Tueur en série

Il y a tout juste un siècle, devant la prison Saint Pierre, à Versailles, Henri Désiré Landru, 53 ans, gravissait les marches de l’abbaye de Monte-à-regrets, ainsi la gente malfrate dénommait-elle la guillotine. Maître de Moro-Giafferi, son défenseur, n’avait pu lui éviter d’être reconnu coupable de onze assassinats. Le Président de la République, Alexandre Millerand, avait refusé le recours en grâce. Anatole Deibler, l’exécuteur public, s’apprêtait à remplir son office. Tout cela avait mal débuté. Après avoir effectué nombre de petits boulots, n’en trouvant aucun à son goût, ayant une famille à nourrir, Landru s’était résolu à vivre d’expédients. Carambouilles, arnaques au cautionnement, vente d’objets inexistants donc jamais livrés, lui vaudront trois condamnations, tantôt fermes, tantôt par défaut, vu son habileté à multiplier les fausses identités. La quatrième, 4 ans par contumace, est assortie de la relégation. Si il est repris, il est bon pour le bagne de Cayenne, à perpèt’. Il en tire une conclusion : il doit assurer son impunité, se tenant prêt, au besoin, à la solution la plus radicale.

L’idée lui vient de développer l’escroquerie aux sentiments. La période s’y prête magnifiquement. La guerre, qui vient de débuter, a diminué l’effectif des hommes disponibles. Le pays est suffisamment désorganisé pour permettre à un aigrefin habile de se fondre dans l’anonymat. Landru va donc mener plusieurs vies sous des patronymes changeants, au hasard des rencontres. Il passera d’une adresse à une autre, d’une résidence secondaire à la suivante, à Gouvieux, puis à Vernouillet, enfin à la villa de Gambais. Il assure une  vie conjugale, amenant à son épouse, qui le croit brocanteur, une part de ses larcins.

Les proies qu’il vise sont des femmes seules, veuves le cas échéant, avec quelques économies, en mal de mari. L’appât prend la forme d’une petite annonce : «homme distingué, riche, recherche en vue mariage…..». Il se présente tour à tour ingénieur, industriel, attaché d’ambassade, commerçant en mirages. Une survivante racontera… les échanges de courriers (dont il a rédigé des modèles type) parcourant les différents stades de la correspondance amoureuse. Puis le premier rendez-vous, puis la première étreinte. Le gaillard n’hésite pas à payer de sa personne. Si tout se passe bien, il finit par se faire donner procuration sur le pécule de la dame, et le siphonne avant de se volatiliser. Il entretient plusieurs idylles à la fois, car il y aura 283 pigeonnes identifiées. Les dupes n’iront pas se plaindre, par crainte du ridicule. Dans quelques cas, certains entourages s’inquiètent de la disparition de leur parente, voisine, amie, fiancée à cet homme à l’élégante calvitie et à la barbe abondante. Sans résultats… Quand enfin, un jour néfaste, au bras d’une nouvelle maîtresse, il est reconnu, rue de Rivoli, sortant d’un magasin de vaisselles, La police l’arrête, le 8 avril 1919… Il se nomme alors Guillet.

L’instruction va durer deux ans et demi. Landru est convaincu de nombreux vols et abus de confiance, délits qu’il reconnaît. Il déplore qu’à cette occasion sa femme apprenne ses nombreuses infidélités. Mais soupçonné d’avoir tué dix femmes et le fils de l’une d’elles, il niera jusqu’au bout. Au reste, la dissimulation de cadavres ne constitue pas un obstacle insurmontable à l’action publique. Les perquisitions réalisées à Gambais permettent de retrouver des boutons, des morceaux de corsets calcinés, et cinq kilos d’ossements divers dont un de débris humains. Une faute de procédure empêchera qu’il en soit tenu compte dans le dossier.

En fait, Landru sera trahi par son extrême méticulosité. Il tenait registre de ses conquêtes Lorsqu’il parvenait à voler leurs meubles et affaires personnelles, il les revendait, indiquant la provenance et le prix qu’il en avait tiré. Au fil de ses livres de compte figurait l’acquisition d’une quantité impressionnante de lames de scies diverses. Son carnet personnel, à l’occasion, documentait l’achat de billets de train à destination de Gambais, à des dates précises, l’un aller-retour, l’autre aller simple. Des témoignages firent état que, parfois, la cheminée du pavillon qu’il louait émettait des fumées noires et nauséabondes. Bizarre ! Sa façon de procéder demeurera un mystère. Comment tuait il ? Strangulation ?
Empoisonnement ? Il devait, très vraisemblablement, découper les cadavres en tronçons, enterrés ensuite en forêt, ou balancés dans les lacs alentours. N’étaient incinérées que les parties identifiables, têtes, mains, pieds…

Tous ces éléments permirent aux magistrats et aux jurés de la cour d’assises de Seine et Oise de conclure à la culpabilité, en raison de l’existence d’un «faisceau d’indices graves, précis et concordants». La défense tentera d’instiller le doute, nécessairement profitable à l’accusé, en annonçant l’entrée imminente d’une prétendue disparue dans la salle d’audience : «vous avez tous tourné la tête», fit remarquer Moro-Giafferi aux jurés, «c’est donc que la culpabilité de mon client n’est pas certaine dans votre esprit !». Et l’avocat général de répondre : «Maître, Landru, lui, n’a pas tourné la tête !».

Débutant le 7 novembre 1921, le procès se déroula sur trois semaines. La foule se précipita, l’affiche étant alléchante. L’éloquence, le sens de la répartie et l’humour provocateur de l’accusé en firent un spectacle couru du Tout Paris… l’auteure Colette, à qui Landru fit demander un autographe, Raimu, Berthe Bovy, de la Comédie Française, Mistinguett, les princesses de Grèce et de Monaco etc… Au terme de huit heures de délibérations, l’accusé fut condamné «à avoir la tête tranchée sur une place publique», sentence qu’il entendit avec un sourire narquois.  N’avait il pas rétorqué au procureur, «je regrette de n’avoir qu’une tête à vous offrir». Durant sa détention, il recevra plus de 4000 lettres d’amour dont 800 propositions de mariage. Cette attirance de certaines femmes pour les grands criminels est connu des psychiatres sous l’appellation d’hybristophilie.

Épilogue, à 5h 25 du matin, le 27 février 1922, le cortège officiel vient réveiller Landru…
C’est l’heure… Son avocat lui demande une dernière fois des aveux. Il répond «cela, maître, c’est mon petit bagage». Il refuse d’entendre la messe, «pour ne pas faire attendre ces messieurs». Il décline la proposition du verre de rhum et de la cigarette,
«ceci n’étant pas bon pour la santé !». Son souhait d’un dernier bain de pieds est rejeté, de crainte d’une entourloupe. À l’aumônier lui demandant «Landru, croyez vous en Dieu ?», il aurait objecté «monsieur le curé, je vais mourir et vous me posez des devinettes !».
Le couperet tombé, le bourreau nota sur son journal de bord : «6h10, temps clair.»

 

Jean-Paul Demarez

Photo d’ouverture: agence Roll/Gallica
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