Noël en analyse

En ce temps là, en terres chrétiennes, les séquences étaient bien séparées : le 25 décembre, les fidèles célébraient la naissance du Christ; le 6 du même mois, sous les auspices de Saint-Nicolas, les enfants sages avaient reçu des cadeaux, les autres se trouvant sous la menace du Père Fouettard, l’acolyte inséparable de l’ancien évêque de Myre. L’époque moderne a chanstiqué ce bel ordonnancement. Le Père Noël, incarnation du matérialisme athée, porte un tort irrémédiable aux affaires du Petit Jésus. La crèche, l’âne et le bœuf, les bergers et les rois mages, le mystère de l’Incarnation, forment un segment trop restreint pour le potentiel commercial des fêtes de fin d’année. Le Père Noël, lui, a su développer un accélérateur économique adapté aux caractéristiques de la mondialisation. Sous toutes les latitudes.
Chez nous, en son honneur, à ce moment là, les rues du moindre village s’endimanchent d’un hideux décor. Bientôt, des figurants, vêtus d’une houppelande rouge vif, vont déambuler, avec leur barbe de coton et leur fausse bedaine, faisant peur aux chiens errants. Car, grâce à la puissance marketing de la firme Coca Cola, l’uniforme du Père Noël s’est trouvé standardisé in all the world.

Chacun le sait, le Père Noël réside au Pôle Nord, contrée pourtant dépourvue de la moindre végétation susceptible de nourrir ses rennes. Curieusement, en dépit de l’invention de l’hélicoptère, il persiste à utiliser la traction animale, pour son traîneau volant. Il entre à minuit par la cheminée, même dans les logis qui en sont dépourvus, partout au même instant. Tous les bambins sont potentiellement bénéficiaires de ses largesses, car la privation de Noël ne serait pas loin de s’apparenter à la maltraitance psychologique sur mineur, prévue et sanctionnée par l’article 227-17 du code pénal. Exit, donc, le Père Fouettard. Les présents reçus par qui croit au Père Noël constituent d’ailleurs la seule exception à l’implacable logique du don, identifiée par Marcel Mauss : la reconnaissance ( Marcel Mauss, Essai sur le don, in Sociologie et anthropologie PUF 1950).Tout ceci s’avère parfaitement inepte, mais le parent ne s’y pliant pas se verrait accusé par sa descendance de lui enlever son âme d’enfant. Le service public, pour sa part, contribue à l’illusion. Il consacre un service spécial pour le courrier du Père Noël, au centre de tri postal de Libourne. À l’initiative de Jacques Marette, ministre des PTT en 1962, sous la pression de sa sœur, Françoise Dolto.

Le Père Noël n’est effectivement pas étranger au monde de la psychanalyse. En grattant à peine, on y retrouve l’«inconscient collectif» théorisé par Carl Gustav Jung, cet imaginaire partagé quels que soient les époques et les lieux. Le Père Noël constitue le dernier avatar des dieux Odin et Mithra, de la déesse Strena ( dont dérive le mot étrennes), du solstice d’hiver (d’où découlent le sapin et la buche), et de tout un folklore composite. À propos de nativité, on y trouve également le récit à peine voilé de la scène primitive : le phallus pénétrant la maison-mère, la cheminée vagin, l’âtre cavité utérine, et les nouveaux nés en résultant dans le rôle des cadeaux.

L’écrasant conformisme social se concrétisant par le Père Noël, matraque l’être humain dès sa naissance et s’enrichit grâce au milieu ambiant. Impossible, en fin d’année, d’échapper à tout ce kitsch baptisé «Magie de Noël», répandu de façon quasi institutionnelle. À moins d’être anachorète en son ermitage, ou d’habiter en Corée du Nord.

Ayant passé sa prime enfance du coté de Kobé, dans la rigoureuse harmonie de l’esthétique shinto, Amélie Nothomb confesse avoir appris la laideur au moment de sa découverte de la Fête de Noël. (Amélie Nothomb, Noël au Japon, Le Figaro Magazine, 22 décembre 1995). En effet, une fois par an, oubliant pour un temps les codes du shibui, les Japonais se vautrent dans le fatras du Noël à l’américaine, ses guirlandes clignotantes, ses angelots à paillettes et ses boules phosphorescentes. «Sans doute», remarque t elle, «trouvais-je en ces décorations grotesques la part de mauvais goût dont manquait encore mon univers, et dont l’âme humaine a tant besoin pour son épanouissement».
Toutefois, à la période pré pubertaire, beaucoup de sujets prennent leur distance avec le mythe du Père Noël. Les circonstances de leur apostasie s’inscrivent dans une alternative bien connue : soit la trouvaille, au cours de fouilles pratiquées dans une armoire parentale, de paquets facilement identifiables par leur papier d’emballage, soit les confidences sacrilèges d’un(e) camarade plus déluré(e).

Ainsi déniaisés, quelques uns vont persister à faire comme si. Ayant repéré l’état de régression entraîné chez leurs géniteurs par leur apparente adhésion au système, ils entendent continuer à en profiter. On les retrouvera plus tard dans les écoles de commerce. Mais des manifestations d’allégeance poursuivies trop longtemps peuvent leur valoir un passage chez le psychologue scolaire. Pour nombre d’individus, la croyance au Père Noël va, peu ou prou, perdurer tout au long de la vie. Ils constituent le fonds de clientèle de la Française des Jeux. La retraite venue, ils vont déverser leur maigre pension dans la fente des bandits manchots. Ils figurent à tous les étages des pyramides de Ponzi. A cause d’eux, le législateur a ciselé cette formule légale : «un crédit vous engage et doit être remboursé » ( loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 relative au crédit à la consommation)
La croyance au Père Noël a même une expression médicale : l’effet placebo.

 

Jean-Paul Demarez

Illustration: ©PHB

 

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5 réponses à Noël en analyse

  1. Yves Brocard dit :

    Dites-donc monsieur Jean-Paul Demarez, ça dégomme sur le père Noël et la grande messe commerciale qui l’accompagne. Bon, mais je ne suis pas loin de vous suivre. Et les écoles de commerce au passage.
    Par contre vous parlez du « fatras du Noël à l’américaine » or, outre-Atlantique, il n’y a pas de débauche à Noël, mais à Thanksgiving. Fête destinée à l’origine à remercier (qui ?) pour la récolte et l’année écoulée, cette année elle avait lieu le 25 novembre, amalgamée de nos jours avec le Black Friday. Et la fameuse dinde est bien mangée ce jour-là. Noël est beaucoup plus sobre, et célébré essentiellement pas les Chrétiens, ce qui paraît logique.
    Vous dites aussi que « le Père Noël réside au Pôle Nord ». Non il habite dans le village du Père Noël au nord de la Finlande ; j’y suis allé, et je l’ai vu ! Village « situé au Cercle Polaire, à 8 km au nord du centre de Rovaniemi, la Ville Officielle du Père Noël ». Et là il y a (un peu) d’herbe et des rênes pour faire les livraisons.
    S’agissant des effets sur les enfants, je me souviens que j’étais très fâché lorsque j’ai découvert (via des copains sans doute) que le Père Noël n’existait pas. Non pas fâché qu’il ait ainsi disparu mais que mes parents et des deux frères plus âgés que moi ne m’aient rien dit et m’aient laissé dans mon ignorance juvénile. Je me suis senti trahi, humilié.
    Bonne journée et vive Noël !

    • Robert GRAETZ dit :

      … ni des rênes, ni des reines, mais des rennes qui mangent bien du lichen à Rovaniemi !

  2. Il me semble, cher Jean-Paul Demarez, que vous confondez « matérialisme athée » avec « capitalisme consumériste »… Je suis personnellement matérialiste et athée et en total désaccord avec la scandaleuse frénésie consumériste que vous dénoncez.
    Très cordialement
    Pierre Morvilliers

  3. Pierre DERENNE dit :

    Allez-donc ! Le fantôme de Tino Rossi viendra, dans la nuit du 24, vous tirer les doigts de pieds et toute votre culture et votre dédain ne vous serviront à rien.
    Joyeux Noël !

  4. Philippe PERSON dit :

    Mieux vaut croire au Père Noël qu’au fameux vaccin contre la soi-disante pandémie…
    On a appris ce soir du grand Manitou vaccinateur qu’il allait falloir une quatrième dose (en attendant forcément la cinquième)
    Et pour qu’ils ne croient plus au Père Noël et qu’ils ne le contaminent pas devant les Grands Magasins, eux qui ne risquent rien, les petits enfants devront se faire vacciner… Je pensais qu’un vaccin était pour soigner le patient pas ses grands-parents…
    Moi qui ne suis pas vacciner, j’attends les Pères Fouettard qui me forceront à participer à la fête ubuesque… Vive Noël

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