Lauréats

Chaque premier lundi d’octobre commence l’énoncé du palmarès Nobel. À sa mort, le chimiste Alfred Nobel, inventeur de la dynamite, (explosif beaucoup plus stable que la nitroglycérine), avait prévu un usage posthume pour son immense fortune. Une institution récompenserait annuellement des «personnes ayant apporté le plus grand bénéfice à l’Humanité par leurs inventions, découvertes et améliorations» en chimie, physique, médecine ou physiologie, littérature et diplomatie ( le fameux prix Nobel de la paix). En 1969, s’invita un «prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel», improprement dénommé prix Nobel d’économie. Tiens, s’étonne-t-on, pas de prix pour les mathématiques ? Non, bien sûr, est-il classiquement répondu, car l’épouse d’Alfred l’aurait trompé avec le mathématicien Mittag-Loffler. Les amateurs d’informations vérifiées objecteront, d’une part, que Nobel ne s’est jamais marié, de l’autre que son amie, Sophie Hess, était beaucoup trop jeune pour avoir croisé le présumé coupable. L’explication, beaucoup plus prosaïque, tient dans le sens qu’il donnait à la discipline, outil au service de la connaissance, et non connaissance en soi.

La ronde débuta en 1901. Les conditions de nomination sont assez vagues, sans contraintes liées à l’âge (sous réserve d’être vivant), au genre, à la nationalité. La transdisciplinarité est plutôt bien vue. Rien ne s’oppose à être nommé plusieurs fois . Il est possible d’accueillir jusqu’à trois récipiendaires par attribution…. Ce qui conduit parfois à faire coexister sur le même chèque des concurrents féroces, voire des ennemis mortels. Le prix révèle la plupart du temps au grand public un parfait inconnu hors de sa sphère. Il se voit, dès lors, élevé au rang d’oracle, réputé omniscient, prié de répondre à de multiples interrogations pour lesquelles il n’a aucune compétence. Beaucoup résistent sagement à cet effet indésirable de la notoriété. Quelques uns sont allés jusqu’à déconner grave.

Parallèlement, à la fin septembre, ont été révélées les nominations aux prix IgNobel, distinctions beaucoup moins célèbres, mais tout aussi éminentes. Cela se prononce comme en anglais et se traduira par un à peu près à prétention drolatique: prix Ignoble. L’idée vint, en 1991, à Marc Abrahams, chercheur à l’université Harvard (Cambridge Massachussets) de distinguer, par une récompense spécifique, des études loufoques, farfelues, insolites, bizarres, décalées, originales, teintées d’humour délibéré ou involontaire, dès lors que, secondairement, elles invitaient à la réflexion. À l’issue de la proclamation des résultats, une cérémonie rassemble les nommés qui ont bien voulu venir. Ils sont accueillis par un vol d’avions en papier. Après la présentation d’usage, chacun reçoit des mains d’un authentique lauréat Nobel son diplôme et un billet de 10.000 milliards de dollars zimbabwéens dévalués.

Le prix a pu être attribué à des actions d’une stupidité confondante, tel l’IgNobel d’archéologie reçu, en 1992, par une patrouille d’Éclaireurs de France ayant effacé les peintures rupestres de la grotte de Mayrière. Parfois, il s’agit d’une démarche esthétique, ainsi Shigeru Watanabe (université de Keio) prix de psychologie 1995, apprenant à des pigeons à distinguer les tableaux de Picasso de ceux de Monet. L’intention critique n’est pas absente dans le prix IgNobel de la paix, saluant la reprise des essais nucléaires par le Président Chirac, en 1995, soit exactement cinquante ans après Hiroshima.

En 2003, Edward A. Murphy a été consacré prix d’ingénierie, suite à la formulation, en 1949, de sa loi dite «de l’emmerdement maximum». Lors d’essais sur la décélération, recueillant des résultats qu’il estimait invraisemblables, il s’aperçut qu’un assistant avait installé les capteurs à l’envers. Il en tira l’enseignement suivant : «si un expérimentateur a la moindre possibilité de commettre une bêtise, il la fera». Depuis, la véracité du postulat est confirmée dans tous les centres de recherches du monde.

Le prix repère souvent une étude validant une intuition : le prix d’économie distingue, cette année, le montpelliérain Pavlo Blowatskyy, identifiant un lien direct entre la corruption dans un État et l’indice de masse corporel de ses dirigeants. Celui de médecine, en 2008 (Dan Ariely- Duke university), constatait qu’un placebo très cher manifeste une plus grande efficacité qu’un bon marché. En 2010, Alessandro Puchino (université de Catane) prix de management, établissait qu’une organisation gagne en efficacité lorsque les promotions hiérarchiques sont faites de façon aléatoire. Apprenant que la méthode contraceptive utilisée dans les années 1960 par les jeunes catholiques portoricaines était «toilette intime au coca cola», Deborah Anderson ( Harvard university) a voulu en avoir le cœur net. Si le Coca classique et le diet ont d’excellentes propriétés spermicides, il n’en est rien pour la nouvelle formule et le cherry. D’où certaines déconvenues. Ce qui méritait bien, en 2008, le prix de chimie.

Un lauréat, André Geim, (université de Nimègue) a cumulé l’IgNobel de physique en 2000 et le Nobel dans la même discipline en 2010. La France peut s’enorgueillir du seul doublé, réalisé par Jacques Benveniste (unité 200 INSERM): IgNobel de chimie en 1991 pour sa publication sur la mémoire de l’eau (début de prémices de mise en évidence de la réalité de l’homéopathie), puis, en 1998, pour la transmission de celle-ci à l’aide de vecteurs ondulatoires, comme par exemple Internet.

Le jury IgNobel s’honorerait de distinguer un travail essentiel réalisé en 2015 par une équipe de l’Institut des sciences alimentaires de Berne. Observant la raréfaction progressive, au fil du temps, des trous dans le gruyère ( vaste appellation foutoir ou l’on range tous les fromages de vache à pâte cuite conservés en meule de taille imposante, y compris celui fabriqué à Gruyères, près de Fribourg), elle en a percé le mystère. Les moyens modernes diminuent la quantité de micro particules de foin tombant dans le lait lors de la traite manuelle, le seau sous les pis. Ce sont elles qui, fermentant en plein coagulum, dégagent des bulles de gaz carbonique En jouant sur ce facteur, il serait possible de résoudre le paradoxe de l’emmental : «plus il y a de fromage, plus il y a de trous ; plus il y a de trous, moins il y a de fromage.»

 

Jean-Paul Demarez

Illustration: ©PHB

 

 

 

 

 

 

 

 

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Une réponse à Lauréats

  1. Yves Brocard dit :

    Merci pour votre chronique. Elle rectifie certaines choses puisque j’avais dans la tête que Chirac avait mis fin aux essais nucléaires. Mais il y a deux facettes à cette histoire. Toujours est-il qu’il semble que nous soyons le seul Etat a y avoir réellement mis fin.
    Il y aurait aussi un article critique amusant (ou désolant) à écrire sur la nomination des Nobels de Littérature. Ainsi de Winston Churchill qui en fut le premier étonné, jusqu’à Bob Dylan qui commença par le refuser pour, in-extrémis, l’accepter en envoyant un enregistrement, sans se rendre à Stockholm. Ou encore celui de la Paix à Obama, qui continue de m’intriguer.
    Bonne journée.

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