L’artiste bourlingueur Thomas Tronel-Gauthier, est venu ce printemps ranimer les cendres de l’ancien volcan qui n’attendait que ça. Pour preuve les deux musées d’Aurillac ont eu la bonne idée d’accueillir en résidence le sculpteur plasticien qui auparavant avait posé ses valises, et surtout son regard, dans différentes régions de France et des contrées plus lointaines comme New York ou la Polynésie. Cette question du voyage est importante chez Thomas Tronel-Gauthier dont le travail interroge autant la nature en mouvement que les traces du temps et de l’action humaine sur les matériaux, tout en réfléchissant à leur devenir. Entre le Muséum des volcans et le Musée d’art et d’archéologie, dialoguent ses œuvres directement inspirées de sa parenthèse cantalienne avec ses créations plus anciennes réalisées au cours d’une quinzaine d’années. Il est d’ailleurs intéressant d’observer les constantes qui aiguisent son inspiration et les créations plus spécifiques liées à son séjour. Avec toujours un fil conducteur, le territoire, de ses fragments les plus modestes à ses paysages les plus vastes.
Quelle que soit la matière, Thomas Tronel-Gauthier, en saisit l’empreinte, se coule dans ses interstices, la retourne, en fait exploser l’échelle, pour en restituer une œuvre polymorphe faisant appel à la sculpture, la photographie, le dessin… et qui toujours stimule la réflexion et l’imaginaire.
Après les mois de réclusion générale liés à la pandémie, cet artiste qui aime bousculer ses repères visuels et esthétiques au gré des voyages, a pu retrouver sa respiration artistique d’abord dans le Vercors puis dans le Cantal. De façon inattendue, les paysages volcaniques lui ont suggéré des images maritimes, d’où le titre de l’exposition «Une mer de montagnes sur les ruines du volcan» et l’ont ramené à ses méditations sur l’insularité commencées à New York et nourries par le Brexit (Water & Words, au Musée d’art) poursuivi aux Marquises et enfin en Auvergne. Pour Thomas Tronel-Gauthier, le Cantal est une île, chaque vallée est une île… Mais ces morceaux de terre peuvent se rejoindre par la magie d’une exposition, comme Les Émergées (Muséum), cartographie explosée du Vercors et du Cantal en autant de pièces de résine blanche sur mur noir. La navigation peut prendre un côté ludique avec les malles au trésor : « L’île engloutie et l’île engloutie # 2 », (dans les deux musées, photo ci-dessous) vieux coffres en bois contenant d’un côté le moulage en silicone gris, ici de l’île Hiva Oa, là du Cantal, et de l’autre, le relief inversé en résine teintée, créant en creux de nouveaux paysages. Ce retournement offre une nouvelle image du Cantal en forme de cœur parfaitement inédite jusque-là.
L’attrait principal de la résidence cantalienne pour Thomas qui avoue une passion pour les musées d’histoire naturelle, était de travailler au sein du Muséum des Volcans et d’avoir à portée de mains les collections paléobotanique et paléontologique. Pour lui, ces lieux représentent la mémoire du monde, ce même monde qu’il arpente sans relâche. Il a alterné expéditions de découverte du plus grand volcan éteint d’Europe et immersion dans les collections, allers-retours nourris de dialogues féconds avec Arnaud Dardon, chargé de collections du Muséum et très heureux de s’impliquer dans le processus artistique de Thomas. La fascination pour une mémoire incrustée dans les roches comme dans les végétaux, alliée à une curiosité pour l’histoire humaine, mais avec un constant questionnement sur les enjeux actuels, se lisent dans les œuvres avec lesquelles il bouleverse l’ordre des choses, donnant vie à des fossiles, comme ces sigillaires, plantes du Carbonifère, qui deviennent arbre en pleine croissance, sigillaria vertebrae.
De l’infiniment petit, des minéraux incrustés dans des lames de roches pour microscope, il change d’échelle, créant par la magie du numérique et des lumières polarisantes, des plaques verticales comme autant de tableaux colorés, série « Les mégalithes de l’inframince ». Parcourir la salle du Muséum, est donc un voyage dans le temps et une façon de voir le monde saisi par Thomas Tronel-Gauthier et reconstruit avec une grâce et une minutie captivantes (en bonus une leçon de choses bien utile). En effet, à rebours des modes et de son enseignement, il ne renie pas la beauté mais au contraire sait la capter et surtout en créer. Ses influences sont donc à trouver du côté de l’Arte Povera et du Land art. Voir par exemple comment se répondent les superbes pièces des collections du Muséum et les créations de l’artiste : « Cavity avec un Mésolite » (Poonah, Inde), ou bien, « L’Hippurite » retrouvée (impression 3D) avec son «ancêtre» du Crétacé.
Si ce travail produit et suscite de nombreux récits, il distille aussi une pensée discrète mais jamais neutre. L’artiste ne porte pas ses idées politiques et sociales en étendard mais il préfère les diffuser subtilement au cœur de ses œuvres. À chacun de les recevoir, au creux d’une huître polynésienne où il a gravé dans la nacre un champignon atomique, « Les Oracles # 3 », ou encore dans les encres de chine déjà citées « Water & Words » (Musée d’art). Une de ses œuvres les plus étonnantes est sans doute « Crack Propagation » (ci-contre), réalisée à Manhattan. Deux bronzes très fins, fichés dans des socles de béton, bruts d’un côté et polis de l’autre, qui résultent du moulage de fissures qui craquèlent les sols de New York, y compris au pied des gratte-ciels les plus arrogants. Il a vu dans ces failles une parabole de la fragilité et de la vanité du monde qui pourraient aller en s’aggravant…
Depuis ses débuts Thomas Tronel-Gauthier travaille sur l’empreinte et le moulage, et nombre des pièces exposées rendent compte à la fois de de la constance et de diversité de sa démarche, notamment avec les fragments prélevés dans les estrans, ces zones de balancement des marées, où l’eau et le vent dessinent des motifs sur le sable, destinés à l’éphémère mais qui deviennent permanence à travers ses œuvres. Qu’elles aient l’air naturelles, « Corail de terre # 1 et #2 » (Muséum), soient traitées en résine teintée, série « The last piece of wateland » ou bien soient rendues précieuse sous un recouvrement à la feuille d’or, « La mécanique des fluides » (Musée d’art).
Cette grande exposition, répartie sur deux lieux est l’occasion de suivre l’empreinte de Thomas Tronel-Gauthier sur ce monde qui l’émerveille et l’inquiète tant. Bouleversante et respectueuse à la fois son œuvre nous rappelle que la beauté de la planète était là bien avant nous et qu’elle nous survivra. Entre temps, l’art lui rend hommage en la réinventant.
Marie-Françoise Laborde
Une mer de montagnes sur les ruines du volcan
Muséum des Volcans – Musée d’art et d’archéologie. Aurillac Cantal
19 juin-6 novembre 2022
www.thomastronelgauthier.com
Photos: ©Pierre Soissons / Musées d’Aurillac
Que fait notre ami André Lombard ! Il est en vacances ? En général, il réagi au quart de tour devant ces « artistes »…. Je lui conseillerai à lui et à tout le monde de lire ou relire « Les Chroniques de Bustos Domecq » de Jorge Luis Borges et Antonio Bioy Casares qui s’amusaient il y a plus d’un demi siècle à inventer des « artistes contemporains », comme celui qui saisissait l’espace entre les choses…
TTG y aurait eu sa place. Bravo à lui de saisir le monde moderne et post-mortem et sa valeur suprême, Ze Dollar…
Si je le rencontrai, j’aimerais qu’il me dessine un mouton… On sait d’avance que l’animal serait carré, ou non, peut-être serait-il rond…
Merveilleux article ! Et quel titre pour une exposition au cœur des Volcans ! Merci