Retour au pléistocène

Le zoubre est un ruminant susceptible. Variant hybridé du bison, lorsqu’il repère  ce dernier, il charge. Et cela complique un brin la tâche de Nikita Zimov quand il faut l’éloigner du troupeau. De surcroît il ne compte que deux bisons mâles dans son cheptel et en perdre un le contraindrait à en importer un neuf depuis l’Europe occidentale jusqu’à sa Sibérie septentrionale. Et ce n’est pas la moindre difficulté à laquelle il doit faire face lorsque l’on regarde le formidable documentaire disponible sur Arte jusqu’au premier février: « Retour à l’âge de glace – L’hypothèse de Zimov » raconte la très attachante histoire de la famille Zimov, déterminée à démontrer que l’on peut sauver le climat en sauvant le permafrost, une terre où prospéraient les mammouths et qui en principe ne dégèle jamais. Le vieux Sergueï Zimov, père de Nikita, est persuadé que c’est là le bon moyen, toutes affaires cessantes, de rétropédaler.

Son idée -scientifique- est que le manteau de neige qui recouvre la toundra arctique contribue, par ses vertus isolantes, à réchauffer le permafrost déjà affecté par la pollution de l’atmosphère. Selon lui, en réimplantant une faune composée de bisons, moutons et autres yacks, le tassement opéré par leur piétinement, restaurera le sol dans sa froideur normale. Avec son fils, il a prouvé que, avant l’expérience en cours, le réchauffement du sol dépassait 1,20 mètre de profondeur. Après une acclimatation progressive des animaux cités plus haut, le seuil d’influence du réchauffement est remonté à 80 centimètres. Et ce n’est pas juste pour distraire ses vieux jours qu’il s’est lancé avec son fils dans cette aventure. Le permafrost en question détient en effet de telles quantités de méthane et de carbone que leur libération, liée aux activités humaines, serait catastrophique. Une démonstration limpide qui est allée jusqu’à convaincre des chercheurs américains. Lesquels ont validé l’expérimentation.

L’histoire est effectivement belle. Au moment de l’effondrement de l’empire soviétique, Sergueï Zimov (ci-contre) décide de ne pas abandonner la station météo dans laquelle il travaillait. Pour se donner les moyens d’y vivre, il vend son trois-pièces de Vladivostok et convainc son fils, la femme de son fils et leurs enfants, de se lancer dans cette opération originale visant à poser les bases d’une action concrète, bien loin des incantations du monde occidental. Ce sera le « Pléistocène park », dénomination faisant allusion à la dernière période glaciaire. Soit vingt hectares qu’il a transformés en laboratoire à ciel ouvert.

Au-delà des aspects scientifiques et des questions écologiques, nous spectateurs sommes diablement séduits par l’évidente beauté de ces paysages gelés, proposés par la caméra du réalisateur Denis Sneguirev, troublés par ces os de mammouths qui se ramassent à la pelle au bord de l’eau et singulièrement touchés par cette petite famille qu’un tel projet réunit. Nous sommes surtout amenés à suivre Nikita, lequel livre une belle bagarre pour honorer le contrat moral qu’il a signé avec son père. Comment dans des conditions assez invraisemblables, il va, avec ses compagnons, récupérer des chevaux élevés pour la boucherie avant de les ramener au parc avec un tout nouveau statut de chargés de mission climatique. Les quelques humains impliqués dans l’affaire prennent soin des bêtes tout en s’appliquant à recréer une configuration biologique propre à donner un sens à leur aventure. Pour laquelle, du reste, ils reçoivent de fort loin des lettres d’admirateurs.

Grâce notamment à ce film pour le moins familial, qui sera rediffusé le 20 décembre à 2h20 mais également visionnable à tout moment sur Internet (1) pour les non-noctambules, l’hypothèse des Zimov s’invite chez nous à bon escient. Ces citoyens russes nous prouvent qu’il est possible de contrer le cours des événements sans passer par la complainte rébarbative dont nous abreuvent ceux qui ne connaissent pas autre chose que le micro pour hurler à l’extinction prochaine de l’humanité. Il semblerait qu’une voie de recours réside dans le retour à l’âge de glace et pourquoi pas. Si cela ne marche pas les Zimov auront au moins tenté quelque chose. Les désignés toujours coupables que nous sommes, pourront toujours aller noyer notre dépit au bistrot en méditant sur les quelques glaçons flottant à la surface d’un verre de vodka parfumé à l’herbe de zoubre.

PHB

(1) « Retour à l’âge de glace – L’hypothèse de Zimov » (2021), de Denis Sneguirev, sur Arte jusqu’au 1er février 2022 (photos: © Arturomio -13Productions – 2021)

 

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3 réponses à Retour au pléistocène

  1. Yves Brocard dit :

    Merci Philippe de nous pointer ce documentaire. Il y en a tant sur les ravages en train de se produire qu’on ne peut tous les regarder (au risque de devenir alcoolique !), mais celui-ci semble particulièrement émouvant et parlant.
    J’espère qu’on peut aussi boire sa vodka (avec modération bien sûr) en le regardant.
    Bonne journée.

  2. jmc dit :

    Merci aussi pour le mot zoubre, dit « zubron » sur Wikipedia, qui semble d’origine polonaise, et que certains traduisent par « auroch ». On apprend aussi qu’en 2001, un mouvement de jeunesse « Zoubre » fut fondé en Biélorussie.

  3. Marie J dit :

    Sur les aurochs, mis au service d’une métaphore de la vie politique et de ses dérives, lire « L’animal et son biographe » de Stéphanie Hochet.

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