Le 1er janvier 1922, lorsque sa nouvelle édition s’afficha aux devantures des kiosques à journaux, l’almanach Vermot en était déjà à sa trente-septième année d’existence. La couverture de couleur rouge, qui n’avait jamais changé, l’indiquait clairement en gros caractères (moins importants cependant que ceux donnant le prix : 4 francs 75). C’est en effet en 1886 qu’un certain Joseph Vermot conçut ce nouvel almanach débordant de renseignements pratiques de toutes sortes et d’informations aussi incongrues qu’inutiles. Mais surtout, cet almanach de 400 pages affichait un nombre impressionnant de dessins humoristiques volontiers franchouillards, de blagues recueillies sans doute dans les cours de récréation et de faits-divers pas toujours vérifiés.
Quoi qu’il en soit, on en apprendra peut être plus sur la vie quotidienne de nos aïeux en consultant cette édition centenaire qu’en lisant un manuel scolaire. Il n’est pas déplacé de considérer l’Almanach Vermot comme faisant partie du patrimoine national au même titre que le Chasseur français, le calendrier des Postes, ou la défunte « famille Duraton » (feuilleton radiophonique). Ce n’est pas toujours flatteur pour le fameux « esprit français » (vous connaissez la formule : «Les Anglais ont de l’humour mais les Français ont de l’esprit»), mais le chiffre des ventes attestait du goût du public pour cet esprit prétendument au second degré.
La consultation de cet almanach d’il y a tout juste un siècle confirme la fragilité de l’humour qui franchit rarement les frontières, et encore moins les époques. Sa durée de vie est particulièrement limitée. Il est difficile de croire qu’il y a cent ans, on se soit tordu de rire en lisant « Il vaut mieux tomber dans les goûts populaires que dans l’égout collecteur » (25 février) ou «Le comble de la peur pour un horloger : reculer devant une pendule qui avance» (19 avril). Mais l’almanach Vermot a eu l’intelligence de cultiver ce qu’on lui reprochait et cet esprit potache est devenu au fil des ans sa marque de fabrique. Tout comme cette façon d’entasser les informations inattendues, peut-être pour occuper les longues soirées, lorsque la télévision n’était même pas un projet lointain. À titre d’exemples : les conseils pour se couper les ongles en fonction des jours de la semaine selon une superstition anglaise (de préférence le mardi, cela augure du cadeau d’une paire de chaussures) ou ceux pour calculer la vitesse d’un train (il faut compter le nombre de secousses que donnent les roues en passant sur les interstices des rails et suivre en même temps, sur une montre, l’aiguille des secondes). Toutes ces notules sont présentées sans véritable hiérarchie, ce qui permet de ne pas émousser la capacité de surprise du lecteur. L’information, et surtout celle que l’on ne cherche pas, viendra toute seule. On apprend par exemple que le nom le plus répandu dans le monde est Smith, donné à 15 millions de personnes. L’almanach précise aussitôt : «On peut évidement vivre sans savoir cela, mais quand on le sait on vit très bien encore».
L’éphéméride est précédé d’informations que l’on qualifiera d’officielles. On trouvera page 3 la photo et la carrière de M. Alexandre Millerand, alors président de la République (il le restera jusqu’en juin 1924), puis, aux pages suivantes le trombinoscope des ministres, des sous-secrétaires d’État, des sénateurs, des députés. L’ensemble occupe une bonne vingtaine de pages. La plupart de ces messieurs (les dames sont bien évidemment absentes) arborent de somptueuses moustaches.
Impossible d’ignorer les inévitables réclames qui promettent des miracles. La Lactolaxine Fydau s’adresse aux «malades désespérés» et soigne maux de tête et digestions difficiles. La pommade Florentine lutte contre l’eczéma (un pot gratuit peut être expédié aux personnes intéressées). Les laboratoires E.J. Woods proposent un véritable traitement contre l’ivrognerie («les ivrognes peuvent êtres guéris en secret»). La Mouche-Albespeyres est un vésicatoire qui peut sauver les malades «en étant appliqué à temps».
Notons enfin que c’est dans un almanach Vermot de 1896 que l’on trouva l’un des plus saisissants jeux de mots de la Langue Française, toutes époques confondues : «Comment vas-tu…yau de poêle ?».
Vous connaissez la réponse.
Gérard Goutierre