Le bel essor photographique des années vingt au Jeu de Paume

Voici la championne olympique Marjorie Gestring parfaitement saisie au vol. Son corps semble en apesanteur. Elle a quitté le plongeoir. Elle n’a pas encore amorcé sa descente, elle plane. À l’aide de son objectif, le photographe John Gutmann a immortalisé l’instant. Ce cliché pris en 1936 ne pourrait être amélioré davantage. De toute évidence le tirage a bénéficié des plus grands soins. Plus de cent ans après l’invention de la photographie, les progrès techniques avaient libéré l’imagination, offert à qui voulait, la possibilité d’une expression jusqu’alors difficilement atteignable. Que ce soit pour les artistes (lesquels ne vont pas se priver de jouer les expérimentateurs) ou pour les photos-reporters qui vont donner ses lettres de noblesse au genre. Avec ses chefs-d’œuvre empruntés au MoMA, le Musée du Jeu de Paume nous offre en ce moment-même une exposition comme on les aime, à la fois exigeante, instructive et hautement divertissante.

Tout cela parce qu’en 2001 puis en 2017, le Museum of Modern Art de New York, avait fait l’acquisition de la précieuse collection de photographies modernes possédée par un certain Thomas Walter. Collection qui concernait principalement l’entre-deux guerres, foisonnante période pour l’art moderne et dont nul ne sait si elle reviendra un jour avec une intensité équivalente. La photographie prenait le train en marche, faisant dire au dadaïste Raoul Hausmann, qu’un « nouveau type de connaissance optique » était désormais à portée de main. Beaucoup allaient le comprendre. Et c’est précisément le travail de ces passagers tout neufs, artistes, portraitistes ou photo-reporters, que nous donne à voir le Musée du Jeu de Paume. Une galerie impressionnante de deux cent trente tirages sur les quelque quatre cents qui composaient la collection de Thomas Walter.

Compositions artistiques élaborées grâce aux nombreux trucages disponibles alors, décompositions de mouvements par superpositions de plusieurs prises de vues ou encore recherche absolue de la netteté et du style, toutes les approches se côtoyaient. Ce que nous voyons ici est la suite d’une fort longue histoire venue de l’art pariétal, de la découverte des pigments, du démarrage de la transposition d’une réalité sur une surface donnée. Quant à ces techniques venues des années 1920, elles n’ont pas à ce jour, été tellement dépassées. Ce qu’il est possible de faire en 2021 avec un logiciel graphique n’en est que la suite logique, pas davantage. L’émancipation de l’imagination artistique par un simple crayon ou une souris d’ordinateur, a toujours matérialisé et suscité le besoin de créer. Et c’est précisément ce que l’époque passionnante qui s’exhibe au Jeu de Paume, nous dit, nous rappelle.

Willi Ruge (1892-1961), incidemment réputé pour son humour, avait trouvé grâce aux appareils modernes, non seulement le moyen de s’amuser mais aussi de réaliser des photos-reportages tout à fait hors-normes, comme le prouve cette extraordinaire photographie prise au-dessus des environs de Berlin. Mieux que Nadar et ses clichés pris depuis un ballon en 1858, Willi Ruge a déclenché son obturateur durant un saut en parachute. Ce tirage, fort justement baptisé « Sekunden vor der landung » est une merveille. Grâce à son audace nous y sommes. La mise au point est faite sur ses chaussures, on voit ses jambes de pantalon gonflées par l’air tandis que plus bas apparaît le sol -le terrain d’aviation de Staaken- avec un flou naturel tout à fait remarquable. Le fait journalistique complet (écrits accompagnés d’images) converge alors avec l’art et inversement. Du travail de haut vol, sans vouloir jouer sur les mots.

Une autre préoccupation avait germé dans ces années-là, celle de la netteté pure, absolue, dépassant paradoxalement la réalité. La photo d’une lampe à incandescence par Hans Finsler ou encore celle d’un végétal par Karl Blossfeldt tranchaient ainsi par leur rendu à la fois épuré et lumineux. Ce n’est pas normalement ce que l’on devrait voir mais c’est de cette façon qu’elles sont restituées. Car il y a la capture de l’image et la capture du regard, lesquelles ne vont pas forcément de pair. Au contraire de l’américain Edward Weston qui lui, avec ses cheminées de l’usine Armco dans l’Ohio, ne se contentait pas de la réalité pure car il savait y ajouter du style, non seulement par la lumière sépia qu’il diffusait sur toute la surface du tirage, mais aussi grâce à un cadrage étudié. Et c’est sans doute-là le trait commun à tous ces artistes présentés au Jeu de Paume, pénétrés, convaincus qu’ils étaient, comme les peintres,  de la nécessité de cadrer. Sans quoi toute proposition s’écroulait.

Comme en peinture, le cadrage s’efface en effet devant le sujet, c’est la clé d’entrée invisible vers l’image. Et il en va de même, paradoxalement, des subtilités offertes par le décadrage comme l’atteste ce remarquable portrait (ci-contre) de l’acteur Franz Lederer par la photographe américaine (d’origine allemande) Lotte Jacobi. Réalisé en 1929, il nous remémore tout l’intérêt qu’il peut y avoir à modifier des règles ou à s’en affranchir.

PHB

« Chefs-d’œuvre photographiques du MoMA, la collection Thomas Walter » jusqu’au 13 février au Musée du Jeu de Paume

Source images: Musée du Jeu de Paume
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Une réponse à Le bel essor photographique des années vingt au Jeu de Paume

  1. Le difficile, c’est qu’en art, quel qu’il soit, pour prétendre modifier des règles ou bien s’en affranchir, il faut d’abord, là aussi, en avoir le talent.
    Modifier ou s’affranchir de règles, seuls, ne suffisent pas. C’est là tout le malentendu…

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