L’effet du logis

En 1975, alors que le Salon des Arts Ménagers bat son plein sous le toit du Grand Palais, 300 militantes du MLF investissent les lieux afin de signifier que l’attirail moderne des cuisines ne fait que confirmer l’asservissement de la femme à la maison. Et pour bien marquer le coup, elles parodient l’affiche du salon de 1930 qui présentait une fée du logis transformée en une bobonne mécanisée. Cette affiche, « La ménagère apprivoisée », assez remarquable par son rendu surréaliste (ci-contre) a été sortie des Archives Nationales afin de figurer dans une exposition qui vient de débuter à Pierrefitte-sur-Seine, et de retracer les arts ménagers qui ont donc fait salon de 1923 à 1983, sous l’égide de Jules-Louis Breton. Elle permet de mieux estimer le chemin parcouru dans ce domaine allant du robot-mixer au ramasse-miettes, du matelas chauffant à la desserte automatique. Hautement distrayante, riche en informations, elle nous apprend par exemple que la première photographie publiée par le journal Le Monde, en 1949, était justement une image du salon.

Tout cela paraît un peu lointain puisque aujourd’hui, le salon est permanent chez les distributeurs d’électro-ménager et la révolution de « l’atomixer » brocardée par Boris Vian,  s’est banalisée. Qui s’étonnerait encore d’un vulgaire grille-pain ou d’une machine à laver multi-programme. Cela n’a pas toujours été le cas, dès lors que dans les années d’après-guerre (la seconde), l’électricité n’équipait pas tous les foyers, loin s’en faut et, lorsque le fameux salon tombera en désuétude, en 1983, seuls 80% des ménages pouvaient se vanter d’avoir à la fois un réfrigérateur, un lave-linge et une télévision.

En tout cas, la contestation à l’égard de la femme au foyer viendra assez vite. C’est en 1936 que la femme de lettres et féministe Louise Weiss (1893-1983) choisira d’investir le Grand Palais afin d’y revendiquer le droit de vote des femmes, liberté qui n’interviendra qu’en 1944 grâce une ordonnance de De Gaulle. Louise Weiss cuisinera alors, avec des représentantes de l’association La Femme Nouvelle, devant une assemblée de journalistes convoqués pour un happening qui se voulait ironique et provocant. De fait et par la suite, les hommes sauront trouver le chemin de la cuisine tel l’acteur Lino Ventura qui viendra faire au salon, en 1959, une démonstration de ses talents sur le stand ultra-moderne (pour l’époque) du magazine Elle. C’était un cuisinier et un gourmet reconnu qui n’hésitait pas à cuire les pâtes sur le lieu de ses tournages comme dans « Un taxi pour Tobrouk ».

Les hommes, il en est aussi question, avec Francis Blanche et Pierre Dac qui tourneront un clip comique en 1951, mettant en scène deux clochards avinés, ébahis devant les progrès en cours. Visible dans la scénographie et aussi sur Youtube (1), ce film de moins de deux minutes est assez savoureux avec des histoires d’une mayonnaise qui monte toute seule sans « qu’on y d’mande rien » et de « pinard » que l’on peut mettre à rafraîchir au frigo plus efficacement qu’à l’ombre. Il y est aussi question d’un plateau magique (véridique) qui cuit les œufs en suspension dans les airs. Sans compter l’objet qui permet de sécher les cheveux d’une « chouette pépée » et les caleçons qu’on peut faire « cuire » dans une machine à laver.

Très reposante intellectuellement, l’exposition nous transpose dans le monde des bonimenteurs qui hurlaient sans relâche les éléments de langage de leurs démonstrations variées, au point que les commissaires du salon s’organisaient pour tenter d’éviter la cacophonie entre chaque stand (jusqu’à 1500 en 1952). C’était le « salon des désirs » comme le qualifiaient paraît-il les médias de la haute époque.

Ce qu’il y a de sûr aussi, c’est que l’organisateur et inventeur de la manifestation, Jules-Louis Breton, ne perdait pas le nord. Ce dirigeant de l’Office national des recherches scientifiques et industrielles (qui allait devenir le CNRS en 1939), outre son objectif de créer une émulation entre inventeurs, avait conçu et présenté avec ses fils en 1923, le « Moto-Laveur SACAM »(ci-contre) un lave-vaisselle que l’on nous dit avoir été le clou du salon de 1923. Il faudra néanmoins attendre 1957 pour que Frigidaire-General Motors-France frappe un grand coup avec la « Cuisine de l’an 2000 ». On n’hésite pas alors à prophétiser la « cuisine atomique » du futur tandis que certaines innovations finiront effectivement par se banaliser comme les plaques à induction ou le téléphone-télévision. Quant au frigo qui commande directement des yaourts dès qu’il détecte que le stock s’épuise, il a fait semble-t-il long feu. Mais ça va peut-être (re)venir.

Au 21e siècle, l’asservissement est sorti de la cuisine et les fées du logis ne pensent plus qu’au sexe si l’on en croit une fameuse série américaine. Si on se sert désormais d’un robot-mixeur d’une main distraite, c’est pour mieux surveiller tout ce qu’il advient sur nos téléphones intelligents. À vue de nez et quelle que soit l’heure, ils sont environ huit sur dix à ne pas lâcher l’affaire dans le métro. On le consulte discrètement en réunion, on l’emmène aux toilettes, il nous guide dans la rue, ils nous trouve des amants ou des amantes en parallèle de notre vie maritale officielle et encore, nous n’en serions qu’aux débuts. Dommage que Pierre Dac et Francis Blanche ne soient plus là pour s’en moquer. Heureusement que leurs héritiers s’en chargent.

PHB

« Au Salon des Arts Ménagers, 1923-1983 » Pierrefitte-sur-Seine (métro Saint-Denis Université), jusqu’au 16 juillet

(1) Regarder Pierre Dac et Francis Blanche dans « Le salon des arts ménagers »

Photos: ©PHB
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3 réponses à L’effet du logis

  1. Yves Brocard dit :

    Ah le progrès, dans la cuisine !
    Je suis surpris que vous disiez que le « Frigidaire » de General Electric ne soit apparu qu’en 1957. La marque a été créée en 1918 et fabriquait déjà des réfrigérateurs. Mes parents avaient un Frigidaire General Electrique datant du milieu des années 1930. Une armoire montée sur pieds, avec un gros cylindre sur le dessus qui enfermait la centrale de refroidissement. Il fonctionnait très bien, avec un bruit assez fort lorsqu’il se mettait en marche. Je m’en suis séparé (avec regret) lorsque j’ai dû vider la maison en 2005. Il avait parfaitement marché pendant 70 ans ! Le moteur avait été rembobiné, dans les années soixante, lorsque le courant est passé de 110 à 220 volts. On pouvait ouvrir la porte en appuyant sur une pédale. Très pratique quand on a les deux mains chargées de victuailles.
    Bonne journée

    • Vous avez raison, merci, c’est une erreur (corrigée). 1957 correspondait à l’année où la société Frigidaire-General Motors France, présentait la « Cuisine de l’an 2000 », « cuisine de l’âge atomique ».

  2. Philippe PERSON dit :

    Merci pour votre article, cher Philippe… et pour avoir retrouver le sketch de Pierre et Francis…
    Comme vous avez commencé par un jeu de mot sur l’effet du logis, je vais continuer par un classique :
    qui a été la première femme au foyer ?… Jeanne d’Arc

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