Le Grand Palais à tout prix

Depuis 1939, le Maréchal Joffre ou du moins sa statue de bronze, ne voyait qu’une chose. Au bout d’une perspective de 800 mètres il pouvait en effet embrasser la totalité du Champ de Mars, admirer la Tour Eiffel et derrière encore, le Palais de Chaillot. Mais voilà, l’homme réputé vainqueur de la première guerre mondiale a été incarcéré dans le Grand Palais éphémère, construit à toute vitesse le temps que le vrai soit rénové à grands frais. Dans cette démarche diablement inclusive -c’est la mode-, Joffre se retrouve face à son altier reflet pour une durée d’au moins quatre ans, le temps que certaines épreuves des Jeux Olympiques de 2024 s’y déroulent. Selon un de ces communiqués abscons qui fleurissent désormais tous les jours, la structure vendue comme provisoire pour 40 millions d’euros, « est une construction flexible, agile » et surtout « bio-sourcée-circulaire ». Il fallait inventer ce combo-lexical, ça manquait à un tableau langagier déjà bien fourni en inepties. Il paraît que l’on discerne l’ensemble sur les photos prises par Thomas Pesquet depuis la station spatiale internationale, mais pour les détails, faut descendre. Chacun son piédestal.

La presse a été invitée il y a peu à découvrir l’intérieur, dans toute sa nudité. Du rez-de-chaussée à l’étage, nulle exposition ne s’y était encore installée. L’édifice qui comprend 44 arches assemblées en un temps record, s’étale sur un hectare de surface utile. Et il y a effectivement de quoi faire. Outre les expositions, la surface accueillera notamment « Le Saut Hermès » soit une épreuve hippique qui pourrait donner des idées d’évasion au cheval de Joffre, mais aussi des défilés de mode. En attendant ces parades, les effluves de bois fraîchement coupé, évoquent davantage par les narines, un de ces bâtiments que l’on trouve en montagne au pied des remontées mécaniques. Sauf que sur son versant nord, la belle vue sur la Tour Eiffel en cours de rafistolage, nous rappelle que nous sommes bien à Paris. Il est par ailleurs entendu que cette tente géante pourra presque doubler de superficie (jusqu’à 18.000 mètres carrés exactement) afin de complaire à l’appétit de la FIAC et de Paris Photo. Ce pauvre Champ de Mars n’en finira plus de souffrir de ces préemptions arbitraires qui limitent grandement l’accès au public, comme au pied de la Tour Eiffel avec sa ceinture de plexiglas et ses entrées filtrées façon aéroport.

Cette installation géante a quelques aspects réussis il faut en convenir, mais il est quand même possible de s’interroger sur la véritable finalité du projet visant surtout à offrir durant quelques semaines seulement, un lieu supplémentaire pour les JO. La note pour le moins conséquente viendra en effet s’ajouter à celle, pharaonique (au moins 400 millions d’euros), de la rénovation de la maison-mère sur les Champs-Élysées, conçue au départ pour l’exposition universelle de 1900. L’ensemble étant devenu branlant, de la base jusqu’au sommet, une intervention s’imposait. Sauf que jusqu’à présent, la remise en état d’un musée ne déclenchait pas l’édification d’un clone provisoire.

« L’espace règne », écrivait Élie Faure dans son premier volume de l’Histoire de l’art.  Avant de poursuivre si joliment : « C’est comme une onde aérienne qui glisse sur les surfaces, s’imprègne de leurs émanations visibles pour les définir et les modeler, et emporter partout ailleurs comme un parfum, comme un écho d’elles qu’elle disperse sur toute l’étendue environnante en poussière impondérable. » À se balader dans le périmètre de plus en plus restreint du Champ de Mars, cette phrase notamment citée par Jean-Paul Belmondo dans une baignoire en parlant de Vélasquez, (« Pierrot le fou »-1965) tout en grillant une tige, nous revient en mémoire. L’espace règne objectivement moins qu’avant tandis que la  captation de l’espace public est devenue une manie névrotique.

Les JO ne sont plus négociables. L’enjeu, politique, écrase tout. Dans le  Grand Palais remis à neuf, les badauds pourront assister aux compétitions d’escrime et de taekwondo. L’éphémère quant à lui, est prévu pour accueillir notamment les épreuves de judo, de lutte, de « rugby en fauteuil et de para-judo ». Bien loin dans la forme, du spectacle chorégraphique conçu par Boris Charmatz, « Happening Tempête », lequel inaugurera véritablement ce Grand Palais Éphémère dont il est temps de s’arrêter de parler. Quant au Maréchal Joffre, face à lui-même, il commence d’ores et déjà à mesurer les limites de sa patience.  PHB

Photos: ©PHB

 

Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Architecture. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

6 réponses à Le Grand Palais à tout prix

  1. Yves Brocard dit :

    Le Grand Palais éphémère est certes invasif, mais il faut saluer son geste architectural, audacieux, sobre, lumineux, et la rapidité avec laquelle il a été construit. En plus, visiblement, dans l’enveloppe budgétaire prévue : ça c’est une rareté à souligner.
    Sera-t-il démonté lorsque le vrai Grand Palais sera à nouveau opérationnel ? L’histoire montre que ce n’est pas toujours le cas, le badaud finit par s’habituer à sa vue, les usages qui en sont fait le rendent indispensable. La tour Eiffel, et bien d’autres bâtiments, qui font la gloire de Paris, en sont les témoins.
    Plus discutable est la suppression d’espaces verts que cela entraîne. Mais Hidalgo a prévu de planter des arbres sur le pont d’Iéna… ce qui est une totale aberration, une de plus.
    Bonne journée.

  2. Marie J dit :

    Oui, les expositions universelles ont laissé des traces durables parce qu’elles ont su trouver leur place dans notre paysage. Ce Grand Palais pourrait se pérenniser sans dommage : il est plutôt élégant et bien intégré à un endroit où, de mémoire, il n’y avait guère d’arbres. Et puis la très minérale Ecole militaire peut supporter cette concurrence boisée. En outre, s’agissant du Grand Palais et des JO, Anne Hidalgo ne peut pas porter tous les torts, ce sont des choix nationaux.

  3. Michèle Puyserver dit :

    Censé être une installation artistique éphémère, le « Mur de la Paix » était érigé sur le Champ de Mars, du côté de l’ecole Militaire, et les édiles se sont cassé les dents à le faire disparaître longtemps après que son existence arrivât à son terme.
    Cette structure provisoire (elle aussi!) qu’est ce Grand Palais éphémère a-t-elle réussi à faire disparaître le « Mur de la Paix »?

    • Il semblerait que le Mur de la paix soit destiné, aux dernières nouvelles, aux pelouses de l’avenue de Breteuil… PHB

      • Michèle Puyserver dit :

        Bonjour,
        Je comprends mieux pourquoi les riverains de cette avenue font circuler une pétition CONTRE l’érection de ce mur au milieu de la pelouse, côté carrefour Sèvres-Lecourbe.

        Comme le disait le poète Robert Frost, en 1914
        « something there is that doesn’t love a wall.. »
        dans son recueil North of Boston

        Il faut se méfier de ces artistes qui vous font des cadeaux bien embarrassants ( Jeff Koons et son bouquet disproportionné qui écrase le Petit Palais )

  4. Lise Bloch-Morhange dit :

    Encore une catastrophe écologique dans ce Paris détenant le record de densité urbaine des capitales européennes et le plus petit ratio vert par habitant… Et ces JO dont la France a hérité parce qu’ aucune autre ville au monde n’en voulait seront une tragédie écologique et financière. Et oui, méfions-nous de l’éphémère superflu dont on ne peut plus se débarrasser…

Les commentaires sont fermés.