Au milieu de la vie nous sommes dans la mort…

… ainsi est-il écrit dans la liturgie catholique afin d’accompagner les défunts comme il sied. Ainsi était-il chanté pour les funérailles de la reine Mary II en 1694 avec une musique composée par Henry Purcell (1658-1695). Ce qui fait le lien avec la reine Elizabeth qui vient de mourir et en dehors du fait qu’il s’agissait de deux souveraines du même pays, c’est que la cérémonie a eu notamment lieu dans l’abbaye de Westminster, là où le musicien a été inhumé, près de l’orgue. Sa musique n’a pas été jouée sauf erreur mais cette relative coïncidence n’est pas sans nous rappeler l’album enregistré en 1977, « Music for Queen Mary » soit de la merveilleuse matière baroque pour célébrer le « jour triomphal » de l’anniversaire de Mary II. Et suivie comme de juste par l’accompagnement voué aux funérailles de la très jeune reine, morte de la variole à 32 ans. Le tout était dirigé par le toujours vivant John Eliot Gardiner (1943-) qui avait détaillé à l’intérieur de la pochette, le passionnant contexte de la composition jouée pour la souveraine.

Il nous apprend que Purcell était l’un de ceux qui écrivit le plus pour Mary II, à l’occasion de ses anniversaires. Et qu’en 1694 il fut d’ailleurs légèrement débordé puisqu’il dut passer, quasiment sans transition, de l’anniversaire aux funérailles. Et sans se douter qu’il allait lui-même mourir quelque huit mois plus tard au son de sa propre partition. « Allons fils des Muses », l’un de ses odes les plus convaincantes entrait donc en résonance (en l’occurrence face B sur le disque Erato) avec « Au milieu de la vie nous sommes dans la mort » texte un brin moins primesautier on l’admettra facilement.

L’actualité fait qu’il est plus cohérent de parler de la deuxième partie. John Eliot Gardiner nous raconte que les préparatifs des funérailles avaient duré deux mois. Le protocole avait été un peu pris de court à cause de cette épidémie de variole qui frappait vite et ne faisait pas le tri en gueux et nobles. Trois cents femmes vêtues de noir et de condition modeste avaient suivi Mary II jusqu’à Westminster Abbey, au son des harmonies de Purcell. Le chef d’orchestre nous livre au passage une précision amusante selon laquelle la « marche » avait été écrite à l’origine pour « The Libertine » du dramaturge Thomas Shadwell (1642-1692) qui s’était inspiré pour ce faire de la légende Don Juan. Ce qui compte on le sait c’est l’intention, mais le télescopage des deux genres peut encore faire sourire. Et il fallut donc remettre le couvert pour celui dont l’écrivain John Evelyn (1620-1706) disait: « feu Monsieur Purcell, considéré comme le meilleur compositeur que l’Angleterre ait eu jusqu’à nos jours. »

Et c’est encore plus vrai de ses odes composées pour les anniversaires de la reine où il oppose les chœurs (antiphonie) avec une maîtrise et un esthétisme qui laissent pantois. Commencer une journée par « allons allons fils de muses (…), faites retentir la viole, jouez du luth, réveillez la harpe et inspirez la flûte, chantez les louanges de votre protectrice, par des chants gais et mélodieux », voilà de quoi chasser les humeurs peccantes qui nous assaillent parfois dès le réveil.

Quand on est un grand de ce monde ou que l’on en a plus simplement les moyens (tel le cinéaste John Huston à ses retours de chasse paraît-il), il est toujours tentant de convoquer l’orchestre pour marquer une occasion. On a appris que la chancelière Angela Merkel n’avait pas hésité à la fin de l’année dernière et pour son pot de départ, à faire jouer une chanson (« Du hast den Farbfilm vergessen ») de Nina Hagen, par la fanfare militaire de l’armée nationale (1-2). Évidemment avec Nina Hagen, nous sommes à une ou deux années lumière de Purcell. De même que Madame Merkel n’a pas grand-chose à voir avec une reine. Mais il y a quelque chose de réjouissant à faire jouer un morceau représentatif d’une icône punk, décadente, géniale et drôle, pour une cérémonie d’adieux. Il est vrai qu’elles avaient connu l’une et l’autre l’Allemagne de l’Est, ce qui crée des liens.

PHB

(1) Information du Tagesspiegel, citée par Courrier International
(2) Écouter « Du hast den Farbfilm vergessen » (Tu as oublié la pellicule couleur)

Illustration: détail de la couverture du disque Erato (1977)
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2 réponses à Au milieu de la vie nous sommes dans la mort…

  1. Philippe PERSON dit :

    Nina et Angela, voilà un beau titre pour explorer la relation entre les deux Allemandes les plus célèbres depuis 1945… Comme Marilyn et John…
    Dommage que Fassbinder soit mort à 37 ans pour en tirer un film torride et impudique…
    37 ans… C’est plus ou moins l’âge où Purcell est mort… Quelle créativité en si peu d’années !!!
    Une chronique qui donne envie d’écouter King Arthur dans la foulée…

  2. anne chantal dit :

    King Arthur et Didon et Enée !! … la mort de Didon ….

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