À la recherche de l’arpeggione perdu

L’instrument a vu le jour il y a tout juste deux cents ans, à Vienne. Il porte le joli nom d’arpeggione, terme qui a supplanté «guitare violoncelle», «guitare à archet» ou encore «guitare d’amour», dénominations auxquelles on avait d’abord pensé. Son existence fut on ne peut plus brève : on ne connaît en tout et pour tout qu’une seule page écrite pour lui. Mais comme il s’agit d’une sonate de Schubert et que cette composition lumineuse a toutes les qualités d’un chef-d’œuvre, elle a suffi à inscrire définitivement le nom de l’arpeggione dans l’histoire de la musique. Compromis entre la guitare et le violoncelle, cet instrument à cordes frottées est le fruit des recherches du luthier viennois Johann Georg Stauffer, considéré comme le plus important fabricant de guitares de son époque. Schubert possédait une de ses guitares et c’est à la demande de cet artisan-inventeur qu’il écrivit en 1823 une sonate en trois mouvements, dont la première audition eut lieu un an plus tard.

Aujourd’hui, l’œuvre (intitulée tout simplement «Sonate pour arpeggione») figure fréquemment au programme des concerts de musique de chambre, mais pratiquement toujours dans sa transcription pour violoncelle. On en trouvera de nombreux enregistrements, l’un des plus célèbres étant celui réalisé par Mstislav Rostropovich et Benjamin Britten en 1968.

De loin, l’arpeggione ressemble à un petit violoncelle, mais comme la guitare il possède six cordes (au lieu de quatre) et la touche comporte des frettes. Il se joue à l’archet, d’où les difficultés pour l’interprète (et peut-être l’une des raisons de son insuccès). Cet instrument mort-né est-il en passe de connaître une nouvelle vie ? Depuis une quinzaine d’années, plusieurs compositeurs soucieux de nouvelles perspective sonores s’y sont intéressés. A l’origine de cette renaissance inattendue, un violoncelliste belge formé notamment à la Juilliard School de New York, Nicolas Delataille (notre photo d’ouverture). Concertiste renommé, il s’est lui-même pris de passion pour l’instrument, jusqu’à en faire fabriquer des copies par des luthiers contemporains. Il se produit régulièrement dans des concerts publics, donnant ainsi l’occasion de faire découvrir la beauté originelle de l’arpeggione, au timbre velouté, plus proche de la viole de gambe que du violoncelle. Si l’instrument a peu de puissance, son association avec le frêle pianoforte permet un équilibre sonore très séduisant.

En deux décennies à peine, le catalogue des œuvres pour arpeggione s’est ainsi étoffé d’une bonne quarantaine de pièces. La majorité d’entre elles sont écrites pour arpeggione seul (on relèvera les noms des compositeurs Henri Pousseur et Kris Oelbrandt) mais aussi en association avec d’autres instruments comme la flûte à bec (Grégory Guéant) le piano et, bien sûr, des instruments électroniques. Certains compositeurs l’ont associé à des instruments presque aussi rares, comme le cor de basset ou la flûte traditionnelle de l’Inde du Nord, le bansuri.

Si l’histoire de l’arpeggione apparaît comme un épiphénomène dans l’histoire de la musique, ce n’est pourtant pas un cas unique. L’imagination des hommes dans la conception d’objets sonores est sans limites. Il suffit de voir les nombreux et surprenants instruments fabriqués avec les matériaux les plus frustes durant la Première Guerre mondiale, lorsque les combattants manquaient de tout (1). Dans un tout autre registre, il est difficile de ne pas citer une page populaire datant de la fin du XVIIIe siècle et dont la paternité reste floue : la célèbre « Symphonie des jouets » pour ensemble à cordes et des instruments aussi inhabituels que la crécelle, le tambour d’enfant, le sifflet à eau, la trompette enfantine et divers appeaux imitant le coucou, la caille ou le rossignol.
Longtemps donnée comme étant de Joseph Haydn, cette œuvre a ensuite été attribuée à Léopold Mozart (le papa de Wolfgang). Aujourd’hui, les musicologues pensent que le véritable auteur est un certain Edmund Engerer, moine bénédictin ayant vécu au Tyrol dans le deuxième moitié du XVIIIe siècle. Quoi qu’il en soit, cette charmante récréation musicale dont la popularité ne s’est jamais démentie demeure unique en son genre.

Gérard Goutierre

(1) Voir « La Musique au fusil », de Claude Ribouillault, éditions du Rouergue, 1996

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2 réponses à À la recherche de l’arpeggione perdu

  1. GUINARD CAROLE dit :

    Merci pour ce bel article très instructif. Dommage que cet instrument n’ait pas davantage trouvé sa place dans la famille des instruments à cordes, surtout avec un si joli nom. Quant à son son, est-ce que ce musicien Nicolas Delataille a enregistré un ou des disques ? L’arpeggione mériterait aussi un hommage de l’ensemble L’Arpeggiata de Cristina Pluhar, qui se plait souvent à redonner vie à des instruments anciens méconnus.

    • Nathalie Wilmart dit :

      Nicolas Deletaille a enregistré avec Paul Badura-Skoda la Sonate fur Arpeggione und Klavier de Schubert chez Fuga Libera. Disponible sur son site nicolasdeletaille.com

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