Point-virgule deux points parenthèse

Il y a trois façons courantes de marquer une pause dans une phrase, la virgule, le point-virgule et le point. Énoncé un peu théorique dans la mesure où le second élément, censé être l’ultime étape avant l’arrêt, a tendance à disparaître des écritures courantes, au même registre d’ailleurs que les accents circonflexes. Sauf erreur de mémoire et imprécision toujours possible, c’est l’acteur Richard Bohringer (1942-) qui avait un jour demandé à un jazzman (bizarrement) quelques conseils avant de se lancer dans l’écriture de son premier livre. Et celui-ci lui avait livré en l’occurrence, un viatique fort simple qui disait: « Tu mets une virgule quand tu veux que ça freine et un point quand tu veux que ça s’arrête. » Trop subtil par rapport à ses cousins (le point de suspension, le point d’exclamation, le point d’interrogation, les deux points) le point-virgule s’efface. C’est un peu comme  l’usage du feu orange sur la route. Il est devenu optionnel, dispensable, illisible. Le point-virgule est pourtant l’un des milliers d’éléments constituant la richesse de la langue française. Laquelle est très proche de se voir célébrer en grandes pompes à Villers-Cotterêts, grâce à une certaine ordonnance de 1539.

Ce point-virgule, il faut bien avouer qu’il a bien vite été relégué. Et il faudrait pouvoir se dire, au démarrage d’un texte, que l’on va en caser un exprès, juste par égard à François 1er, l’auteur de la fameuse ordonnance rendant l’usage du français obligatoire. L’orthographe était encore assez libre à cette époque, mais la prise de conscience du trésor patrimonial que constituait la langue d’un pays, valait bien une telle décision.

La langue française a tendance à rétrécir à des fins de simplification. Il faudrait cependant faire attention à ne pas refaire la spirale du temps à l’envers, par exemple vers l’époque bien lointaine (VIe/VIIe siècle, en Irlande selon le Robert) où l’on commença à pratiquer la disposition d’intervalles entre chaque mot (de latin). Auparavant tout texte était archi-compact. Au Xe siècle c’est ce bon et savant Abbon de Fleury qui recommanda l’usage de la séparation pour plus de clarté, tout en précisant (possiblement avec une virgule): « Qui addit scientiam, addit et laborem ». Ce qui signifiait avec une pointe de paradoxe que moins on en savait mieux on se portait.

Sur le terrain poétique, c’est tout à fait différent. Stéphane Mallarmé (1842-1898) pour son poème « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard », évacua la question en jouant uniquement sur la disposition spatiale des mots, ménageant ainsi un temps variable pour passer d’un vers au suivant, d’un groupe de mots à un autre. Pour la publication de son recueil « Alcools » en 1913, Guillaume Apollinaire avait été radical en supprimant toute la ponctuation. Il s’en était justifié dans un courrier auprès du critique Henri Martineau (1882-1958) en postulant que « le rythme même et la coupe des vers » suffiraient à la compréhension. Et il avait vu juste, même si pour un habitué aux bornes et indications, un temps d’adaptation se révélait nécessaire. L’absence de ponctuation conférait en tout cas à la poésie d’Apollinaire une forme de plasticité inédite et réussie.

Dans un texte poétique, les temps typographiques occasionnés par la ponctuation apparaissent désormais embarrassants, comme de porter un maillot de bain pour un converti au naturisme. Il suffit d’ailleurs d’ôter la ponctuation dans « Ophélie », le merveilleux poème de Arthur Rimbaud, pour constater que l’ensemble s’allège au point de nous faire chausser ses semelles de vent.

En dehors de la poésie les phrases ont fort besoin d’une signalétique, ne serait-ce que pour maintenir leur intention en évacuant notamment les contresens. En Chine nous explique la BnF, la spécificité de la mise en ligne est là pour donner un sens. L’écriture arabe quant à elle, « a connu une évolution comparable à celle de l’alphabet dit latin » avec l’usage de points, de couleurs ou de signes dans les marges.

Avec l’arrivée des ordinateurs et des téléphones, les outils de ponctuation ont été dévoyés puisque la joie peut s’exprimer désormais avec un simple tiret et une parenthèse de fermeture. Mais ô joie, si l’on met un point-virgule juste avant le tiret cela signifie qu’on ajoute un clin d’œil au contentement. C’est au demeurant l’image d’ouverture de cette chronique. Et ce répit trouvé au point-virgule, tout faraud de ressortir du placard, n’augure pas forcément une fin heureuse puisque qu’avec un smiley tout jaune ou tout rouge il est bien plus simple et bien plus rapide d’exprimer sa joie ou sa rage. Le langage codé pour les textos est assez large, il comporte même une suite typographique verticale permettant de signaler que l’on porte une cravate. Les Égyptiens de l’Antiquité auraient adoré.

PHB

Illustration: ©PHB

 

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9 réponses à Point-virgule deux points parenthèse

  1. Ah oui, l’abominable ordonnance de Villers-Cotterêts par laquelle l’affreux François 1er s’en prit sauvagement aux richesses patrimoniales des langues régionales pour imposer le français !

  2. Welschbillig dit :

    A ce moment du récit, on n’oubliera pas de rappeler l’importance de la virgule dans l’apostrophe (si j’ose l’écrire) de Fontenoy : « Messieurs les anglais, tirez les premiers ? »
    Quel humoriste aurait suggéré : « et s’il s’était agi, en réalité de : Messieurs, les Anglais, tirez les premiers ! »

  3. Frédéric MAUREL dit :

    En tous cas, ce qu’on peut constater, Philippe, c’est que, dans votre propre texte, aucun point-virgule n’est utilisé ; est-ce désolant ou ironique ? / FML

  4. ChristinePIOT dit :

    Oui, mais  » un coup de dés jamais… »

  5. Passacaille dit :

    … n’abolira jamais le hazard », comme l’avait écrit Mallarmé.

  6. Passacaille dit :

    Je voulais écrire :
    « Un coup de dés jamais n’abolira le hazard »

    Et pour la typographie « point par point » :
    Le Printemps de la typographie à l’école Estienne :
    http://www.ecole-estienne.paris/ecole/evenements/printemps-de-la-typo/

  7. Passacaille dit :

    Encore moi…
    En 2019, lors du Printemps de la typographie, l’intervenant avait insisté sur l’écriture du mot « hazard » (avec un z) retenue par Mallarmé. C’est de cela que je voulais parler. Si je retrouve mes notes je vous en dirai plus, bien que ma remarque n’apporte rien à votre article.
    Bien à vous.

Les commentaires sont fermés.