Le médiéval dans un bain de jouvence

C’était pour récompenser un fidèle parmi les fidèles que chaque année, le quatrième dimanche de Carême, le pape offrait à ce dernier une rose d’or. Celle-là a été acquise en 1854 par le Musée de Cluny. Une notice nous explique qu’elle provient de la cathédrale de Bâle. C’est la plus ancienne du genre, nous est-il également indiqué. Le pape Jean XXII en avait commandé l’exécution en 1330 à un artiste italien, Minucchio da Siena. Tout en délicatesse, elle a été disposée dans la salle 11 du musée de Cluny qui sort à peine d’un long bain de jouvence. Les travaux ont effectivement débuté en 2011 et il y avait foule, jeudi 12 mai, pour profiter des espaces intérieurs rénovés. Les Français aiment leur Moyen Âge, ils aiment rêver devant ses icônes, un bouclier de tournoi, jusqu’à cette rose qui ne s’est jamais fanée. Quant aux murs du musée, ils ne délivrent plus guère le bon parfum d’antan, celui que l’on trouve dans les anciennes demeures. C’est l’inconvénient du savon. Il stérilise quelque peu 1000 ans d’histoire et même 2000 si l’on prend en considération les thermes de Cluny qui sont accolés à l’ensemble.

Construits à la fin du premier siècle, ces thermes vivaient tranquillement leur élégante déchéance jusqu’à ce qu’en 1485, l’abbé Jacques d’Amboise décide de lancer la construction de l’hôtel de Cluny qui devint un musée au milieu du 19e siècle, avec au passage un classement protecteur. Ce bloc vient de s’enrichir d’une façade contemporaine, greffe dont il est permis de discuter la coloration rouillée. L’acceptation viendra de l’habitude. Sur ce point, à Paris, nous sommes rodés.

En revanche, le parcours chronologique ne manque pas d’intérêt, conduisant le visiteur d’abord dans l’enceinte antique puis dans les espaces médiévaux proprement dits. Les premiers pas s’effectuent donc dans le frigidarium, la salle froide qui complétait le tepidarium (bains tièdes) et  le caldarium (bains chauds) avant de continuer vers la partie médiévale refaite à neuf. Le cheminement nous fait découvrir maints trésors, des têtes de rois sans buste, des bustes sans la tête qui va avec, des boucliers magnifiquement décorés, des mouvements d’horlogerie anciens, des vierges à l’enfant, des ornements variés (vitraux, sculptures…) soit tout un long passé qui revient nous interpeller droit dans nos poulaines, chaussées pour l’occasion.

Le musée peut à juste titre, s’enorgueillir de deux pièces majeures qui attisent les compliments. D’une part les six tapisseries qui composent la tenture de « La Dame à la licorne » et, d’autre part une chapelle intelligemment dépouillée. Dans le premier cas, les six tapisseries géantes occupent toute une pièce avec au centre, de quoi s’asseoir afin de mieux les contempler. Elles représentent les cinq sens comme le toucher et l’odorat, sauf la sixième mystérieusement intitulée « À mon seul désir ». Et sur chacune figure une licorne, animal mythologique dit unicorne, dont le nom très récemment dévoyé, sert aussi à désigner une vulgaire start-up. La licorne médiévale était quant à elle, avant que les époques rationnelles n’y mettent un terme, attirée par la virginité. C’est pourquoi dans certains récits de chasse enjolivés par l’esprit de conte, une jeune fille vierge était emmenée par l’équipage pour attirer la bête. Réalisées entre la fin du 15e et du 16e siècle, ces tapisseries sont absolument remarquables en ce qu’elles dégagent de finesse dans le dessin et de goût dans le choix des couleurs accolées. Leurs armoiries ont permis d’identifier la famille commanditaire, les Le Viste, originaires de Lyon, ainsi qu’il est mentionné. En tout cas cela fait plaisir de se retrouver face à plusieurs licornes en se disant qu’elles n’étaient peut-être pas si mythologiques que ça et que l’on finira bien un jour, par retrouver un squelette de l’une d’entre elles.

Non loin de là, il y a de quoi être vivement saisi par la pièce de la chapelle construite sur des maçonneries romaines et ayant régulièrement été détournée de son objet d’origine afin de servir d’amphithéâtre de médecine ou d’imprimerie. Elle était reliée à la loge du rez-de-chaussée et au jardin par un escalier somptueusement dissimulé (ci-contre). Totalement déshabillée de ce qui pourrait gêner le regard, sa géométrie singulière nous apparaît en conséquence dans toute sa perfection. On dirait une chambre mentale de celles qui n’interviennent qu’en rêve, de ces songes qui laissent une impression étrange le matin au réveil, en conservant le mystère intact. Cet espace est peut-être le plus beau de tous. Et si une licorne devait réapparaître afin d’étriller quelque peu notre cartésianisme chronique, ce serait assurément par-là.

PHB

 

Musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge, 28 Rue du Sommerard, 75005 Paris

Photos: ©PHB

 

 

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Une réponse à Le médiéval dans un bain de jouvence

  1. Mèfi ! Maints « artistes contemporains » doivent déjà fort sérieusement se gratter la tête pour trouver par quel adéquat montage de dossier parvenir à s’y installer quelque temps en miroir aux frais de la princesse !

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