L’Afghanistan rêvé

Encore deux semaines pour se précipiter au musée Guimet à l’exposition «Afghanistan, ombres et légendes». Dans le contexte actuel, les moments passés là apparaissent comme miraculeux. À grand renfort de photos de sites de fouilles grandioses, de présentation de statues et d’objets aussi bien néolithiques que bouddhistes, indouistes, hellénistiques, islamistes ou chinois, d’abondants panneaux retracent de mystérieuses découvertes dans des lieux aux noms qui font rêver. Nous voilà embarqués dans un voyage stupéfiant, découvrant une contrée immense, insaisissable, en complète contradiction avec ce que nous en connaissons aujourd’hui. Il s’agit de célébrer à Guimet le centenaire de «La Délégation archéologique française en Afghanistan» (DAFA) datant exactement de 1922. Et quel meilleur guide pourrions-nous prendre que Joseph Kessel, qui s’était lancé à l’aventure sur ces routes impraticables où seules cheminaient les caravanes, et avait franchi les cols et les vallées les plus impénétrables lors de son voyage en 1956 (« Le Jeu du roi, Afghanistan 1956 », Texto).

Le grand écrivain-aventurier était possédé du mythe de ces noms magiques, noms de villes comme Kaboul, Hérat, Bamiyan, Mazar-y-Cherif, nom du fleuve Amou-Daria, ou du formidable massif de l’Hindou-Kouch barrant tout le nord du pays à 7700 mètres de hauteur, qu’il franchira au péril de sa vie.

Il voulait retrouver les chemins suivis par Alexandre-le-Grand datant du quatrième siècle avant notre ère, les traces de Marco Polo, de Gengis Khan, d’Attila, de Tamerlan, et scruter le visage de leurs descendants, Tadjiks, Tamouls, Turkmènes, Pachtous, Ouzbeks, Mongols. Comme son voyage date de 1956 et que les archéologues français de la DAFA s’étaient pris de passion pour ces sites depuis le début des années 1920, ces derniers avaient déjà beaucoup accompli en trente-cinq ans, si bien que le récit de Kessel illustre comme par magie la plus grande partie de l’exposition. Nous marchons dans ses pas.

Tout a commencé lorsque le roi Ammanullah Khan, avide de modernité, régnant sur une contrée indépendante depuis trois ans (il avait réglé leur sort aux Anglais), signe en septembre 1922 avec la France la première convention lui donnant l’exclusivité des fouilles. Ne pas manquer la photo semblant sortir d’un film de Lubitsch où le monarque sanglé dans un long manteau, petite moustache et haute casquette militaire, flanqué de son épouse la reine en manteau bordé de fourrure et talons hauts, entame d’un pas botté martial le tour des jardins de Versailles. Les deux États se partageront les trésors entre le musée Guimet en France et le musée national afghan naissant de Kaboul.

Pendant vingt ans, la DAFA réalise des fouilles innombrables sous la conduite de pionniers aux noms devenus légendaires, tels Alfred Foucher, André Godard, Joseph Hackin (il faut voir comment Kessel évoque son souvenir !), Daniel Schlumberger, Roman Ghirshman, qui découvrent Hadda, Bamiyan, Begram, Fondukistan. Regardons les œuvres si variées du bouddhisme du premier siècle, témoignant à la fois de la créativité locale et des échanges humains (sculptures de schiste, argile, stuc, peintures murales, ivoires ou verres). On saisit à nouveau que ces terres infinies n’ont cessé d’être des lieux de passage et d’influences, comme nous l’avons compris dès le tout début de l’exposition devant ces hautes statues-masques de bois d’allure africaine, qui avaient tant étonné notre aventurier au musée de Kaboul.

Bien sûr nous attendent maintenant les photographies immenses des bouddhas de 55 et 38 mètres de haut des 7ème et 6ème siècles (ci-contre), découverts à Bamiyan par les archéologues français dès 1923, ceux-là mêmes que les talibans firent sauter en mars 2001, consternant le monde entier. Kessel nous raconte comment il fit la périlleuse ascension, grâce à mille anfractuosités, pour admirer le paysage au sommet de la tête plate du géant de 55 mètres: «Et la surface de ce crâne était telle que l’on pouvait y tenir à vingt aisément. Et de cette extravagante plate-forme la vue était encore plus vaste et plus belle, et, sur les cimes immenses, les neiges éternelles étincelaient au soleil». Car Bamiyan et ses colosses de stuc gardaient la route de l’Hindou-Kouch.

Et bien sûr, nous voici devant l’évocation du fameux trésor de Begram, capitale de la Kapisa, à soixante kilomètres au nord de Kaboul, découvert par Ria Kackin en 1937 puis 1939. À nouveau, l’iconographie hellénistique, indienne et romaine du trésor royal, la provenance d’ateliers du Proche-Orient méditerranéen, d’Egypte, d’Inde et de Chine, nous évoquent des échanges à longue distance.

Surtout ne pas rater l’étrange parenthèse de l’âge de bronze résultant de fouilles entreprises de 1951 à 1958, nouveau témoignage de ces échanges incessants, cette fois avec des comptoirs indusiens provenant d’une autre civilisation sur les rives de l’Amou-Daria. L’étonnante statuette féminine dite «Princesse de Bactriane» est tout simplement inoubliable.

Tels furent ces temps d’échanges constants, même très lointains, sur ces terres de passage, alors peut-être faut-il garder espoir.

Lise Bloch-Morhange

Musée Guimet, Paris, Exposition «Afghanistan, ombres et légendes», jusqu’au 6 février 2023

Crédits photos:
(1) Tête de Bouddha,Afghanistan, Hadda, Tapa Kalan,© RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier
(2) Bamiyan Afghanistan, Bamiyan © MNAAG, Paris, Dist. RMN-Grand Palais / image musée Guimet

 

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7 réponses à L’Afghanistan rêvé

  1. Marie-Hélène Fauveau dit :

    Merci pour l’enthousiasme de ce billet.
    je suis passée devant Guimet il y a peu sans pouvoir m’arrêter mais il n’était question sur la façade que des broderies mais point de cette expo…
    Je vais y aller début février

  2. KRYS dit :

    Marci Madame Lise pour ce conseil avisé, vos références intéressantes et de nous donner des nouvelles positives de cet Afghanistan si proche et si lointain. Une exposition très intéressante, à n’en pas douter.

  3. Marie-Josèphe Conchon dit :

    Merci Lise, de nous faire revivre ces grands moments avec Joseph Kessel et de nous faire rêver! Je note sur mon agenda pour ne pas rater cette exposition.
    Marie-Josèphe

  4. Numismate feru des monnaies de Bactriane, ancien nom de l’Afghanistan , je salue une exposition de grande qualité !

  5. Chini Germain Catherine dit :

    Quel plaisir de retrouver tes articles, cela manquait.

    J’ai vu cette exposition découverte et merci de me faire participer à la vision romanesque de Kessel
    À te lire bientôt
    Catherine

  6. GENEVIEVE Rouchette dit :

    Nous avons vu cette exposition ensemble, et merci à Lise de son article vivant et enthousiaste enrichi des récits de Kessel.

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