Politologie

Hortense de Beauharnais pour son fils Louis-Napoléon, Charles de Gaulle ou encore François Mitterrand pour eux-mêmes, avaient trouvé la bonne martingale permettant de rafler la mise. En France, l’élection présidentielle détermine la personne qui occupera la fonction de Président de la République pendant les cinq années suivantes. Depuis le référendum du 28 octobre 1962, le collège initial des grands électeurs a été remplacé par un vote au suffrage universel direct à deux tours, le second opposant les deux candidats arrivés en tête à l’étape initiale. D’où ce principe non écrit : au premier tour on choisit, au deuxième, on élimine.

Quiconque est électeur et de nationalité française peut tenter sa chance, sauf à avoir déjà siégé par deux fois consécutives à l’Élysée (art. 6 de la Constitution, révisé le 23 juillet 2008). Ce quiconque doit cependant être présenté par au moins cinq cents titulaires d’un mandat électif, notamment sénateur, député national ou européen, conseiller régional ou départemental, maire… La démarche est une présentation, adressée à titre individuel et non révocable au Conseil constitutionnel, et non un parrainage. Pour les juristes, la différence entre ces deux termes n’est pas mince. Le système mis en place ne caractérise pas une adhésion, un soutien politique, maisun mécanisme de filtrage, destiné à exclure de la compétition les personnalités «fantaisistes, saugrenues», ou ne représentant qu’elles mêmes. La loi n°2016-506 du 25 avril 2016 dispose que la liste intégrale des présentateurs sera rendue publique, créant ainsi un certain malaise. Il n’est pas certain que l’électeur moyen perçoive la subtilité sémantique ci-dessus évoquée. D’où la crainte, pour le premier magistrat d’une commune, ayant consacré son formulaire à un postulant considéré comme incorrect sur France Inter, de se voir prêter des convictions d’excommunication sur les réseaux sociaux.

Pour faire campagne, comme l’affirmait François Mitterrand, il suffit de trois ou quatre mesures phare à marteler, indiquant une direction. A contrario, en 1981, il présenta «110 propositions pour la France», catalogue de promesses incarnant le Père Noël à portée de bulletin. On sait, aujourd’hui, que s’il répugnait à ce genre de «mécanique infernale», son entourage lui avait quelque peu forcé la main. Car le programme fait partie de l’équipement de base. Spécialement en matière d’élection présidentielle. La Reine Hortense (1783-1837) en conçu une recette à l’intention de son fils, Louis-Napoléon : «Il y a un art, et vous l’apprendrez, de faire miroiter les phrases de manière que, par un phénomène d’optique, elles fassent voir au peuple tout ce qui lui plaît, comme sur un habit d’Arlequin ou chacun, selon ses préjugés, y aperçoit la couleur qui le flatte». Le conseil n’était pas si mauvais. Le garçon fut élu, par 75 % du corps électoral (masculin) de l’époque , lors de la première élection présidentielle de notre histoire, le 11 décembre 1848, dès le premier tour. Il devint le Prince Président, après avoir été qualifié par les malveillants d’«attrape tout».

Un électorat se compose, à partir d’un bloc central, constitué autour du leader, de deux franges, l’une modérée, l’autre radicale, une droite et une gauche, des Girondins et des Montagnards. Ces deux tendances sont dénommées par les politologues les «deux
bouts de l’omelette». Le programme vise à attirer les uns sans rebuter les autres, à comporter le dur confortant les convaincus d’un bord, et le mou facilitant les ralliements d’entre deux tours à l’autre. D’où ce principe non écrit : au premier tour, on regroupe, au second on élargit. Ceci s’avère aussi intangible que les équations de Navier-Stokes sur la dynamique des fluides.

Le texte d’un programme requiert un style pauvre sans être indigent, des verbes d’action conjugués à l’impératif, des mots simples aisément déclinables en slogans. Le genre fourre-tout reste possible, à condition de comporter les identifiants de la famille politique du postulant. Un exemple à proscrire, la gaffe calamiteuse de Lionel Jospin, déclarant au journal de 20Heures, le 21 février 2002, en tout début de campagne : «le projet que je propose n’est pas socialiste». Conçu comme un plan marketing, la liste des engagements fournit aux porte-paroles les «éléments de langage», aux rédacteurs de tracts de quoi remplir leurs papiers, donne du grain à moudre aux militants, et, déclamée en meetings, fait s’agiter la marée des drapeaux. En outre, elle permettra aux éditorialistes de remplir leur rôle dans cette période : l’évaluation critique comparative. Le programme de tel ou telle est il crédible ? pertinent ? réalisable ? financièrement abordable ? Comme si là était la question. Un candidat doit être pragmatique, donc promettre même l’impossible. Une fois élu(e), nous verrons bien ! Paraphrasons Monsieur de Talleyrand : «au pouvoir, il n’y a plus de convictions, il n’y a que des circonstances !».

Homme providentiel, le général De Gaulle se contenta d’un seul argument pour ses campagnes électorales, «moi ou le chaos !». «Le programme ? affirmait il, soit on ne le tient pas, et l’on trahit les électeurs, soit on le tient, et l’on trahit l’État !».

Jean-Paul Demarez

Photo: ©PHB (présidentielle de 2017)

 

 

 

 

 

 

 

 

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3 réponses à Politologie

  1. Brocard Yves dit :

    Décidément la politique, qui occupe (ou occupait, mais la guerre est bien politique) beaucoup l’espace médiatique, est devenu monnaie courante sur lessoirees. Est-ce mon article du 20 janvier qui a, à mon corps défendant, lancé la mode (cf votre article du 18 février). A critiquer Jospin, vous risquez de recevoir les foudres de quelques lecteurs, les mêmes qui m’ont et vous ont déjà fustigés.
    A moins que ce soient les équations de Navier-Stokes qui attirent des remarques…
    Bonne journée.

  2. Philippe PERSON dit :

    Me voilà ! Fidèle au poste…
    Je ne comprends pas le sens de votre article « descriptif » agrémenté de quelques piques.
    « l’élection présidentielle pour les Nuls » ? Mais bravo pour la synthèse de première qualité !
    Il aurait été intéressant que vous remontiez aux objectifs des pères fondateurs de la cinquième république et de la constitution du 4 octobre 1958. Il fallait redorer le rôle du président de la République, surtout avec le premier des Français a sa tête.
    On n’avait pas cherché à voir plus loin que lui. On s’est peu intéressé à sa succession d’où le système envisagé au départ. L’idée c’était que le Président ne procède pas directement du Parlement d’où un collège d’électeurs dépassant le total des parlementaires pour présenter les candidats.
    Il faut se souvenir aussi qu’avait été supprimée la clause d’interdiction de se présenter aux descendants des familles ayant régné en France. C’était donc une possibilité que De Gaulle adoube le comte de Paris pour lui succéder (comme Franco, le modèle du Général, choisira Juan Carlos en Espagne).
    Mais la réforme de 1962 a tout changé : finie l’idée qu’après De Gaulle, on retournerait à un système plus parlementaire où le président (ou le monarque) n’aurait qu’un rôle majeur qu’en cas de crises.
    La constitution modifiée a accouché d’un monstre : un président omnipotent pouvant en fait être un président de la quatrième. C’est ce qui est arrivé avec François Hollande, ne jouant vraiment un rôle présidentiel rassembleur qu’au au moment des hyper attentats (Charlie Hebdo, Le Bataclan).
    Quant à son successeur, on ne sait pas encore de quoi il est le nom. Est-il un technocrate choisi par les oligarques qui contrôlent la province européenne qu’est devenue la France ? Est-il un apprenti dictateur qui ne se contentera par des deux mandats qu’il peut accomplir ? Est-il au contraire le point zéro du politique n’agissant que pour réguler les émotions collectives (suscitées par les circonstances : gilets jaunes, pandémie, guerre) ? Ou autre chose ? Avec pour certains – qui s’illusionnent ou ont en fait raison contre mes insinuations – l’idée qu’il est l’alpha et l’omega de la modernité ? Celui qui répondra au désastre écologique à venir par la promesse d’une croissance de nouveau heureuse et fortement nucléarisée…

  3. Brocard Yves dit :

    A propos des équations de Navier-Stokes, en tant qu’ingénieur aérodynamicien, je les ai utilisées lors de mes premières années d’activité professionnelle. Pour améliorer les performances des avions de combat. Le Rafale en a peut-être profité, un tout petit peu. Puis, pour résoudre des problèmes d’écoulement dans les centrales nucléaires.
    Si j’avais écrit cela il y a six mois, quelles foudres n’aurais-je pas reçues ici-même. Aujourd’hui je vais passer pour un bienfaiteur de la paix et de l’écologie.
    Les temps changent, il suffit d’attendre. Sauf, à ce qu’il soit trop tard.
    Zut, je parle encore politique !
    Mais tout n’est-il pas politique, y compris, et heureusement, et peut-être – et surtout -, la culture.
    Re-bonne journée.

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