Regards de femmes sur la guerre

Le musée de la Libération de Paris vient d’ouvrir un questionnement subtil sur le sexe des photographes. Le travail des photo-reporters présents sur les zones de conflit serait en effet différent selon les genres. Les femmes apporteraient en effet quelque chose de singulier, ce que tente de démontrer une exposition qui vient de débuter, en affichant les œuvres réalisées sur le vif par huit femmes-photographes reconnues. La scénographie nous présente d’emblée Gerda Taro (1910-1937) de son vrai nom Gerta Pohorylle, saisie en l’occurrence (ci-contre) par l’objectif de Guillermo Fernández Zúñiga. Elle couvre la guerre civile espagnole en compagnie de Robert Capa avant d’être abattue en pleine action en 1937, près de Madrid. Son travail remarquable ne laisse guère percevoir un prisme particulièrement féminin mais, au contraire, tendrait plutôt à souligner que la prise de vue est asexuée.

Pourtant, il apparaît quelques différences. Mais qui ne sont pas dues à des considérations purement anatomiques et cérébrales. Il en est ainsi de Lee Miller (1907-1977), l’une des plus célèbres, pour avoir été notamment photographiée à sa toilette dans la baignoire de Hitler. Peu après le débarquement, en juillet 1944, l’armée américaine l’envoie couvrir l’intérieur d’un hôpital de campagne car le sujet est jugé, nous rapporte-t-on, plus « convenable » pour une femme. On ne sait pas si Lee Miller s’est offusquée de ce choix « genré » comme l’on dirait de nos jours, mais sa prise de vue d’un bloc opératoire en pleine intervention, n’est pas loin d’une réussite absolue. La lumière portée sur le chirurgien, l’ombre qui voile l’anesthésiste, le cadrage quasi-théâtral de la scène enfin, en disent long sur sa capacité à saisir une situation de guerre. « Just treat me like one of the boys », plaidait-elle.

Malheureusement, l’indélicatesse des hommes -exclusivement la leur pour le coup-, leur propension à déclencher des conflits barbares et leur constance lassante dans ce domaine, font que ce type d’exposition n’est jamais périmé. Le nouveau front qui vient de s’ouvrir en Ukraine en est la déplorable manifestation. Les photographes de guerre quant à eux,  vont chercher, figer une réalité que les belligérants et surtout l’agresseur, préféreraient taire, occulter, maquiller. Le statut de journaliste confère en outre aux clichés renseignés (lieu, date, qui, quoi, comment) une authenticité dont ont besoin les médias et l’opinion.

Opinion bien moins révoltée au passage, et si l’on a un peu de mémoire, par la seconde guerre en Irak, avec ses dizaines de milliers de morts causés par l’initiative imbécile d’un président matamore. L’exposition nous montre à ce sujet le travail de Carolyn Cole (1961-) comme cette prise de vue où des dizaines de corps de prisonniers irakiens sont couchés à terre après l’assaut d’un ancien poste de police à Kufa. Carolyn Coyle se limitait par principe au factuel, évitant tout effet de propagande dans un sens ou dans un autre. Elle se fixait en quelque sorte, un cadrage avant de cadrer. Nous pouvons voir (ci-contre) son autoportrait réalisé en 2018, bien avant son recrutement au Los Angeles Times en 1994. Elle a couvert la guerre du Kosovo, celle de l’Afghanistan, de Gaza et de l’Irak. Un travail suffisamment important qui lui a valu quelques distinctions, comme le Pulitzer.

Trophée également décroché par sa consœur, l’allemande Anja Niedringhaus, laquelle a suivi à peu près les mêmes conflits que la précédente. Sauf qu’en avril 2014 alors qu’elle se trouvait en Afghanistan au moment des élections présidentielles, elle fut froidement assassinée par un commandant de police au cri  de « Allahu Akbar ». L’une de ses photos  accrochées aux cimaises du musée, montre des enfants en train de jouer avec un téléphone dans les décombres d’une maison de Gaza en janvier 2009.

Les enfants qui persistent à s’amuser tandis que les grands s’écharpent, s’écorchent et s’éventrent, c’est une autre façon de voir les choses. Un cliché déconcertant de Christine Spengler (1945-) dévoile à ce propos un groupe de gosses hilares dans les eaux du Mékong en 1974, se servant de douilles d’obus en guise de bouées. Car elle voulait aussi montrer l’espoir, contrairement à un autre de ses tirages de la même année, ou un enfant pleure devant la dépouille emballée de son père. Le contraste entre les deux vues a du sens.

Ces approches relèveraient-elles en tout cas d’une sensibilité spécifiquement féminine comme cette exposition le sous-entend? Il est permis d’émettre un doute. Avec une plume ou un appareil photographique, le travail journalistique n’est guère dépendant de la civilité qui figure la pièce d’identité. L’une des plus célèbres photographies de guerre au monde, prise le 8 juin 1972 au Vietnam, celle d’une petite fille courant nue sur la route, le dos brûlé par le napalm, a été prise par un homme, Nick Ut. Le déclencheur aurait tout aussi bien pu être actionné par une femme, on en conviendra aisément.

Il n’en reste pas moins que la visite du Musée de la Libération fait œuvre utile, indépendamment du fait -et en empruntant à la poésie d’Apollinaire- que les leçons comme les souvenirs, imitent les « cors de chasse/dont meurt le bruit parmi le vent ».

PHB

« Femmes photographes de guerre » Musée de la Libération de Paris (Denfert-Rochereau), jusqu’au 31 décembre
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Une réponse à Regards de femmes sur la guerre

  1. Yves Brocard dit :

    Merci de nous ouvrir ainsi, de bon matin, les yeux sur le thème de cette exposition.
    Je ne sais si une autre photographe de guerre, amie de Lee Miller, mais moins connue en France, Margaret Bourke-White, est évoquée dans cette exposition. Elle a fait des photos étonnantes, notamment sur la grande dépression aux Etats-Unis en 1929. Elle fit avec Lee Miller les premières photos à l’ouverture du camp de concentration de Buchenwald. Il est intéressant de comparer leurs photographies des mêmes sujets (notamment de la fille du bourgmestre de Leipzig que celui-ci avait tuée, avant de se suicider) qui montrent un angle différent, une émotion différente.
    Comme vous le mentionnez, les femmes reporters de guerre n’avaient pas le droit d’être sur le front, là où la bataille avait lieu. Margaret Bourke-White explique dans sa biographie (je crois que je l’ai lu là) qu’elle voulait être dans le cockpit de l’avion de tête lors d’un bombardement par les alliés. Elle trouva le moyen pour obtenir cette dérogation, en couchant la nuit précédente avec le chef de l’expédition. Elle estimait que tous les moyens étaient bons pour faire le bon reportage.
    Je recommande vivement la lecture de sa biographie (qui malheureusement ne semble pas avoir été traduite en français) qui raconte « sa guerre » et bien d’autres choses passionnantes.
    Bonne journée.

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