Une élégance perdue

À un bout du bassin de la Villette à Paris, ce petit pavillon encore habité dans les années quatre-vingt-dix est désormais invisible. Les derniers tags qui le recouvrent, comme on peut le voir en bas à gauche, sont datés de l’année. L’ensemble côtoie un urinoir-ogive, chef-d’œuvre impressionnant du gothique contemporain. Les vespasiennes avaient un style, notamment appliqué par Gabriel Davioud du temps de Napoléon III. On peut discuter de son époque, au moins avait-elle une cohérence. Cet urinoir pour trois n’est pas pour autant représentatif d’un mauvais goût ambiant, mais davantage d’une absence de goût, laquelle hélas se métastase de façon exponentielle. Le Paris que chantait Apollinaire dans « Vendémiaire » n’est plus. Du moins dans les lieux sous le contrôle de la municipalité. Aucun arrondissement n’échappe désormais à cette esthétique du camping, cette religion potagère, cette poésie du déchet, ce culte du graffiti, cette politique d’éradication du style passé, lesquelles essaiment implacablement sur les voies et carrefours.

Si l’actuelle majorité avait réussi à rassembler en juin 2020, une large et indiscutable partie des Parisiens, on ne pourrait que s’incliner (et se retirer). Mais l’épidémie de Covid a été catastrophique sur la participation. Paris compte 1,3 million d’électeurs inscrits. La majorité en place n’en a mobilisé que 162.000 au premier tour et 224.000 au second. Nul besoin d’être un grand mathématicien pour en arriver à la conclusion que la maire et sa pléthorique équipe d’adjoints gouvernent en conséquence contre 83% des Parisiens de gauche et de droite. Chiffre qui devrait les inciter à davantage de modestie mais non. En ce printemps 2021, la maire de Paris indiquait sur une grande chaîne publique avec son aplomb -bienveillant- habituel: « La capitale est plus belle depuis que je suis aux responsabilités ». Ce qui est faux. D’élégante, la cité est rapidement devenue dissonante, dystopique.

Dire qu’elle est plus belle est une insulte à nos ancêtres, de la Renaissance à Haussmann, il n’y a qu’à regarder ce qu’il est advenu de la place du Panthéon dont la seule bonne idée a été d’évacuer les voitures. La nouvelle décoration qui entoure le bâtiment oscille entre l’exposition pour meubles de jardins et dépôt d’éléments de chantier. La rénovation de la place avait été confiée à une organisation nommée Collectif Etc. Donnons leur la parole, c’est le mieux: « Nous avons réalisé une analyse sensible de la place : une approche multidimensionnelle basée sur le ressenti de l’espace. Les perceptions du bruit, de l’ensoleillement, les usages formels et informels sont croisés avec des données urbaines plus classiques. Ces observations et retours, couplés à la dimension historique et spatiale de la place, nous ont amené à penser un aménagement sobre, abstrait et inclusif. » Toute l’explication du ratage se trouve dans ce galimatias fumeux.

On peut également citer ce cœur inerte juché en haut d’un mât à la Porte de Clignancourt (1). Il était censé figurer par son éclat giratoire, au cœur d’un quartier modeste, la capitale de l’amour. Il n’est plus qu’une vessie mate dont le coût (650.000 euros) a de quoi laisser rêveurs les migrants en transit qui passent à proximité. Parlons du lion de la gare du Nord, « Angel bear », dont l’esthétique défie l’entendement. Évoquons l’architecture tout en tuyaux des nouvelles fontaines des Champs Élysées dont le look n’est pas sans faire penser à des trayeuses industrielles, tandis qu’à quelques pas, le bouquet de tulipes du distingué Jeff Koons à l’arrière du Petit Palais semble signaler la proximité d’une braderie de pacotilles. On s’arrêtera là pour ne pas lasser le lecteur. Rien que le Champ de Mars en perdition vaudrait en effet un « j’accuse » dans l’Aurore. Il faudrait un disque dur de grande capacité ou aller sur le « cloud » pour y stocker tous les méfaits en cours.

Les Vandales avaient saccagé la ville de Rome en 455. Sur le réseau Twitter ces derniers temps, de très nombreux internautes ont repris le verbe à travers un hashtag fameux (#saccageparis) avec, à l’appui, de très nombreuses photos du délabrement en cours. L’affaire a même suscité des articles dans la presse internationale. Prise de court, la bourgmestre a évoqué sur une antenne nationale une manipulation d’extrême droite, assertion-panique vite démentie et par les Parisiens et par une enquête de la chaîne  TF1. Cependant, les Parisiens découvrent un peu tard les dégâts. Lorsqu’au début de son premier mandat la maire avait confisqué aux usagers une large partie du jardin des Serres d’Auteuil pour y couler un stade de tennis en béton de 5.000 places, ils auraient dû décrocher l’olifant sans attendre. Forte de sa -pourtant maigre- réélection, pieds et poings liés par ses alliés écologistes dont chaque déclaration montre bien à quel point ils veulent non seulement réformer la capitale mais aussi le comportement de ses habitants, Mme Hidalgo qui se revendique sans rire d’un « alter-monde » (Libération, 8 octobre 2017),  s’inscrit désormais dans une fuite en avant qui ne fait pas envie.

Scotchées un peu partout avec un bel adhésif marron, de petites affichent promettent: « Avec vous nous allons embellir votre quartier! » Mais hormis quelques cas exceptionnels, au pied des arbres notamment, c’est la Bérézina. De vagues planches ou tronçons de bois y font quadrilatère, ceinturant une sorte de mini-terrain vague le plus souvent jonché de mégots et de déchets variés. Toute la communication municipale laisse à faire croire qu’il existe un enthousiasme massif vers un monde nouveau, issu de pseudo concertations dont les conclusions vont étrangement toutes dans le sens souhaité. Pas seulement sur Twitter, il est bien difficile en ce moment de trouver un passant réjoui par ce qu’il voit, mètre après mètre, dès qu’il sort de chez lui. Du moins quand la circulation anarchique des engins de circulation douce lui en laisse le loisir.

 

« Que Paris était beau à la fin de septembre » écrivait donc Apollinaire dans Vendémiaire. Il faisait bien d’utiliser l’imparfait. Ce temps-là reviendra peut-être, car le futur simple est le mode idéal des lendemains qui chantent.

PHB

(1) À propos du cœur de la Porte de Clignancourt
Photos: ©PHB
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9 réponses à Une élégance perdue

  1. Oui….le fameux cœur d’art contemporain à ….650.0000 euros d’argent public !
    C’est quand même plus juteux que de voler un camembert !

  2. philippe person dit :

    Cher Philippe,
    il fallait vous présenter…
    Je ne veux pas donner des arguments à votre démolissage en règle de notre pov’Mairesse mais on peut dire que ceux qui ont voté pour elle, sont en grande partie des gens qui travaillent directement ou indirectement pour elle…
    Elle, elle travaille, comme tous ces adversaires s’ils avaient gagné, pour quelques fondations derrière lesquelles il y a nos très chers milliardaires…
    Il y a les serres, que notre très chère Lise a eu bien raison de défendre, mais il y a aussi le dépeçage du jardin d’acclimatation et beaucoup de petits arrangements entre amis.
    Je crains qu’à l’usage, entre les frais de bouche de qui vous savez aux dérives de tant d’autres barons harceleurs, l’idée d’un maire à Paris était une fausse bonne idée.
    Ce qui nuit à Paris, c’est en fait la chute de la maison Macron. Comme les petits amis d’Emmanuel n’ont pas réussi leur percée, ils se sont vengés au gouvernement. Car on le sait bien, quand on est parisien on bénéficie surtout des largesses de l’État… Culture, rénovation, circulation, sport, si l’État ne met pas la main à la poche, Paris n’a pas les moyens de « sa grandeur ». On le voit avec la fermeture de Beaubourg qui est déjà scandaleuse puisqu’elle va durer des années… par manque de moyens.
    Vous verrez, si le prochain Président (le même sans doute) a eu besoin de M’ame Hidalgo pour gagner au finish contre M’ame Le Pen, elle retrouvera crédit dans les ministères et le pognon reviendra pour tous les petits et gros travaux urbains…

  3. Yves Brocard dit :

    Merci pour cet état des tristes lieux. J’y découvre des méfaits que je ne connaissais pas, peut-être sauvegardé (pas les lieux mais mon regard) par le confinement, Paris étant à plus de dix kilomètres de mon logis. Je redoute ce que je vais trouver dès que j’y retournerai voir des pièces de théâtre, écouter des concerts, découvrir des expositions, flâner dans les rues. Ne me dites pas que tout cela aussi a été enlaidi par madame la bourgmestre et son équipe !
    Au risque de m’attirer à nouveau les foudres de Philippe Person (mais j’assume mes opinions), on a envie de crier « Au secours, Chirac revient, ils ont bousillé Paris ! ». Et j’ose avancer que finalement les gens de droite gèrent mieux le patrimoine et le plaisir de vivre que ceux de gauche. Macron étant entre les deux, qu’en conclure ?
    Bonne journée.

    • philippe person dit :

      Cher Yves, vous avez la mémoire courte…
      Lisez Eric Hazan, un très bon promeneur de Paris, certes beaucoup plus à gauche que vous, et vous reviendra l’immense liste des choses détruites par les affairistes de l’époque de la termite de la rue Lobau
      C’est inquiétant intellectuellement, ce « c’était mieux avant » qui cache surtout le temps passé et une mémoire sélective.
      Si vous voulez voir ce que le capitalisme sous toutes ces formes a fait à Paris, lisez ce livre à la fois merveilleux et effrayant, « Les Destructions de Paris » du grand Louis Réau…
      Et puis surtout, ne négligez pas ce que je vous disais : c’était l’État qui paie à Paris et c’est souvent l’État qui prend les mauvaises décisions, qu’il soit de droite ou de gauche, puisqu’il est universellement dans les mains des maçonneurs (je n’ose écrie des bâtisseurs).
      Quand je vois la proximité de votre « droite » avec ces gens-là et avec les pollueurs de tous poils, je pense que l’on dira plus tard -quand ils auront peut-être repris Paris – et vous le premier sans doute, que M’ame Hidalgo c’était quand mieux !

  4. Gérard Capelle dit :

    Merci pour ses considérations politique au niveau des pissotières.

  5. Joël Gayraud dit :

    « La forme d’une ville change plus vite, hélas! que le cœur d’un mortel », déplorait Baudelaire devant le massacre urbanistique perpétré par le baron Haussmann. Un second massacre de Paris, plus vaste et plus profond car visant au cœur, a eu lieu un siècle plus tard, certains s’en souviennent, avec la destruction des Halles. C’est Louis Chevalier qui l’a brillamment dénoncé et imputé à son ancien condisciple Pompidou dans son bel ouvrage «L’assassinat de Paris» (Editions Ivrea). À présent, les actuels édiles ont décidé de donner le coup de grâce. Après l’attentat porté aux serres d’Auteuil, une de leurs infamies très écoresponsables a été la minéralisation de la place de la République. On oublie qu’il y avait naguère des jardins, là où l’on a scellé d’affreuses dalles rectangulaires bien glissantes de granit de Chine; et au milieu de ces jardins jaillissaient des fontaines alimentées par des dauphins en bronze qu’on retrouve, paraît-il, dans les jardins des Champs-Elysées. Le bronze, c’était trop beau pour les plébéiens de l’Est de Paris, sans doute…

  6. Jacques Ibanès dit :

    Bon, après tous ces commentaires fort intéressants, je m’en vas visionner une nouvelle fois « Les Gaspards » du regretté Pierre Tchernia!

  7. Laurent Vivat dit :

    Cela donne envie d’aller s’installer en Province, où la vie est plus douce, vous ne trouvez pas ?

  8. Gilles Bridier dit :

    Non seulement on pourrait multiplier les exemples de cette esthétique de camping ou de cette poésie du déchet qui sont pointés dans cette tribune, mais force est aussi de constater que les multiples chantiers qui ont été ouverts dans la capitale ne semblent jamais devoir se refermer. Certes, une maire n’est pas un maître d’oeuvre, mais ne pourrait-elle s’entourer d’une équipe dotée des compétences spécifiques idoines plutôt que de confier ces lourds dossiers à des membres dont la principale qualité consiste probablement à faire partie de son cercle rapproché? Une politique de la ville qui privilégie les délires de certains au détriment du confort du plus grand nombre, signe le délitement de l’environnement urbain pour les citoyens. La démocratie a tout à y perdre.

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