La fondation Verbeke, chamboule-tout du monde de l’art

Oubliez toutes les images de musées d’art moderne ou contemporain que vous auriez pu visiter un jour ou l’autre. Ne vous attendez pas à voir surgir au bout de la route un bâtiment moderne d’avant-garde, aux salles impeccablement blanches et lumineuses, renfermant une construction en acier tordu savamment poli. Nous sommes dans les Flandres belges, à une vingtaine de kilomètres d’Anvers, deuxième port d’Europe. Insérée dans un entrelacs serré d’autoroutes, la ville flamande de Kemzeke, qui appartient elle-même à la commune de Stekene (vérifiez que votre GPS soit bien à jour) n’aurait rien de particulier si ne s’y trouvait l’un des plus surprenants lieux d’exposition d’œuvres d’art en Europe. Des conteneurs empilés à la va-comme-je-te-pousse, des carcasses de grues parfois gigantesques, une vieille enseigne qui dut autrefois signaler la présence d’un fast-food urbain : vous y êtes.

Ouvert en 2007, le lieu tient tout à la fois d’un parc d’attractions, d’un cabinet de curiosités et d’une friche industrielle en reconversion. Pas de parcours fléché. Très peu de cartels, peu ou pas d’explications. On se surprend à y jouer l’explorateur, avec une vraie jouissance. C’est d’ailleurs le but clairement exprimé  par les promoteurs et inventeurs, Geert et Clara Verbeke : «Notre espace d’exposition ne se veut pas une oasis. Notre présentation est inachevée, en mouvement, brute, contradictoire, désordonnée, complexe, inharmonieuse, vivante et non monumentale.»

Le visiteur qui devient ainsi une sorte de Géo Trouvetou, peut à son rythme, se promener sur un terrain de 12 hectares et découvrir des œuvres assez hétéroclites se confondant parfois avec la nature. Au hasard de sa démarche, il verra des véhicules de travaux publics plus ou moins abandonnés, des carlingues d’avion, des assemblages de vieilles machines à laver. Une vieille Renault 4 L que la mousse recouvre peu à peu. Une pale d’éolienne fichée à la verticale dans le sol. Un pylône électrique, qui, lui, est posé à l’horizontale. Ce n’est rien et ça change tout.

À l’approche d’un chemin herbu, un panneau signale la proximité d’une autoroute. La voici, un peu plus loin, avec ses bandes blanches, ses glissières de sécurité, et même son lampadaire d’éclairage (les autoroutes belges sont éclairées). Mais… cette autoroute ne mesure qu’un mètre de long. Plus loin, une haute tour, dans le style Babel (ci-contre), est constituée de blocs de béton initialement prévus pour la construction d’un auditorium. À l’intérieur, un fascinant jeu de lumières. Voici encore une forêt de peupliers. Les arbres poussent au milieu d’un échafaudage récupéré lors de la rénovation d’une chapelle voisine. L’installation a les dimensions exactes de l’édifice. Dernière acquisition : un vieil hélicoptère russe, le plus grand du monde. Lorsqu’il fallut l’installer, Geert se souvint qu’il fut transporteur. Il sait résoudre les plus complexes problèmes de logistique. Beaucoup d’œuvres gigantesques présentées ici ne l’auraient pas été sans cette capacité professionnelle.

C’est d’ailleurs en partie grâce à son premier métier de transporteur – il dirigea une importante entreprise pendant plusieurs décennies – que Geert Verbeke s’intéressa à l’art moderne. Chargé un jour de transporter de lourdes sculptures en pierre d’un plasticien belge, il se piqua au jeu et s’intéressa de près à la création contemporaine. Peu à peu, il devint collectionneur, principalement de collages et assemblages graphiques réalisés à partir des années 1920. Cette passion devint impérative : à l’âge de 50 ans, il décida de revendre sa société pour se consacrer exclusivement à sa fondation, sur le lieu même de l’ancienne maison de transports. Les vastes bâtiments qui abritaient auparavant bureaux et camions, au total 20.000 m2, accueillent désormais les collections les plus diverses, avec notamment plusieurs milliers d’animaux naturalisés. À y regarder de plus près, certains de ces animaux ont récupéré les pattes ou le bec d’une autre espèce… La visite réserve bien d’autres surprises. Ces créations émanent pour la plupart de plasticiens belges ou néerlandais .

Le quinzième anniversaire de la fondation sera célébré le 12 juin prochain. Elle sera marquée par de nouveaux accrochages et aussi la publication d’un nouveau catalogue de la collection personnelle (un millier de pages). Forte de 6.000 pièces parmi lesquelles le surréalisme et le dadaïsme occupent une place de choix, cette collection de collages et assemblages graphiques est vraisemblablement la plus importante d’Europe. Il n’y aura pas pour autant de vernissage ou de cérémonie officielle : ce n’est pas le genre de la maison.

Pendant les quinze années de sa nouvelle vie, Geert (ci-contre) n’a rien perdu de son enthousiasme. Proclamant haut et fort sa liberté, il refuse toute aide publique. Autodidacte, débarrassé de tout complexe, il se soucie peu de la critique institutionnelle et n’établit aucune hiérarchie entre les œuvres. «L’art est fait pour être vu» dit-il simplement. Sa seule revendication, c’est son admiration pour le mouvement dada dont il se sent proche. À chacune des élections auxquelles il participe (le vote est obligatoire en Belgique) il prend un malin plaisir à écrire au stylo rouge sur le bulletin «Dada 1917». Lors du dépouillement, chacun sait que ce bulletin vient de Geert Verbeke.

                                         Gérard Goutierre

Photos: ©Gérard Goutierre

Verbeke Foundation,
Westakker, 9190 Kemzeke (Stekene) Belgique.
Du jeudi au dimanche 11h-18h
Tél: 32 (0)3 789 22 07

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2 réponses à La fondation Verbeke, chamboule-tout du monde de l’art

  1. A choisir, j’irais plutôt à Disneyland !

  2. GUINARD CAROLE dit :

    Je ne pense pas faire le voyage Nice-Kemzeke pour voir cette fondation originale, d’esprit dadaïste comme on les aime, mais merci quand même à Gérard Goutierre, géo trouve-tout du journalisme de l’insolite, pour cette nouvelle pépite belge !

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