C’est dans cette «bicoque» qu’est né le Boléro de Ravel

En 1921, Maurice Ravel a 45 ans. C’est un compositeur connu et reconnu, mais il ne jouit pas encore de la célébrité mondiale que lui conférera quelques années plus tard le fameux « Boléro ». Avec son frère Édouard, dont il est très proche, il doit quitter l’appartement parisien de l’avenue Carnot où est décédée sa mère en 1917, disparition dont il ne se consolera jamais vraiment. Par ailleurs, les médecins lui recommandent de s’éloigner de Paris pour raisons de santé, afin d’échapper aux miasmes de la grande ville et retrouver l’air sain de la campagne. Il demande alors à la fille d’un ami critique musical, Georgette Marnold, de lui trouver «une bicoque, à 30 kilomètres au moins de Paris» en ajoutant, sans doute avec une pointe d’humour : «Je pense quelquefois à un admirable couvent en Espagne, mais, sans la foi, ce serait complément idiot.» Le choix s’arrête sur une villa assez originale de Montfort l’Amaury, en Seine et Oise (aujourd’hui Yvelines) à une cinquantaine de kilomètres de Paris, petite ville déjà fréquentée par le beau monde de l’époque.

Située au tournant d’une route assez pentue, la maison (ci-dessus) est facilement repérable, puisqu’elle possède une tour carrée dans le genre pigeonnier. Cette «bicoque» porte un nom : «Le Belvédère». Elle offre un jolie vue panoramique sur le village avec son église et sur la campagne environnante, en particulier la forêt de Rambouillet. Maurice Ravel occupera cette demeure pratiquement jusqu’à sa mort en 1937, alternant longs séjours à Montfort, soirées parisiennes et déplacements à l’étranger (la célébrité s’amplifiant d’année en année, on le réclamait un peu partout).

Visiter aujourd’hui ce lieu dont le décor a été préservé est une émouvante expérience. Si l’exiguïté des pièces limite la visite à six personnes, cela permet de pénétrer dans l’intimité d’un homme dont on connaît la pudeur et dont la personnalité profonde garde une part de mystère. Pour les mélomanes japonais, qui représentent un fort pourcentage des 2.000 visiteurs annuels, se rendre à Montfort l’Amaury constitue un véritable pèlerinage.
Dès l’entrée, on comprend que l’on ait souvent parlé souvent d’une «maison de poupée», en rappelant par la même occasion la petite taille du compositeur. Plusieurs pièces se succèdent tout au long d’une étroit couloir faisant penser à l’intérieur d’une péniche. Ravel veilla particulièrement à la décoration. Lui dont l’esthétique musicale se résume au fameux «Rien de trop» (formule du chef d’orchestre Roland Manuel) prend ici plaisir à accumuler les objets : bibelots fragiles, porcelaines anciennes, lampes à globe et autres objets de curiosité, dont un oiseau siffleur qu’il devait sans doute faire admirer de ses amis. Il conçoit lui-même certaines frises sur les murs, dessine le dossier d’une chaise «directoire», et dispose très méticuleusement les objets. Nombreuses, les boîtes à jeux l’aidaient peut-être à occuper ses insomnies : «le Forgeron embarrassé»; «le Chasseur et sa casquette», «le Jeu des araignées et de la mouche»… Chinoiseries ou japonaiseries occupent une place de choix, et le goût de l’enfance transparaît. Il ne faudrait pas se forcer beaucoup pour imaginer un décor de «L’Enfant et les sortilèges». De même, c’est avec beaucoup de soin que Ravel aménagea le jardin, faisant planter des espèces orientales et veillant à une disposition savamment ordonnée.

Le compositeur n’est pas seulement un esthète. Le Belvédère offre sans doute la tranquillité mais la maison manque de confort. L’hiver, il peut y faire un froid glacial. Ravel fera installer le chauffage central et l’eau chaude dans la salle de bains, avec baignoire (on le sait très soucieux de son apparence). Il possédera très tôt un téléphone (le 89 à Montfort) et s’équipera d’une radio et d’un tourne-disques de la meilleure qualité.
La chambre de musique (photo) surprend par sa petitesse. Le piano demi-queue Érard occupe la moitié de l’espace et lorsqu’il doit reporter ses trouvailles sur une partition, il le fait sur un bureau minuscule. C’est en tout cas sur ce bureau que Ravel composa ses pages symphoniques les plus célèbres (et les plus jouées) comme le concerto en sol créé en 1932 par Marguerite Long, et le concerto pour la main gauche, créé, également en 1932, par son dédicataire Paul Wittgenstein, qui avait perdu un bras à la guerre.

Quelques années plus tôt, en 1928, répondant à une demande de la chorégraphe Ida Rubinstein, Maurice Ravel créait son « Boléro », dont le thème avait sans doute d’abord été tapoté sur les touches de l’Érard. Le succès fut immédiat. L’œuvre de Ravel, on le sait, occupa pendant plusieurs décennies la première place mondiale en terme de droits d’auteur, toutes musiques confondues. Aujourd’hui encore, à travers le monde, on jouerait le « Boléro » tous les quarts d’heure… À Montfort l’Amaury, vous l’entendrez, comme musique d’attente, chaque fois que vous appellerez les services municipaux.

Gérard Goutierre

Photo (1): ©G.Goutierre Photo (2): ©MPipart- ville de Montfort l’Amaury

– Maison Maurice Ravel : visites les samedis et dimanche sur réservation (01 64 86 87 96)
– Sur Ravel : voir Les Soirées de Paris des 8 avril 2020 et 7 mai 2020.
– depuis deux jours et jusqu’aux 15 et 16 octobre à Montfort L’Amaury et alentours : vingt-sixièmes Journées Maurice Ravel avec concerts et rencontres avec les artistes (www.lesjourneesravel.com)

Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Découverte, Musique. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à C’est dans cette «bicoque» qu’est né le Boléro de Ravel

  1. anne chantal dit :

    Comment aller à Montfort l’Amaury sans essence ?
    Commentaire très sympathique au demeurant, qui nous laisse rêveurs et à la recherche du concerto en sol pour respirer l’atmosphère « Ravel » …

Les commentaires sont fermés.