Vogue la paroisse

Ce vitrail possède une singularité rare: il est à quai. Voué à Notre Dame des Eaux, il occupe l’un des hublots d’un bateau amarré sur la promenade François Mitterrand à Conflans-Sainte-Honorine. Sa transparence diffuse une fine lumière au sein d’un navire qui fait office depuis des décennies d’une paroisse fluviale. À l’origine, en 1919, son rôle était le transport du charbon. Depuis 1936, sauf quelques épisodes d’hébergement social, il est pratiquement resté une paroisse pour les mariniers, où la messe continue d’être dite chaque semaine, si l’on se fie aux horaires affichés. Peint en bleu et blanc, il pourrait laisser croire à la pratique d’une liturgie de type grec, mais non. Sa présence n’est pas illogique au pied de l’une des capitales françaises de la batellerie mais pour le promeneur venu s’incliner devant le vaste confluent de la Seine et de l’Oise, en bout de quai, c’est assurément une surprise. Celle d’un monde littéralement flottant comme l’ont conceptualisé les Japonais.

C’est à cet endroit précis que l’on vit passer, au début du 9e siècle, les milliers de Vikings qui après avoir saccagé Rouen, décidèrent de pousser leur avantage jusqu’à Paris. Ils étaient bien renseignés sur la géographie française, car ils auraient pu remonter l’Oise ce qu’ils ont sans doute fait en partie. Si l’on en croit les historiens, outre le goût de la rapine et de la mise à sac, ils avaient également une dent contre les chrétiens et les religieux. Ils massacrèrent tous ceux qui n’avaient pu s’enfuir, car ils avaient une grosse réputation à soutenir. On peut les imaginer sans peine déboulant plein pot sur leurs vaisseaux de guerre à ce croisement stratégique, puis réfléchir sur la direction à prendre. Conflans comme son nom l’indique, c’est la fusion de deux cours d’eau, avec la séquence d’avant et la séquence d’après. C’est là que l’Oise s’éteint pour grossir la Seine, déjà gonflée par la Marne.

Cependant il en est de ce bateau battant pavillon chrétien comme de certaines péniches parisiennes qui ne quittent jamais leur emplacement. Un navire c’est tout de même fait pour bouger, hisser les voiles quand il y en a, lever l’ancre, larguer les amarres pour d’autres horizons. Celui de Conflans pourrait donc porter la bonne parole ailleurs si l’on se réfère aux préceptes de base du christianisme prononcés il y a quelque deux mille ans. Partir en croisière sacerdotale, cela aurait quand même une certaine gueule de nos jours, quand un simple numéro de sécurité sociale vaut bien davantage qu’un certificat de baptême.

Son statut de bateau à fond plat, qui plus est en ciment armé selon une notice descriptive du ministère de la culture (1), lui interdit cependant la navigation sur les océans. Mais la carte européenne des voies fluviales, en dépit d’une géographie complexe où la ligne droite n’existe pas, lui permettrait de relier par exemple la Mer Noire. Ce qui représenterait, en lieu et place d’un stationnement contre-nature, un beau périple. Au cours duquel il pourrait même changer de vocation, vu que ses soixante-dix mètres n’accueillent pas seulement une chapelle, mais aussi une sorte de comptoir semi-circulaire qui pourrait tout aussi bien faire office de bar. D’autant qu’il a été rebaptisé « Je sers » avec son changement de fonction (« Langemark » à ses débuts) appellation qui s’inverserait facilement vers le monde affable des happy hours.

Le panneau de pierre planté devant, destiné à renseigner les touristes, précisant que le bateau a également servi d’hôpital durant la seconde guerre, il n’en serait pas un détournement d’usage près. Si la futile hypothèse est plaisante, juste bonne pour faire la conversation, il serait significativement impie de trahir sa vocation actuelle en général et Notre Dame des Eaux en particulier. Mais l’idée qu’un bateau n’est pas fait pour être amarré ad vitam aeternam, s’entête. L’Église ayant toujours un peu de mal à faire venir ses ouailles le dimanche matin, l’idée d’une messe itinérante, transformant le fidèle en marin d’eau douce le temps d’un office, est une option (de plaisance) à creuser.

PHB

(1) La fiche du ministère de la culture
(2) La carte européenne des voies navigables

Photos: ©PHB

 

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Une réponse à Vogue la paroisse

  1. Marie-Hélène Fauveau dit :

    Merci pour ce plaisant billet avec son pesant d’actualités et toujours ce qu’il faut de culture générale…
    bonne journée

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