Ceux qui croient voir le fascisme émerger partout en France seraient bien inspirés de se procurer le dernier numéro-collection de L’Histoire. Principalement rédigé par des universitaires, ce mook (fusion de magazine et de livre) revient fort opportunément aux sources, c’est-à-dire en Italie, là où le fascisme (fascismo) et le totalitarisme ont été inventés puis mis en pratique, il y a cent ans cette année. Sous un graphisme remarquable, la couverture symbolise la participation des artistes à ce funeste mouvement qui fit tant de dégâts (et de disciples) dans la péninsule et ailleurs. Cette œuvre signée Gerardo Dottori (1884-1977), représente Benito Mussolini en aviateur. La toile selon le journal, « couronnait un polyptyque pyramidal formé de cinq panneaux » représentant les idéaux d’alors, comme la guerre, la jeunesse, la révolution ou l’industrie. L’auteur appartenait à la mouvance futuriste et de l’aéropeinture laquelle exaltait notamment la vitesse et les armes en tant que vecteurs d’une certaine modernité. Il s’agissait, comme l’explique Lucia Piccioni (université de Florence) d’abolir « le point de vue rationnel du spectateur pour mieux l’inclure dans une vision globalisante propre au projet totalitaire du fascisme ». On ne saurait être plus clair.
Ce numéro de L’histoire fait incontestablement œuvre utile par rapport à notre époque qui fait de l’ignorance un savoir propre à tout commenter. Ce que souligne d’ailleurs et en substance, un éditorial signé par Michel Winock. Lequel nous rappelle que les « Faisceaux de combat » sont nés avec la fin de la première guerre mondiale, dans un pays aux prises avec d’importantes difficultés économiques et sociales. Et que ces « Faisceaux » étaient singulièrement composites puisque l’on y trouvait des anciens combattants, des syndicalistes révolutionnaires, des anarchistes et nationalistes, réunis autour d’un programme plutôt à gauche comprenant le droit de vote des femmes et l’instauration d’un impôt sur le capital. C’est par la suite que la chose a dérivé, notamment à l’encontre des socialistes pour ce qui est de la politique et de façon plus générale, tout ce qui n’était pas chrétien-catholique, en regard de la définition d’un humain parfait.
Le fascisme à l’italienne (après nombre de tyrannies sans cet épithète) est la fascinante histoire d’un mouvement qui n’aurait jamais dû s’épanouir mais qu’un concours de circonstances (dont le soutien d’un roi) a porté jusqu’au pouvoir. Quand en 1922, Mussolini tient son premier conseil des ministres, il n’est entouré « que » de trois fascistes à côté desquels figurent des sociaux-démocrates, des libéraux et des nationalistes. On connaît la terrible suite avec les exactions des « chemises noires » dont les escouades visaient particulièrement les socialistes. Et jusqu’aux lois anti-raciales qui sont à l’origine de la déportation de juifs italiens. À ce dernier propos d’ailleurs, L’Histoire consacre un chapitre entier à l’intellectuelle Margherita Sarfatti qui fut l’amante passionnée de Mussolini. Sauf qu’elle était juive et qu’elle dut fuir le pays en 1938 pour cette raison. Il fallait bien être un rhétoricien reconnu pour faire passer de telles incohérences, un tel grand écart entre l’idéologie et sa vie propre. La seconde, Clara Petacci, fut lynchée dans des conditions horribles en 1945. Une photo la montre pendue par les pieds, souillée par la foule. Une âme charitable avait fixé sa jupe au niveau des genoux de façon à ce que sa nudité ne soit pas exhibée.
Non seulement certains artistes futuristes s’étaient rendus complices de soutien envers le fascisme (ce qu’Apollinaire et d’autres en France avaient bien pressenti) mais, et c’est un autre chapitre de ce numéro passionnant, des littéraires s’en étaient également mêlés. Tel le poète d’Annunzio qui précocement, en 1919, fit de la ville de Fiume sur la côte dalmate, un laboratoire de la dictature. Une expérience que ne manqua pas d’observer Mussolini qui en tira les leçons. Tout cela avait germé sur les faiblesses d’un État libéral.
Et c’est bien cela qu’en filigrane ou noir sur blanc, ce magazine met en avant. En détaillant à partir de quels terreaux décatis, décadents, a pu moisir et prospérer à loisir l’idéologie fasciste. Et dans ce domaine, toutes les doses de rappel sont bonnes à prendre. Face aux variants du genre qui mijotent toujours à feu doux, l’immunité collective n’est jamais acquise.
PHB
Les Collections de L’Histoire n°94, « La révolution fasciste » est le numéro premier d’une nouvelle formule. En vente pour trois mois depuis 16 décembre 2021, réunissant des spécialistes du fascisme à l’occasion du centenaire de la prise de pouvoir de Benito Mussolini
Étymologie de l’histoire. Merci Philippe c’est redoutable.
… notre époque qui fait de l’ignorance un savoir propre à tout commenter »: finement énoncé et tumultueusement vérifié. Merci pour ce trait, Philippe