Les bons conseils de Maître Jacques

Il vécut au temps de la Révolution (1771-1842) mais ne professait pas pour autant des idées révolutionnaires. S’il laisse une trace dans l’histoire, c’est plus pour ses écrits en faveur du bien-être de ses contemporains agriculteurs pour lesquels il vouait une authentique passion. Né dans un village des Deux-Sèvres un premier janvier, Jacques Bujault, fils et petit-fils d’avocat, fut abord imprimeur puis avocat lui-même et, à ce titre, s’intéressa au sort des populations rurales, souffrant «de les voir ignorantes, routinières, parfois débauchées et chicanières». Son œuvre maîtresse fut «Le Grand Almanach du bon cultivateur», ouvrage qui devait se retrouver «sous le toit le plus obscur» afin «d’instruire et moraliser le cultivateur même le plus humble». Effectivement, le tirage de cet Almanach atteignit, nous dit-on, jusqu’à 500.000 exemplaires.
C’est sous le seul titre de «Laboureur à Chaloué»  que l’homme fut honoré pour le centième anniversaire de sa mort, en 1942, par un comité spécialement créé par le Ministère de l’agriculture et du ravitaillement (plus précisément par le  Secrétariat général aux question paysannes et à l’équipement rural). C’est l’époque du «Travail-Famille-Patrie» et les conseils de Maître Jacques fournissaient un vade-mecum précieux pour l’édification des populations paysannes. On édita un fascicule d’une quarantaine de pages reprenant les conseils, maximes et règles de conduite que le «vieux laboureur du Poitou», comme il se nommait lui-même, avait patiemment établis tout au cours de sa carrière, un siècle plus tôt.

Afin de bien faire rentrer dans le crâne de ces lourdauds de nouvelles façons de mener leur vie, Maître Jacques inventait les proverbes qui finiraient bien par porter leurs fruits. C’est ainsi que le Poitou, alors connu pour un usage immodéré des boissons alcoolisées (On disait: « Poitevin, sac à vin ») était devenu l’une des régions les plus sobres «grâce à l’influence de sentences comme celles-ci, répétées de père en fils: Le chemin du cabaret est le chemin de l’hôpital — Fais comme notre âne qui ne boit qu’à sa soif».
L’ouvrage que le ministère de l’agriculture et du ravitaillement publia (et dont certains exemplaires doivent encore dormir dans quelques greniers) reprend quelques formules dignes du comte de Champignac : «Ne faites pas de la science un hérisson, on ne l’embrasserait sans se piquer le menton». Comprenez : «Enseignez au peuple ce qu’il doit faire et savoir dans sa profession et condition. N’en faites pas des savants, vous en feriez des fainéants». Le cultivateur doit se méfier de la routine : «Avec la routine, on fait maigre cuisine». La jeunesse doit être éduquée («Qui mal commence finit mal») autant que les propriétaires : «il faut à tout cheval un bon palefrenier comme à toute ferme un bon cultivateur».`

Maître Jacques n’oublie pas l’importance de la femme du paysan, qui est «le bon Dieu de la maison» («Grand malheur si elle en est le diable !») Encore faut-il bien la choisir : «Femme économe est un trésor, femme soigneuse vaut son pesant d’or». Et encore «L’activité entretient la santé et fille qui agit ne pense pas à mal.» Le travail est bien évidemment une vertu cardinale. «La fainéantise est comme la rouille, elle use plus que le travail». D’ailleurs «le renard qui dort ne prend pas de poule».
Les conseils pour la gestion de l’entreprise sont ceux du bon père de famille : «Sans économies, la misère entre à brassées et s’en va par pincées». Bien avant l’écologie, les préceptes de l’avocat-laboureur pourraient être repris aujourd’hui : «Si tu te moques de la terre, elle se moquera de toi… Laboure bien bien et n’épuise pas ta terre… La terre sous le chiendent s’appauvrit tous les ans». Le bétail est un élément essentiel : «une ferme sans bétail, est une cloche sans batail (battant, ndlr) … et le fermier travaillera tout son soûl sans faire sonner les cent sous».

L’ouvrage quasiment testamentaire de maître Jacques se conclut par quelques aphorismes de son cru frappés au coin du bon sens…paysan : «Rien d’absolu dans le monde, tout est relatif. Point d’ombre sans lumière, point de gens d’esprit sans les sots»…. «On veut du parfait et le soleil a des taches». Mais attention : «Un secret sur le bout de la langue d’une femme ou d’un ivrogne est un oiseau sur la branche, toujours prêt à s’envoler». De toute façon, «ce n’est pas avec des mots qu’on remplit le boisseau».

On peut sourire devant ces formules un peu naïves. Mais en étudiant d’un peu plus près la carrière politique de Jacques Bujault, élu député à deux reprises, on apprend qu’il fut à l’origine de deux propositions qui firent à l’époque grand bruit. Il proposa notamment que chaque ministre indique à la Chambre le nombre d’employés et de fonctionnaires de son département, ainsi que les traitements, gratifications, frais de tournées et de logement qu’ils percevaient.

C’était en 1822. La proposition avait été repoussée. Mais cela montre au moins que l’on peut défendre le bon sens près de chez vous tout en proposant des idées d’avant-garde qui ne se réaliseront que bien des années plus tard.

Gérard Goutierre

 

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