Albi au cœur du pays de Cocagne

À une heure de train de Toulouse, le centre d’Albi, qui a gardé son caractère de gros bourg paisible, repose de la frénésie de la ville rose. Albi c’est un peu un retour dans le temps. En parcourant ses rues étroites et sinueuses, où survivent les vestiges des anciennes échoppes qui animaient son cœur marchand, on a l’impression de se promener dans un village médiéval. On flâne avec délice dans ce décor mêlant le champêtre et l’urbain et où les maisons à colombage en brique rouge et aux volets colorés se resserrent autour de petites places typiques. Au milieu de ce tableau, l’imposante cathédrale Sainte-Cécile surgit telle une forteresse, apte à défier le temps à tout jamais.

À ses pieds, une promenade vous entraîne irrémédiablement vers les bords du Tarn. Sur l’autre rive, les bâtisses ocre, parfois entourées de cyprès, forment une belle carte postale occitane. La traversée du Pont vieux, construit au XIe siècle pour relier Albi aux routes commerciales, mène au square Botany Bay. Son nom provient de la baie australienne de Sydney, qui a été la dernière escale de Lapérouse en 1788 avant de disparaître mystérieusement avec ses 220 hommes et ses deux navires. Le célèbre navigateur, envoyé en expédition-découverte autour du monde par Louis XVI, est en effet un natif d’Albi. Sur le square Botany Bay, un petit musée documente sa vie et ses expéditions. Le square offre aussi l’un des plus beaux points de vue sur la rive opposée. On y admire la masse imposante de la cité épiscopale, le joyau d’Albi classé au patrimoine de l’Unesco, dressée sur son piton rocheux. La cathédrale se détache telle une citadelle invincible au-dessus des maisons traditionnelles.

La cathédrale Sainte-Cécile est construite de la fin du XIII à la fin du XVe siècle, en forme de forteresse sans fioritures extérieures pour en imposer à l’hérésie albigeoise. Faut-il rappeler que le nom d’Albi a été associé à celui du catharisme dont la ville était devenue un centre important. Ce mouvement de dissidence envers l’Église catholique romaine, aussitôt qualifié par elle d’hérésie, est né au milieu du XIe siècle dans ce qui est aujourd’hui le Languedoc. Pour lutter contre cette hérésie, le Pape a levé la Croisade contre les Albigeois (1209-1229). À l’issue de la Croisade, les cathares seront sévèrement réprimés et les seigneurs du Midi, tolérants et parfois partisans du catharisme, seront dépossédés de leurs biens. Le pouvoir épiscopal en sortira renforcé comme en témoigne la dimension stupéfiante de la cathédrale et du palais épiscopal d’Albi. Aujourd’hui encore, ils peuvent se targuer de plus d’un record.

Sainte-Cécile est la plus grande église en briques du monde. Et, en prenant en considération la Berbie, l’ancien palais des évêques qui la jouxte, l’ensemble forme le plus grand site épiscopal gothique d’Europe. C’est aussi, autre record «ecclésiastique», la seule cathédrale d’Europe dont les murs et les voutes sont entièrement peints. Car si l’extérieur, d’une austérité toute militaire, est sans fioritures, l’intérieur de style gothique méridional est très riche. Sitôt le porche passé, le contraste saisit. L’église est entièrement couverte de fresques, murs, piles et plafonds, dans lesquelles le bleu domine. Au fond de l’église, une immense fresque datée 1474-1484, proche de celle de Rogier van der Weyden aux Hospices de Beaune, représente le jugement dernier. À l’opposé, le grand chœur des chanoines (XVIe siècle), séparé par un gigantesque jubé avec des arcs gothiques ajourés, constitue une véritable église dans l’église. Environ 200 statues réalisées par des maîtres bourguignons bordent son déambulatoire, ce qui serait -nouveau record- la statuaire la plus importante de France pour la fin du Moyen-Âge.

D’une taille elle aussi colossale, le Palais de la Berbie abrite aujourd’hui le musée Toulouse Lautrec, un autre natif d’Albi (1864-1901) ainsi que le musée des Beaux-Arts. C’est grâce à un don des œuvres de Toulouse Lautrec par sa famille que le musée réunit aujourd’hui la plus grande collection au monde des œuvres de l’artiste. Ce sont en effet plus de de mille pièces, tableaux, lithographies, dessins et affiches réalisées par l’artiste albigeois qui sont conservées et exposées au Musée d’Albi.

Si Albi a encore de nombreux trésors à dévoiler, on ne saurait la quitter sans admirer le magnifique cloître du XIIIe siècle de l’église St-Salvi, proche de la cathédrale, ni les nombreux hôtels Renaissance qui parsèment la ville. Ils témoignent de la prospérité que la région d’Albi et Toulouse a connue au XVIe siècle grâce à la culture et au commerce de la plante tinctoriale du pastel, vendue à foison avant d’être supplantée par l’indigo. Extraite des feuilles de la plante et mélangée avec de l’eau, la teinture était ensuite compressée et transformée en petites boules nommées «coques». Sous forme de coques, le pastel pouvait être exporté facilement partout dans le monde. C’est le pastel, l’or bleu de l’Occitanie grâce auquel les marchands de Toulouse et d’Albi ont fait fortune, qui a donné naissance à l’expression de «pays de cocagne».

 

Lottie Brickert

Photos: ©Lottie Brickert

 

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6 réponses à Albi au cœur du pays de Cocagne

  1. rousseau dit :

    C’est toujours fort intéressant d’avoir le point de vue d’une personne qui découvre la ville ou vous habitez.Ce qui est mon cas pour Albi ou je vis depuis plus de 30 ans Assez impliqué dans le petit monde de la culture.Une autre fois vous pourriez allonger votre route jusqu’au département du LOT ( Martel,Carennac ,etc.)
    merci pour votre texte référencé
    DONATIEN ROUSSEAU

  2. Objois Françoise dit :

    Tout à fait d’accord avec vous. Albi recèle de petites merveilles patrimoniales qui « valent le détour » comme disait un célèbre guide… Et d’accord aussi avec le commentaire précédent, le Lot est une belle région et Martel un village étonnant (magnifique halle médiévale) où j’ai passé une semaine très agréable dans la vie d’avant. Carennac fut aussi une découverte inattendue …

  3. AGNES DESPINOIS dit :

    Très beau commentaire et belles photos. Il y a longtemps , j’ai eu la chance de découvrir Albi. J’en fût conquise

  4. Suzy Erny dit :

    Excellent article qui donne envie de revenir dans cette belle cité!

  5. Raymond W dit :

    Merci pour cette belle visite documentée, qui a réveillé de bien agréables souvenirs.
    A 25km d’Albi, Cordes-sur-Ciel… le paradis n’est pas loin.
    Lot et Tarn, magnifique Pays de Cocagne, où les siècles passés revivent sous nos yeux…

  6. thierry dit :

    Merci Lottie pour ce retour dans une ville que j’ai visitée, ébloui, il y a une dizaine d’années. J’avais été profondément touché par la majesté de la cathédrale. Mais c’est de réaliser que les fresques que l’on voit sur ses murs intérieurs sont celles contemplées depuis plusieurs siècles par les visiteurs. Elles sont magnifiques !
    Il y avait aussi un glacier dans le centre historique qui faisait une glace au foie-gras… sans commentaire…

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