Cuisine électorale de saison

Quelques mets sont attachés à des appartenances politiques, pour en caractériser une nuance particulière. Ainsi parle-t-on de la «gauche caviar», de la «droite camembert».
Ou, plus rarement, du «centre saumon», couleur rose atténuée, manière d’exprimer une sorte de social-démocratie modérée, mouvement aux antipodes de l’extrémisme. L’ancienneté dans le genre revient sans conteste au «radicalisme cassoulet». Pourquoi le cassoulet s’est-il à ce point associé indéfectiblement au parti radical ?
Sans doute parce que cette préparation est le pilier gastronomique du Sud-Ouest, patrie d’élection (sic) du radicalisme, qui en imprègne l’histoire politique. Selon le dictionnaire, le mot «radical» signifie : «qui vise à agir sur la cause profonde de ce que l’on veut modifier. Exemple, prendre des mesures radicales». On sent bien qu’on ne va pas faire dans la dentelle…

Certes, sous la monarchie de Juillet, les Républicains radicaux se plaçaient le plus à gauche de l’opposition…Toutefois, dès la IIIème République, le parti va devenir un parti charnière, s’orientant selon les circonstances, tantôt à droite, tantôt à gauche. Tout en conservant son appellation très tranchée (comme qui dirait radicale). Celle-ci ne l’empêchant pas de manifester une grande modération et de pratiquer de petits arrangements entre adversaires après tout pas si éloignés.

Un florilège de citations de personnalités marquantes de cette formation en démontre bien la plasticité idéologique : Édouard Herriot : «la politique est un chapitre de la météorologie. La météorologie est la science des courants d’air.» À propos de certains changements d’orientation de sa ligne doctrinale au cours du temps, ayant conduit des commentateurs à évoquer ce dispositif installé sur les toits, cette remarque d’Edgar Faure : «ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent.» Henri Queuille : «la politique, ce n’est pas résoudre les problèmes, mais faire taire ceux qui les posent.» Voire de Jacques Chaban-Delmas, élu radical au début de sa carrière : «nous ne parvenons à faire des réformes qu’en faisant semblant de faire la révolution». Presque un sujet pour le bac Philo!

Cette mise en avant d’affrontements en apparence irréconciliables finissant par se résoudre dans l’exercice de la synthèse, dialectique spécifique du radicalisme, se retrouve dans le génie propre du cassoulet. À l’origine, il s’agit d’une préparation des plus rustiques, un ragoût de fèves, mitonné à feu doux . Dans une sauce, ce qui le distingue de la potée, cuite, elle, dans un bouillon. Avec des viandes de rencontre, parmi les restes au hasard du garde manger. Ensuite, tout se complique, avec l’apparition de rituels et de querelles de clochers. La préparation va prendre le nom du récipient ou elle se concocte, la cassole. Il s’agit d’une marmite en terre, sortie initialement des mains des potiers d’Ussel. Bien sûr, une terrine de Soufflenheim pourrait convenir, car elle est faite pour aller au four. Mais ils les fabriquent ovales… C’est peut être bon pour le baeckeoffe, mais pour le cassoulet, il faut un ustensile rond.

Le matériau de base du cassoulet est le haricot… Et les nuances commencent. L’orthodoxie réclame le lingot du Lauragais. Le Tarbais poussant dans les maïs est accepté. Il existe une variante utilisant le coco de Pamiers. Ceci ne prohibant pas le recours au Chalossais. En fait, ce que l’on veut, à condition qu’il s’agisse de haricots blancs. Le cassoulet perdrait son contenu idéologique s’ils étaient remplacés par du chou fermenté découpé en lanières, de la semoule de blé dur finement roulée, du riz cuisiné à la moelle et au safran. Ces données essentielles étant définitivement admises, entrons dans l’examen des différentes tendances. Le cassoulet connaît trois courants dominants. Trois, non comme la Sainte Trinité, comportant intrinsèquement une idée inégalitaire, mais trois comme les sommets du triangle isocèle, sous-jacents au radicalisme, (lui-même souvent peu éloigné du temple maçonnique), comme congruents à son égalitarisme gradué, à sa fraternité sélective, à son universalisme localisé, à cet athéisme déiste dont Émile Combes et Georges Clémenceau représentent les figures les plus emblématiques.

À terme, les haricots du cassoulet s’accompagnent de chairs cuites. Et là, apparaissent à nouveau de subtiles nuances, dont, en dépit de ses abondantes recherches bibliographiques, l’auteur de ces lignes n’est pas sûr de maitriser parfaitement les sous-jacences. À Castelnaudary, canal historique, la Grande Confrérie gardienne de la Tradition retient des cuisses de confit, canard ou oie, de la saucisse de porc, du jarret, de l’épaule ou de la poitrine du même animal, un peu de lard salé et des couennes, pour tapisser la cocotte. Carcassonne, en dissidence, reprend la formule, ajoutant du gigot de mouton et, en période de chasse, de la perdrix. Toulouse se distingue essentiellement en incluant sa saucisse éponyme, de façon parfois insistante. Tous les trois, cependant, prétendent incarner le dogme , produire le cassoulet de référence.. C’est faire fi des variations encore possibles, dans les communes alentours, qui ne manquent pas de se gausser d’une telle prétention.

Il n’a été nulle part question, dans ces différentes compositions, de tomates, fruit d’été tandis que le cassoulet est un plat d’hiver, ni de chapelure, la croûte en surface du cassoulet se formant par sept (notez la symbolique du nombre) enfoncements successifs au fil de la cuisson , et non par un procédé artificiel. On aura la sagesse d’exclure de l’ensemble la Francfort ou la Strasbourg, l’andouille de Guéménée ou le boudin blanc, qui passeraient pour des barbarismes. Même sous le prétexte de revisiter la recette dans un mouvement résolument novateur et réformiste.

L’essentiel ? que cela mitonne au moins six heures, comme une motion finale au congrès du parti, chacun des apports individuels constituant un amendement destiné à se fondre dans le Grand Tout. La mise en chantier d’un cassoulet est un travail exaltant, quasiment initiatique, mais long et prenant. Si le temps vous est compté, il ne manque pas de traiteurs ou trouver de quoi épater vos convives. Laissez croire que vous en êtes le maître-d’œuvre, licence politique bien dans la tradition des programmes électoraux… Attention, la médiocrité des cassoulets en boîte ne tromperait personne….

 

Jean-Paul Demarez

Photo: ©PHB
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5 réponses à Cuisine électorale de saison

  1. Jacques Ibanès dit :

    Même de bon matin, les papilles peuvent agréablement frémir à la lecture roborative de cette malicieuse double évocation! Le cassoulet a à voir avec le brouet et si j’ajoute que ma grand-mère en tapissait sa marmite de couennes « bien rances », la proximité de la cuisine avec la politique en devient évidente!

  2. Yves Brocard dit :

    Merci pour la recette du, ou des, cassoulets. Pour les autres, les recettes politiques, c’est moins ragoutant.
    Il m’a été donné d’avoir pour collègue un membre de la famille Spanghero. Aux côtés du grand frère, Walter, célèbre rugbyman, Laurent et Claude créèrent une société agroalimentaire dont la fabrique de cassoulet, celui de Castelnaudary, en boîtes, était une des spécialités. Ces boîtes, de grand format, étaient délicieuses. La société eut des soubresauts indépendants de leur volonté. Après avoir vendu la société, qui portait leur nom, les nouveaux actionnaires voulant maximiser les bénéfices, vendirent de la viande de cheval venu de Roumanie comme viande de bœuf. Gros scandale. Laurent, ne voulant pas que le nom Spanghero soit ainsi entaché, racheta la société et la relança avec succès sous le nom de « La Lauragaise ».
    J’appris aussi alors que, les producteurs du cassoulet local voulant faire labelliser AOC leur production, ils découvrir que, pour cela, 95% (chiffre à vérifier) des ingrédients devaient avoir une provenance local. Or la plupart des haricots provenaient alors d’Amérique du sud. Ils durent donc relancer une production locale de « lingots de Castelnaudary ».
    Tout cela est une illustration, comme d’autres, des effets pervers de la mondialisation ; et des effets positifs que peut avoir l’immigration, la famille Spanghero étant d’origine italienne, d’où ils avaient fui, dans les année 1930, la misère. Et que serait le rugby français (et le cassoulet) sans les Spanghero !

  3. Philippe PERSON dit :

    Tout au long de son histoire, et même encore aujourd’hui puisque le parti radical survit (et survivra longtemps encore aux nouveaux « ismes »), le parti était célèbre pour ses agapes, pardon ses congrès où l’on mangeait très très bien.
    C’est souvent après les banquets que les Edgar Faure ou les Robert Fabre faisaient la différence. On y aimait particulièrement le cassoulet.
    Je me souviens que boulevard Saint Germain, pas très loin de l’Assemblée nationale, il y avait un restaurant qui s’appelait « les fins gourmets » (je crois qu’il existe encore peut-être sous un autre nom). On y mangeait un très bon cassoulet souvent accompagnés aux tables voisines par des parlementaires venus avec d’accortes jeunes femmes bien en chair, dont certaines si on tendait l’oreille, devaient avoir pris le métro à Strasbourg Saint Denis pour rejoindre ces messieurs assez rubiconds et parlant un français assez rocailleux ou accentué…
    On était encore dans les années 1980, et la radicalité parlementaire était incarnée par des ruraux plus proches de la Soupe aux Choux que des films de Duras…
    Ah qui se souvient encore du député Hector Roland (qui était gaulliste mais qui aurait pu être radical valoisien comme on disait des radicaux qui avaient rallié Giscard en 1974)
    Il nous reste Jean Lassalle sur le même créneau…

  4. de Fos Guillemette dit :

    A lire ce régal littéraire autant que gastronomique, l’eau me vient à la bouche.
    Mais si la tomate ne s’invite pas dans la recette, à juste contre-saison, d’où lui vient sa note d’acidité ? Du vin blanc ?

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