Parcours rimbaldien en semelles de vent

Certaines rencontres transfigurent la vie de personnes au départ vouées à un parfait anonymat. Quand Auguste Renoir choisit de s’établir à Essoyes en Champagne-Ardenne, la jeune femme qu’il choisira pour poser devant son chevalet connaîtra une tout autre destinée que la vie paysanne. Il en ira de même pour Ernest Delahaye, simple écolier à Charleville lorsqu’il fera la connaissance en 1867 des frères Rimbaud, Frédéric et Arthur. Dans un livre qui vient de sortir, intitulé « La constellation Rimbaud », Jean Rouaud raconte que « fasciné » par Arthur, Ernest passera une bonne partie de ses jours « le nez en l’air à guetter » le passage du génie. Son parcours aurait dû être ordinaire, mais grâce à cette conjonction miraculeuse, il fera la connaissance du Paris artistique comprenant des noms célèbres comme Verlaine ou Mallarmé. Dans son livre, Jean Rouaud s’est attaché à portraiturer l’auteur des « Illuminations » en listant les noms-clés et cartographiant les lieux importants.

Enfin, se dit-on dès les premières pages voilà une occasion de nous arracher de belle manière à la pesanteur pénible de l’actualité. Au début il vrai, Jean Rouaud chausse d’emblée des « semelles de vent » au service d’une cause qu’il chérit visiblement. Tout cela parce qu’il reprend le poète René Char s’écriant  « Tu as bien fait de partir Arthur Rimbaud ». À partir de cette invective, l’auteur peut lancer ses grands chevaux avec un panache de bon augure: « En dépit », écrit-il de la considération qu’il sied pour Char, il enchaîne sur un « mais de quoi je me mêle » de la part de quelqu’un n’ayant « quasiment jamais quitté l’Isle-sur-la-Sorgue alors que l’autre, encore gamin, avait déjà parcouru l’Europe à pied de l’Italie jusqu’à la Suède, échoué à Java après s’être engagé dans l’armée coloniale hollandaise pour toucher la prime, manqué de périr en mer en passant le Cap de Bonne-Espérance et d’insolation sur une route italienne, travaillé dans un cirque… » et ainsi de suite jusqu’en Abyssinie en passant par l’Égypte.

En fait ce livre commence tellement bien, Rouaud pressant le lecteur d’embarquer incontinent dans sa carriole lancée à bride abattue, que l’on peut sentir progressivement une petite déception: c’est l’effet Guide Vert qui veut ça. Jean Rouaud compense avec des phrases vives, longues et si riches qu’il faut parfois revenir aux premiers mots pour mieux comprendre la fin. Mais ce sont des détails. Avec un peu de concentration conjuguée à l’appétit de la matière rimbaldienne, le lecteur pourra non seulement s’en tirer mais éprouver de vraies satisfactions. La matière est copieuse, ceux qui ne savaient pas tout apprendront beaucoup et ceux qui croyaient tout savoir feront peut-être quelques découvertes.

De surcroît, Rouaud sait être assez drôle pour relancer la machine. Lorsqu’il aborde le chapitre des photos miraculeusement retrouvées et parfois douteuses du poète, il écrit « que tout fait l’affaire (du moment que le cliché n’est pas net ndlr), une vieille Bigoudène, un poilu de quatorze ou un ekta de Géronimo ». On s’offusque aussi de ce conseil donné à Arthur par Théodore de Banville (1823-1891), lequel avait conseillé au premier de commencer « Le bateau ivre » par « Je suis un bateau » au lieu de « Comme je descendais les fleuves impassibles ». Sortant de l’entrevue en compagnie de Verlaine, Rimbaud l’aurait alors traité de « vieux con ».

Pour l’ensemble, le livre est bien plaisant, avec des éclairages sur l’enfance, la fratrie, les liens tumultueux avec Verlaine. Ou encore sa liaison avec Mariam, « la femme abyssine qui vêtue à l’occidentale, sortait le soir avec lui, fumer dans les ruelles de Harar », parmi les mâcheurs de qat. On en apprend beaucoup sur le compte de celui qui aspirait à « être absolument moderne » et s’interrogeait en outre sur la nécessité en poésie de supprimer l’alexandrin, avant « d’exécuter lui-même la sentence » dans les « Illuminations ». On situe mieux à travers cet ouvrage, pourquoi le jeune homme aux yeux pervenche, avait décidé de quitter l’écriture pour les voyages. Abandonnant derrière lui, nombre de personnages sonnés par la rencontre et laissant pour la postérité, d’étincelants poèmes.

PHB

« La constellation Rimbaud », Jean Rouaud, Grasset, 18 euros

 

 

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