Musique bucolique

Quoi de plus merveilleux que la musique dans un cadre bucolique ? Nous sommes encore nombreux à regretter le festival estival « Solistes aux Serres d’Auteuil » qui s’est déroulé dans la Serre aux azalées pendant près de vingt ans, chassé bien entendu par la dure loi du tennis-fric : plus de festival qui a révélé tant et tant d’artistes majeurs, et privatisation de la majorité du jardin pendant deux mois entiers (à partir du 25 avril) lors du tournoi international de trois semaines, une privatisation de l’espace public profondément scandaleuse. Peut-on espérer que la mairie de Paris prenne enfin conscience de ce scandale dont elle est responsable ? Mais heureusement, il suffit de se transporter non loin de là, toujours dans le bois de Boulogne, jusqu’à l’Orangerie du parc de Bagatelle, dès le week-end du 21 mai, pour assouvir passion musicale et florale. Quatorze ans maintenant que le festival «Les Musicales de Bagatelle» donne ce coup d’envoi printanier, accomplissant fidèlement sa vocation de découvreur de jeunes talents grâce au jury musique de la Fondation Banque Populaire.

Que de stars dans ce jury, dont la pianiste Claire Désert, l’alto Lise Berthaud, le trompettiste Romain Leleu, la première violon solo de l’Orchestre national de France Sarah Nemtanu, sans oublier le président Philippe Hersant, compositeur contemporain vétéran. Car ce jury se pique de découvrir aussi bien les futures gloires instrumentales que les compositeurs de demain. En 2021, il a distingué onze jeunes talents, dont le compositeur Julian Lembke (regard romantique sous la casquette…) et le Quatuor Elmire, qui sont au programme. Cette nouvelle «Génération Banque Populaire» ouvrira le bal le samedi 21 mai à 16h, nous entraînant dans un voyage entre la France et la Hongrie commençant avec Reynaldo Hahn (chéri de Proust) et Poulenc pour finir avec Bartok, en passant par Gershwin et Liszt. Voyage fantaisiste se prêtant tellement bien au cadre, à la flânerie d’avant et d’après concert dans les allées de Bagatelle et de sa roseraie qui devrait sentir bon en ce week-end.

À 18 heures, coup de théâtre avec une grande première baroque pour le festival. On se demande bien pourquoi il a fallu attendre si longtemps pour que le baroque, tellement à la mode depuis vingt ans, se fasse entendre dans la longue salle blanche ornée de grands bouquets printaniers avec vue sur la roseraie… Et il se pourrait bien que ce soit une première tout court, la longue salle étant essentiellement consacrée au piano depuis longtemps, alors que retentiront entre ces murs blancs le violon baroque de Stéphanie-Marie Degand, la viole de gambe de Hanna Salzenstein, le hautbois de Gabriel Pidoux et le clavecin de Orlando Bass. Imaginée par la célèbre violoniste Degand, rompue à l’ancien comme au moderne, ce voyage-là nous transportera de Bach à Vivaldi en passant par Zelenka (compositeur bohémien tchèque des 17ème et 18ème siècles) et autres raretés.
Le lendemain dimanche, à 17 h, carte blanche à une revenante de la « Fondation Populaire » après une absence de dix-neuf ans, la violoniste star Lise de la Salle, toujours aussi juvénile pourtant : elle interprétera la Sonate pour piano en si mineur de César Franck, puis accompagnera le jeune Quatuor Elmire, lauréat 2021, dans le Quintette pour piano et quatuor à cordes de César Franck (trois mouvements aux noms délicieux : molto moderato quasi lento–lento con molto sentimento-allegro non troppo ma con fuoco).

Et comme nous sommes dans la nature, même savamment domestiquée, mais avec de grands arbres et des échappées sur un ciel souvent spectaculaire, s’il fait beau ce jour-là, promeneurs et curieux auront pu assister à 15 heures en plein air à des «Métamorphoses» autour d’un nouvel instrument de percussion baptisé Métallophone, un grand clavier circulaire de 216 lames d’acier. La création mondiale en ayant été exécutée peu avant, le 8 mai, dans l’Auditorium de Radio-France, par les mêmes interprètes, la compagnie de percussionnistes «Les Insectes», sur une création du lauréat Bastien David. S’il ne fait pas assez beau, on se rabattra dans cette cette Orangerie abritant les palmiers l’hiver.

Le mois suivant, dans le même décor champêtre, ce sera le retour, après deux ans d’absence (covid oblige) du traditionnel et opulent « Festival Chopin », trente-septième du nom, du 18 juin au 14 juillet. On annonce, sans plus de commentaires, un «hommage à Beethoven par petites touches tout au long du festival», mais Chopin demeurera le compositeur roi de la session «À portes ouvertes» comme des sept concerts de l’après-midi (avec notamment Selim Mazari et le trio Alcaraz- Dehaene-Moreau, le petit frère du bien aimé Edgar Moreau), ou lors des sept Concerts du soir. Ces concerts aux chandelles sont la poésie même, puisque le soir, à l’entracte, quand la lune s’est levée sur la roseraie, les spectateurs parcourent lentement les allées selon le tracé de centaines, de milliers de bougies. Que des célébrités du clavier, cette année comme les autres, pour ces Concerts aux chandelles, dont François Dumont, le couple Amoyel-Bertand, David Lively ou François-Frédéric Guy. À la toute fin, dans la nuit bien avancée, il suffit de suivre les chandelles bordant le chemin entre les feuillages sombres pour arriver à la grille de sortie du parc.

Pour découvrir un autre site bucolique musical mais récent celui-là, il faut pousser jusqu’au Potager du Roi à Versailles, avec ses neuf hectares en plein cœur de la ville dépendant du domaine de Versailles : il fut aménagé pour Louis XIV par son jardinier-agronome Jean-Baptiste de la Quintinie et terminé en 1663 afin de fournir la table royale en fruits et légumes. Depuis, bien que classé monument historique et jardin remarquable, on avait depuis quelques décennies laissé les murs, les bâtiments et les quelque 4500 arbres fruitiers dépérir de façon angoissante. Et lors des deux premières saisons du festival de musique, on avait le cœur un peu serré, en parcourant les allées, à contempler le triste état de l’ensemble.

Et puis miracle, en avril dernier, on apprend la restauration complète du lieu sous la houlette de « l’École Nationale Supérieure du Paysage » installée sur place. On se rendra donc avec d’autant plus d’allégresse jusqu’à la cour de verdure où le maître es festival, l’homme de théâtre Jean-Paul Scarpitta, nous promet, pour cette troisième saison, un florilège de jeunes voix s’alliant aux instruments, et aux oiseaux d’alentour, naturellement.
Avec une belle énergie, le directeur musical a pérennisé l’événement lancé il y a trois ans pour secouer le silence ambiant en peine pandémie, et présente un programme opulent du 21 juin au 24 juillet prochains. Outre la mise en bouche du mardi 21 juin avec la « 7ème Symphonie » de Dvorak et la jeune soprano de vingt-neuf ans Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, les autres concerts se déroulent chaque week-end à 19 h et 21 h. Difficile de ne pas rester pour le deuxième concert, et s’il pleut, eh bien on sort le parapluie, tout simplement!

Lise Bloch-Morhange

 

Les Musicales de Bagatelle, 21 et 22 mai 2022
Festival Chopin à Bagatelle, 18 juin au 14 juillet 2022
Ideal au Potager du Roi, 21 juin au 24 juillet 2022

Photo (2): ©PHB
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4 réponses à Musique bucolique

  1. Jean-Loup Martin dit :

    Si je peux me permettre quelques petites corrections : Lise de La Salle est pianiste et non violoniste – et César Franck à ma connaissance n’a pas composé de sonate pour piano (on lui doit en revanche une merveilleuse Sonate pour violon et piano) ; si l’on se reporte au programme on s’aperçoit qu’il s’agit en fait de la Sonate de Liszt … A part ça votre article fait rêver : que de merveilles !

    • Lise Bloch-Morhange dit :

      Merci à vous de corriger mes étourderies! Le problème est qu’on ne reçoit plus de programmes imprimés, et qu’il faut jongler sur l’écran de l’ordinateur pour obtenir les informations! C’est plus écologique parait-il, mais cela ne facilite pas le travail, comme dans tant d’autres domaines. Et comme dans tant d’autres domaines, on devrait nous proposer des solutions écologiques mais non pénalisantes…

  2. Jean-Loup Martin dit :

    P.S. Le couple Amoyel-Bertand c’est en fait le couple Amoyel-Bertrand (Emmanuelle Bertrand, violoncelle; et Pascal Amoyel, piano).

  3. Krys dit :

    Il faudra ne pas oublier d’inviter notre mairesse la « bétoneuse » pour un concert à Bagatelle, un pur moment de bonheur, loin des rugissements du stade de Roland Garros, dévoreur des Serres d’Auteuil, monument historique si mal protégé. Encore bravo Lise pour vos invitations au voyage et au bonheur musical et floral.

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