Dernière couronne pour Michel Bouquet

Y croyait-il lui aussi aux « forces de l’esprit » ? Avec « Le promeneur du Champ-de-Mars », Michel Bouquet interprétait François Mitterrand lors de ses derniers vœux aux Français, séance durant laquelle le président prononça la fameuse phrase, suivie d’un « je ne vous quitterai pas ». Dans le film de Robert Guédiguian sorti en 2005, le personnage principal prend un ton amusé pour commenter sa prestation, avouant qu’il avait hésité à évoquer les « forces de l’esprit » mais qu’au fond il n’en était pas mécontent. De bout en bout, Michel Bouquet nous laisse médusés par ce rôle qui lui a valu un César du meilleur acteur. En raison de son physique peut-être, il est bien plus Mitterrand qu’un Podalydès ou un Dujardin se glissant dans la peau de Nicolas Sarkozy. Disparu le 13 avril à l’âge de 96 ans, Michel Bouquet avait littéralement avalé le personnage, au point de le faire revivre, ce qui était une façon de lui faire tenir la promesse présidentielle.

Le film est bien intéressant à revoir. Pas  seulement pour la prestation de Bouquet mais aussi parce qu’il nous fait mieux mesurer, depuis plus de vingt ans, la régression du débat politique. Il n’est qu’est de voir « En même temps », la drolatique comédie française réalisée par Gustave Kervern et Benoît Delépine, en ce moment dans les salles obscures, pour le constater. L’écriture inclusive, cette chose qui aurait sûrement fait horreur à l’ex-locataire de l’Élysée, y est au passage torpillée, alors que l’espoir d’en être débarrassé n’est pas pour demain.

Dans « Le promeneur du Champ-de-Mars » on a affaire au contraire à ce Mitterrand bien connu pour sa culture et son goût pour la littérature. Le titre fait référence au lieu de promenade qui jouxtait le dernier domicile du président jusqu’à sa mort. Le film raconte les derniers mois à l’Élysée, lorsque le journaliste et producteur Georges-Marc Benamou allait recueillir les confessions du chef de l’État afin d’en faire un livre. Le film constitue une sorte de making-off de cet ultime accompagnement. Michel Bouquet en président et Jalil Lespert en interviewer, forment un duo remarquable. On les voit ainsi dans un TGV en train de disserter sans interruption, du moins tant que la maladie ne fait pas grimacer de douleur l’homme de gauche. Évoquant d’ailleurs la haine qu’il suscite dans l’opposition, celui-ci laisse tomber goguenard: « S’ils me haïssent tant, c’est que je viens de chez eux. »

Et puis on l’entend interroger l’un de ses interlocuteurs, toujours lors de ce déplacement en train, sur la couleur de la France. Comme l’autre hésite à répondre faute de bien comprendre le sens de la question, Mitterrand répond que pour lui, « la couleur de la France c’est le gris, le gris profond avec beaucoup de nuances, il n’y a que les idiots pour dire du mal du gris ». Cependant que Jalil Lespert alias Georges-Marc Benamou, sort régulièrement du champ des amabilités et des bons échanges culturels afin d’évoquer le rôle de François Mitterrand à l’époque de Pétain. Tandis que son hôte ne cesse de botter en touche avec un sens de l’esquive digne d’un boxeur, de réfuter la moindre zone d’ombre. Alors le journaliste d’occasion s’échappe une semaine, « voir sa mère » lui dit-il, mais en fait il va enquêter à Vichy. Et quand il revient, ce président qui avait mis nombre de Français sur écoute dont l’actrice Carole Bouquet, l’interroge sur un ton doucereux où perce la toute puissance d’un chef de l’exécutif: « Elle habite Vichy, votre mère? » On le préfère certes davantage lorsqu’il évoque Alphonse de Lamartine sans cacher son admiration pour le séducteur et l’homme politique: « Rendez-vous compte qu’en 1848, il préconisait déjà de nationaliser les chemins de fer. »

Michel Bouquet a bien mérité la pluie d’hommages réservée à son endroit par les gazettes. Celui qui assurait au journal le Parisien en 2017 que jouer n’était pas un « amusement » mais un « devoir », avait mis de toute évidence cette maxime en pratique dans « Le promeneur du Champ-de-Mars ». Il y donnait toute sa force, toute son intelligence d’acteur accompli, lui qui croyait au cinéma, au théâtre et avait promis comme une évidence, qu’il nous quitterait un jour.

PHB

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Une réponse à Dernière couronne pour Michel Bouquet

  1. Philippe PERSON dit :

    bel article, Philippe. Mais je ne vous suis pas dans la « mitterrandolâtrie ». Si on en est là, le député de Chateau-Chinon y a sa part. Une part majeure. Lui et son alter ego JC qui lui succéda ont été les rois de la combine politique et ont largement contribué à la médiocrité abyssale actuelle. … Il faut relire Péan pour voir que Bénamou a été bien mou avec l’homme à la francisque…
    Personnellement, je préfère Bouquet dans bien d’autres rôles, à commencer par les six films qu’il a commis avec Chabrol, ou « Un condé » d’Yves Boisset…

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