Ni avec elle ni sans elle

Consuelo ne savait pas s’il était mort. Et malgré une intuition de plus en plus prégnante depuis le silence brutal de son mari aviateur disparu en service commandé, elle a continué d’entretenir cet amour qui l’unissait à Antoine de Saint-Exupéry en sculptant notamment son visage et son buste. Un livre paru en 2005 aux éditions Les Arènes nous raconte que José Martinez, l’héritier de Consuelo qui préparait une exposition sur ses archives, avait fait enlever le cadre d’un portrait peint de l’écrivain et pilote. Et il a eu la surprise de découvrir qu’au verso était caché un portrait de Consuelo. Le même livre nous dit qu’Antoine conservait en permanence dans son portefeuille, une photo de leur mariage. En fait il conviendrait de lire cet ouvrage en guise de briefing avant de découvrir la correspondance entre les deux époux qui vient de paraître chez Gallimard.

Parce que malgré les nombreuses notes de bas de page, cet émouvant volume recensant de 1930 à 1944, une correspondance amoureuse bien peu banale, aurait nécessité une contextualisation davantage élaborée. Le côté positif est que, précisément, il donne envie d’en savoir plus sur cette union de 14 ans qui démarra en Argentine alors qu’il était chef d’escale pour le compte de l’Aéropostale (Aeroposta Argentina). Il y gagnait très bien sa vie et dépensait l’intégralité de ses émoluments auprès de grandes femmes blondes qu’il devait séduire sans trop d’efforts. Consuelo était une petite femme brune, salvadorienne de grande classe et de leur rencontre résulta donc ce qu’il est convenu d’appeler de nos jours, un changement de paradigme. Pas complètement cependant puisque si l’on suit bien les lignes et les espaces entre les lignes de  cet « amour de légende » paru aux éditions les Arènes, Antoine ne cessera jamais de flirter à droite à gauche sans jamais renoncer à sa passion exaspérée pour Consuelo. Elle devra supporter cet état de choses avec un stoïcisme contraint voire en se payant également quelques libertés en guise de compensation.

Il n’empêche. Bien que l’on ait voulu minimiser le rôle de l’épouse, ces deux-là formaient un couple transfusionnel. C’est à elle qu’il dut le titre de « Vol de nuit » (dont Guerlain fit un parfum) en lieu et place de la « Nuit lourde » qu’il préconisait. Le dessin de son « Petit Prince » a également emprunté à des esquisses de Consuelo laquelle était une artiste incidemment encouragée dans cette direction par rien moins que Picasso et d’autres artistes de cette époque. Certes leur vie conjugale était loin d’être linéaire. Lui était souvent absent sous caution de courrier aérien à distribuer ou de raid à mener en tant que pilote de guerre. En 1943 elle lui écrivit: « Mon mari, mon Tonnio, mon chéri, vous me manquez, sans vous je suis toute petite, toute seule dans les cinq étages de notre maison déserte (à New York ndlr). Le chien seul galope dans les escaliers avec son os en suppliant de jouer avec lui. » Et quelque temps plus tard, il lui répond du Maroc: « Consuelo merci du fond du cœur d’être ma femme. Si je suis blessé j’aurai qui me soignera. Si je suis tué j’aurai qui attendre dans l’éternité. Si je reviens j’aurai vers qui revenir. Consuelo toutes nos disputes, tous nos litiges sont morts. Je ne suis plus qu’un grand cantique de reconnaissance. »  Rien ne pouvait briser définitivement cet amour-là, pas même la mort.

Le fait est que cette fastueuse histoire devait, comme toutes les autres, mal se terminer. Et sans doute cherchait-il une fin qui ne se terminât point en maison de retraite, lui qui prévenait, « si je suis descendu, je ne regretterai absolument rien. La termitière future m’épouvante ».

Cette correspondance publiée chez Gallimard est enrichie par des illustrations. Il y a par exemple cet autoportrait-lettre de Consuelo où elle se présente demi-nue, lui écrivant sur sa poitrine, le 10 décembre 1940: « Je m’efface, comme la mémoire perdue. » L’autre n’est jamais là quand il faudrait et quand elle ne se plaint pas de son absence c’est lui qui dit la même chose. L’un était toujours à la reconquête de l’autre. Quant aux photos de Antoine de Saint-Exupéry  (sans trait d’union sur ses cartes de visite) elles font incroyablement penser à l’ex-PDG de Renault-Nissan, Carlos Ghosn. De même lorsque l’on regarde la statue d’Antoine, plantée derrière l’église Saint-François-Xavier dans le 7e arrondissement de Paris, la ressemblance est frappante. Deux hommes plutôt baraqués, polyglottes, aventuriers, aimant l’argent et vivant grand train, les deux personnalités concentrent nombre de points en commun. Avec de franches différences bien sûr, surtout lorsque l’on est à la fois l’auteur de « Vol de Nuit » ou du « Petit Prince ». Petit prince dont le visage par ailleurs, n’était pas si étranger à Consuelo comme en témoigne un dessin exécuté à New York par le glorieux pilote.

Antoine de Saint-Exupéry avait un grand appétit de liberté mais très épris de Consuelo, ces deux éléments étant loin d’être compatibles. La photo qui figure sur le bandeau de couverture de la « Correspondance » le montre pourtant, la tête au repos sur l’épaule de Consuelo à Agay, non loin de l’Estérel . C’est là-bas qu’ils se marièrent le 23 avril 1931 pour un vol au long cours qui connaîtrait de nombreuses turbulences. Et qui se poursuit peut-être, au-delà des nuées.

PHB

« Antoine de Saint-Exupéry, Consuelo de Saint-Exupéry, correspondance 1930-1944 » Gallimard, 25 euros (2021)

« Antoine et Consuelo de Saint-Exupéry, un amour de légende » Les Arênes (2005)

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4 réponses à Ni avec elle ni sans elle

  1. Yves Brocard dit :

    Bonjour Philippe,
    Ce qui est embêtant avec ce genre d’article, c’est qu’on a (j’ai) envie de se précipiter pour acheter tous les livres que vous citez, ce que je fais trop souvent. Mais avec un tel plaisir !
    Bonne journée

  2. Bonjour Philippe
    J’ai assisté il y a deux ans environ a une dédicace d’Alain VIRCONDELET sur un livre biographique de Saint-Exupery – que j’ai d’ailleurs dans ma bibliothèque mais pas encore lu, son temps viendra – et plus particulièrement sur les échanges de lettres entre les deux époux.
    Le connaissez-vous ?

    Louisa

  3. Lise Bloch-Morhange dit :

    Cher Philippe,

    comparer la visage de Saint-Ex à celui de Carlos Ghosn , voilà une bien drôle d’idéee à laquelle je ne souscris pas du tout!

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