À l’est de Kyoto, le quartier d’Higashiyama abrite une maison traditionnelle exquise qui ravira ceux qui apprécient l’architecture japonaise et, d’autant plus, s’ils sont également amateurs de céramique. C’est la maison de Kanjiro Kawai (1890-1966), un artiste qui fut à la fois sculpteur, calligraphe, poète et, avant tout, l’un des plus célèbres céramistes du XXe siècle. Il s’est d’ailleurs vu attribuer – et, c’est tout dire – le statut de Trésor national vivant que le Japon réserve aux personnes qui ont atteint la maîtrise supérieure d’un art ou artisanat. Le céramiste a refusé ce statut arguant que l’artiste doit s’effacer derrière ses créations. Un motif en conformité avec les théories du Mingei. Kanjiro Kawai est en effet – avec Yanagi Sôetsu, critique d’art et philosophe, et Shôji Hamada, autre potier célèbre – l’un des trois fondateurs du mouvement Mingei qui a vu le jour en 1925. Le terme « Mingei » est un mot valise, créé à partir de minshû (peuple) et kogei (artisanat).
Avec l’avènement de l’ère Meiji en 1868, le Japon s’ouvre sur l’extérieur et le pays entre sur le marché mondial. L’industrialisation permet de produire en masse pour répondre aux demandes d’un marché accru. Les fondateurs du mouvement Mingei y voient une menace pour l’artisanat qu’il faut sauver en le mettant en valeur. Montrer que seules les mains de l’artisan peuvent communiquer la vie à l’objet, faire redécouvrir aux Japonais la beauté des ustensiles domestiques de notre vie quotidienne qui existent depuis des siècles, sont des objectifs du Mingei. Car ces objets simples, naturels et de qualité conçus par des inconnus dans des ateliers communautaires ont autant de valeur que des pièces d’artistes célèbres.
Kanjiro Kawai, l’un des fers de lance du Mingei, a révolutionné la céramique japonaise. Après des études de céramique à l’Institut de technologie de Tokyo, il crée son atelier à Kyoto en 1920. À la fois chercheur et potier, il mène de nombreuses recherches et expérimentations pour maîtriser l’art de la cuisson et des vernis jusqu’à y exceller. En revenant aux sources par des techniques, formes et émaillages plus rustiques tels ceux des potiers traditionnels, il applique les valeurs du Mingei. De même, lorsqu’il forme des étudiants dans son atelier, il leur enseigne non seulement la technique mais il leur fait aussi prendre conscience de la valeur culturelle des pièces produites, conformément aux théories Mingei.
En 1937, il fait construire une machiya. La ville de Kyoto en compte encore plus de 40.000 aujourd’hui. Une machiya est une vaste maison traditionnelle en bois avec une seule façade ouvrant sur la rue pour le commerce. Les autres pièces donnent sur une cour intérieure dans laquelle on trouve généralement un atelier. Autrefois la machiya servait ainsi de commerce, de logement et d’atelier. Restaurée en 2008, la maison de Kanjiro Kawai a été transformée en musée, musée qui, aujourd’hui encore, est géré par des membres de sa famille. En la visitant, on a l’impression de revenir 55 ans en arrière à l’invitation de l’artiste.
On circule librement dans les pièces d’habitation du pavillon de bois à un étage dont les nombreuses ouvertures laissent entrer l’air et le soleil. Les fenêtres à glissière et cloisons de papier de riz s’ouvrent sur le jardin pour permettre la communion avec la nature. D’une simplicité et d’un raffinement exquis, cette maison traditionnelle contient des meubles élégants et des objets utilitaires Mingei de toute beauté dont des créations de Kanjiro Kawai ainsi que des pièces de sa collection d’art populaire. L’atelier attenant présente ses travaux, ses recherches d’émaillage et ses outils. Dans la cour verdoyante, où tout n’est qu’ordre, calme et poésie, les potiers amateurs découvriront, fascinés, les fours à bois que Kanjiro Kawai a construits avec ses élèves. L’un d’eux est un petit four en hauteur, sans doute utilisé pour des expérimentations rapides sur de petites productions. Le second est un très grand noborigama, ou four en escaliers à galeries indépendantes, qui permet de cuire de grandes quantités de pièces.
On repart de cette visite, conquis, avec l’envie de mettre aussitôt la main dans l’argile tout en méditant la maxime de Kanjiro Kawai lue pendant la visite : «Quand vous êtes tellement absorbé par votre travail que la beauté coule naturellement, alors votre travail devient une œuvre d’art.»
Lottie Brickert
Merci pour votre évocation. « S’effacer derrrière ses créations », voilà une belle leçon d’humilité…
S’ouvrir à tes visites et laisser couler tes impressions sur ces oeuvres d’art de vivre pour en goûter la beauté et la volupté 🙂
De la beauté, encore de la beauté.
Dommage que je ne t’ai pas connu avant mes voyages au Japon. C;est sûr, j’aurais eu un autre regard. Magnifique. Comme toujours
Merci à mes fidèles lecteurs et ravie de partager avec eux mes coups de coeur culturels.
vraiment merci pour cette sensible évocation du Japon
Je ne suis pas une fan de poterie mais là ça donne envie ..,sûre pour ma prochaine visite au Japon ..
Un grand merci.