse préparée s’ornait, côté face, de la butte élevée au milieu du champ de bataille par les Pays-Bas, en 1826. Au sommet, un énorme lion de bronze, patte droite posée sur un boulet, mufle menaçant tournée vers la France, le pays vaincu ce jour là . Il est incontestable que le 18 juin 1815, Napoléon quitta précipitamment cet endroit après une raclée mémorable. Il se faisait, au passage, piquer son cheval Marengo par les Anglais, et son mobil home par les Prussiens, avec sa trousse de toilette, sa lingerie intime et ses décorations.

Mais prétextant «une réaction défavorable» dans l’Hexagone, l’évènement «ayant une résonance particulière dans la conscience collective, allant au-delà du simple conflit militaire», l’intraitable Président Hollande signifia son opposition. Il menaça de saisir l’autorité de régulation si la Belgique maintenait son projet sacrilège. En attendant, peut être, en représailles, d’obliger le Thalys venant de Bruxelles à changer son terminus gare du Nord pour la gare d’Austerlitz. «La circulation de pièces portant des symboles négatifs pour une fraction de la population européenne nous semble préjudiciable» a précisé le Quai d’Orsay. «Un peu surpris de toute cette agitation», le ministre belge des Finances, Johan van Overtveldt a préféré retirer le projet. Mais, ne voulant pas perdre la face, il a fait réaliser une pièce identique de 2,5 euros. Cette valeur nominale ne figurant pas dans l’échelle officielle des monnaies, il n’avait besoin de l’accord de personne et pouvait envoyer les Français sur les roses.

À Londres, on a ricané. L’honorable Peter Luff, député conservateur, a considéré la défaite du général Bonaparte comme «une avancée importante pour la liberté et la démocratie». «Il serait tout de même incroyable», compléta son collègue Peter Bone «que ce remarquable anniversaire ne soit pas convenablement fêté, à cause de la susceptibilité française». La Bank of England a produit, pour l’occasion, une belle pièce de 5 livres à la gloire de Wellington. En 2015, quoiqu’ État membre, le Royaume uni n’appartenait pas à la zone euro. Le Conseil des affaires économiques et financières (composé des ministres de l’économie et des finances, de la commission européenne et de la Banque centrale) , il n’en avait par conséquent rien à cirer.

 

Jean-Paul Demarez

Illustration de tête: détail de la bataille de Waterloo par  Clément-Auguste Andrieux (1829–1880). Seconde image: capture d’écran
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5 réponses à Les deux batailles de Waterloo

  1. Laurent Vivat dit :

    Article très intéressant. La France a-t-elle frappé des médailles pour commémorer des victoires napoléoniennes ?

    • DEMAREZ jean paul dit :

      Oui, la bataille d’Austerlitz, en 2005

      • Jérôme Janczukiewicz dit :

        Oui, mais ces pièces en or ou en argent n’ont pas un cours légal dans l’Union Européenne, ce sont des monnaies de collection qui ne circulent pas de façon courante. La 2 euros Waterloo devait être une pièce commémorative mais d’usage courant, d’où la pièce de 2,5 euros (les Français avaient frappé une pièce en argent de 1,5 € Austerlitz en 2005).

      • Laurent Vivat dit :

        Merci !

  2. anne chantal dit :

    Bravo, si vous aviez été mon prof d’histoire – vous les racontez si bien – je crois que j’aurais pu être passionnée !
    En attendant une suite ..
    Cordialement,
    anne chantal

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