Un faux certifié c’est en soi quelque chose d’authentique. Pourtant, dans sa toute dernière et tant attendue livraison, la Revue d’études apollinariennes, a publié un certificat de « non-authenticité » relatif à une dédicace (assortie d’un dessin) de Guillaume Apollinaire. L’expert cité, Thierry Bodin, précise en outre qu’elle est le fait « d’un même faussaire » dont les tricheries ont déjà circulé sur les marchés d’amateurs. Dès qu’il est question d’argent, le doute est toujours sous-jacent. Au point que la même revue faisant état de la vente en 2018 d’une carte postale adressée par Picasso à Apollinaire cent ans auparavant et arrachée 166.000 euros aux enchères, formule ce commentaire: « Espérons que cette carte n’est pas l’œuvre du faussaire de génie, cauchemar des experts, qui s’attache tout particulièrement à Apollinaire ». La missive a cependant été expertisée et ce qui compte on en conviendra, c’est le certificat qui vient parfaire le parfum du vrai.
Il n’empêche que la double règle, méfiance-méfiance, est toujours de mise à l’achat. Rien qu’au mois d’avril de cette année, a resurgi l’affaire du « Salvator Mundi », peinture attribuée à Leonard de Vinci. Elle avait été acquise pour un peu plus de mille dollars par un marchand d’art américain en 2005 et puis, d’étape en étape, de restauration en exposition, elle a finalement été acquise aux enchères pour 450 millions de dollars par l’Arabie Saoudite. Laquelle a demandé au Louvre de l’authentifier, ce qui fut fait. On imagine le soulagement de l’acquéreur, et aussi celui des experts, au vu des méthodes radicales parfois employées par ce pays à l’encontre de ceux qui gênent ses intérêts.
Les faux sont légion. Les faux-faux existent aussi, car il arrive que certaines expertises en contrefaçon finissent par être contredites. Il a ainsi été fait mention dans les Soirées de Paris de la présence d’une nativité attribuée à Georges de la Tour sur les cimaises du musée d’Oran en Algérie. Sollicité par nos soins à partir de la transmission d’une photo prise sur place, un expert du peintre lorrain nous avait déclaré qu’il était peu probable que l’œuvre soit authentique. Pourtant, un conservateur de l’époque coloniale, l’avait bien attribuée à de La Tour. Il est bien étonnant que personne ne se soit, depuis, penché sur la question. Mais là encore, le fait que la toile ne soit pas à vendre, n’est pas faite pour convoquer les spécialistes.
Démêler le vrai du faux et rétablir la vérité, est une entreprise louable, qu’elle vienne du monde la presse, de l’université ou encore de la justice. Et justement la Revue d’études apollinariennes, fait dans son numéro 22, œuvre utile à propos de Guillaume Apollinaire. Sous la plume de Christa Dohmann, un article enfonce définitivement le clou, sur « Les exploits d’un jeune Don Juan ». En librairie, l’auteur de ce récit pornographique est toujours présenté comme étant Guillaume Apollinaire. Ce qui est faux. Il s’agit bien, en réalité, d’une traduction libre d’un roman allemand par ailleurs mal rédigé: « Gestandnisse eines knaben » (1). Apollinaire a bien réécrit et même arrangé l’histoire d’un jeune garçon lutinant toute une maisonnée, mais le pompage du sujet si l’on peut dire, est intégral. D’ailleurs, sur l’édition de 1911, l’illustre poète n’avait qu’apposé ses initiales. Et il semble évident qu’un tel travail de sa part n’avait d’autre souci -en dépit de son attirance indéniable pour l’érotisme- que d’arrondir ses fins de mois. Selon Christa Dohmann, la seule phrase véritable du traducteur, assez banale, ne se trouve qu’à la toute fin du texte. Guillaume Apollinaire avait écrit: « J’espère en avoir bien d’autres et, ce faisant, j’accomplis un devoir patriotique, celui d’augmenter la population de mon pays. » Préoccupation au passage que l’on retrouvera dans son œuvre surréaliste, « Les mamelles de Tirésias », jouée pour la première fois au théâtre Maubert en juin 1917.
En attendant, si ce mince ouvrage de 128 pages (chez Folio) continue de se vendre, c’est que le label Apollinaire y est pour quelque chose. La couverture est donc apocryphe sans que cela ne dérange les consciences, ces dernières étant il est vrai, polluées par des enfumages bien plus importants.
PHB
(1) Voir la couverture sur le site de la BnF de l’équivalent allemand des « Exploits »
« Apollinaire 22, Revue d’études apollinariennes », éditions Calliopées, 35 euros
Dans un précédent article dans la revue Que Vlo-Ve? Série 4 No 12 octobre-décembre 2000 p.110-121 : Les Exploits d’un jeune Don Juan – Un vieux problème est résolu, Helmut Werner avait déjà abordé cette mystification. Le livre allemand Geständnisse eines Knaben était surtitré : Kinder-Geilheit qui se traduit en « Lascivité juvénile », tout un programme. On peut le trouver en libre accès sur Gallica.
La moindre des choses serait que l’éditeur de Les exploits d’un jeune Don Juan mette un « appareil critique » en préambule pour avertir le lecteur de la provenance du texte, qui n’ôte rien au talent de conteur d’Apollinaire. Et pour ceux qui ne lisent pas l’allemand couramment (dont je fais partie), il serait peut-être aussi intéressant d’avoir, à la suite du texte d’Apollinaire, la traduction (littérale !) du texte original, dont l’auteur ne semble pas connu. Finalement Apollinaire, en « signant » (à l’origine seulement par ses initiales) sa « traduction », a rempli un vide.
Bonne journée