La nostalgie du samouraï

Jusqu’en 1876, les samouraïs avaient encore le droit de porter le sabre. Mais en l’interdisant, l’époque impériale sous le règne de l’empereur Meiji (1868-1912), mit fin à cette longue période, à partir du 12e siècle, où il était prudent de réfléchir avant de défier ces guerriers japonais dont la légende ne s’est pas éteinte. L’exposition qui vient de s’ouvrir sur ce thème (après un report d’un an) au musée Guimet, nous fait rêver, eu égard à notre époque ou n’importe quel enquiquineur peut nous gâcher la journée. Car on imagine sans peine combien un entretien d’évaluation avec un supérieur prendrait une autre tournure, combien le ton changerait, si le salarié concerné portait un sabre à sa ceinture. Si le respect, le civisme et la courtoisie dans nos villes modernes ont disparu, c’est peut-être au fond qu’il nous manque un katana, non pour le sortir de son étui mais simplement parce qu’il pourrait en sortir. Encore une exposition qui nous offre, outre une leçon d’histoire, un beau motif de méditation.

Le samouraï nous explique-t-on, c’est toute une culture dont une remarquable série d’estampes et alignements d’objets. Le Musée Guimet nous permet d’en mesurer l’étendue et l’insigne valeur. C’est aussi une hiérarchie qui va du simple soldat aux grandes figures qu’étaient les daimyos et les shoguns. Le samouraï devait allégeance à ces derniers. Leur réputation en faisait des êtres loyaux quoique, comme le fait incidemment remarquer Vincent Lefèvre dans le fort beau catalogue de l’expo, il leur arrivait aussi de trahir, quitte à s’éventrer par la suite (seppuku) pour laver l’honneur du clan et éviter d’être exécuté. C’était aussi une culture en propre, dans la mesure où la pratique de la littérature, de la poésie ou du théâtre (kabuki) faisait partie de la panoplie du métier. Un ensemble qui n’est pas si éloigné du monde chevaleresque qui fit les beaux-jours de notre moyen-âge occidental. Vincent Lefèvre mentionne aussi la littérature et la poésie, double concept pacifique dont les shoguns et autres samouraïs se sont emparés, singulièrement en se frottant aux lettres chinoises et en s’adonnant aux poèmes de trente et une syllabes (waka). Pour faire court, il n’y avait pas que la baston sur la l’archipel et en outre, il ne faut pas oublier que le Japon connut une longue période (Edo) de paix entre 1603 et 1868. Le sabre pouvait rester au râtelier.

L’autre intérêt de cette riche exposition est de nous livrer un aspect de l’influence samouraï sur la culture occidentale. On pense évidemment au film de Melville (1967) mais aussi à « Ghost Dog » (1999) de Jim Jarmusch ou l’esprit samouraï s’infiltre dans la pègre américaine, avec en sus d’une violence naturelle, une bonne dose d’humour et de poésie. La galerie d’affiches sur ce thème du Musée Guimet, n’oublie pas l’invraisemblable « Kill Bill » (2003) où la splendide Uma Thurman découpe en rondelles un nombre impressionnant de fâcheux qui se mettent en travers de sa route. Sauf erreur, la scénographie ne mentionne pas « La princesse Mononoké » (1997) de Hayao Miyazaki, un film d’animation qui surpasse -encore aujourd’hui- tout ce qui a pu être réalisé dans ce domaine. Ne serait-ce que cette semaine, sort dans les salles obscures, « Jujutsu kaisen », un film d’animation du Coréen Park Sung-ho, inspiré de la culture manga, (« man » pour dessin et « ga »pour futile). L’affiche démontre bien que la culture du sabre n’a pas quitté ni le Japon ni le monde, ainsi que cela est détaillé dans la dernière partie du catalogue.

La voie du guerrier ou « bushido » est un code dont l’un des préceptes est de révoquer la peur. Ce code est omniprésent dans la culture samouraï y compris à travers les représentations contemporaines. D’ailleurs, avant les samouraïs, au 9e siècle, les guerriers s’appelaient bushi, lesquels se déterminaient déjà par l’usage d’un certain nombre de valeurs morales. Celles que l’on retrouve peu ou prou dans l’esprit chevaleresque de notre propre monde médiéval. Si l’on veut bien à ce titre, se rappeler de Pierre Terrail, seigneur de Bayard (15e-16e siècle), dont l’un de ses compagnons d’armes avait dit qu’il était « sans peur et sans reproche ». Position d’autant plus aisée à soutenir lorsque l’on est harnaché d’une cotte de mailles, coiffé d’un heaume, protégé par un bouclier et équipé d’une épée. Vu la tournure que prennent certains événements récents, cette exposition pressentie à juste titre comme intéressante, tient toutes ses promesses. Elle nous inspire à la sortie des envies de matériel défensif pour le moins inattendues, tels un arc et un carquois.  « Montjoie! », comme l’on criait de par chez nous, à Crécy ou Azincourt.

PHB

 

« L’arc et le sabre, imaginaire guerrier du Japon » jusqu’au 22 août 2022, Musée national des arts asiatiques Guimet

Photos: ©PHB

 

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4 réponses à La nostalgie du samouraï

  1. Marie J dit :

    Dans ses collections permanentes le musée Guimet a de splendides costumes de samouraïs

  2. Tristan Felix dit :

    Je vous adore écrivant cela avec l’intransigeance de l’élégance. Non mais ! J’irai.

  3. Merci Monsieur Bonnet pour vos articles souvent très savoureux et toujours instructifs ! Pour ce qui est de celui-ci, une remarque seulement : c’est « ga » qui signifie « art » « dessin ». Voici ce que j’ai trouvé dans Wikipédia : « Le mot japonais « manga » souvent traduit littéralement par « image dérisoire » ou « dessin non abouti », est composé de « ga » (画), qui désigne la représentation graphique (« dessin », « peinture » ou toute image dessinée — comme l’estampe), et « man » (漫), « involontaire », « divertissant », « sans but », mais aussi « exagérer », « déborder » (qui peut être interprété comme caricature), ainsi qu’« au fil de l’idée ». Ainsi on pourrait aussi bien traduire ce mot par « dessin au trait libre », « esquisse au gré de la fantaisie », « image malhabile » ou tout simplement caricature ou grotesque dans le sens de Léonard de Vinci. »

  4. Philippe PERSON dit :

    Juste une remarque… Dans Kill Bill, Tarantino s’inspire surtout des films de sabre de Hong Kong et n’est pas marqué vraiment par les films où les bretteurs sont des samouraïs.
    Les films qui inspirent beaucoup (certains diraient qu’il les recopie) notre Quentin sont les film de Chang Cheh. Et particulièrement son chef d’oeuvre : One armed swordman (1967) qu’on traduit en français par un titre qui résume entièrement le film : « Un seul bras les tuera tous ». Et je crois me souvenir que le manchot épéiste massacre un bon millier d’adversaire !
    Les films japonais où il y a des combattants à l’épée appartiennent au genre chambara et peuvent se passer dans le monde contemporain entre yakuzas par exemple…
    Personnellement je trouve tout à fait ridicule le film de Jarmusch…

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