L’IA pourrait mieux faire

Lorsque l’on demande à deux célèbres modules d’intelligence artificielle, combien y-a-t-il de voies en France portant le nom d’Apollinaire, les deux systèmes flanchent. Ils ont beau valoir des milliards, les deux IA sollicitées sèchent. Pourtant la question a été correctement posée. Elles se bornent à répondre (du moins dans leur version gratuite) qu’il existe bien une rue, au moins une dans le 6e arrondissement, mais avant de suggérer que le mieux serait d’aller consulter une base données spécialisées. On croyait que c’était un peu le boulot de l’IA justement, on pensait naïvement s’offrir un tour en Ferrari dans le cyberespace et on se retrouve avec un vieux tracteur butant sur la première souche venue. Peut mieux faire, le I-chaton. Nous avons donc, avec notre intelligence très ordinaire, sollicité le plus simple des moteurs de recherche, lequel nous a proposé un peu en-dessous du premier rang, une data base dont les origines devaient remonter aux tableurs de nos aïeux. Moyennant quoi nous sommes en mesure de faire part à nos lecteurs qu’entre les rues et les impasses, il existe 221 voies en France qui portent le nom de Guillaume Apollinaire, contre 621 à Picasso et 1000 à Victor Hugo. Continuer la lecture

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Énigmatiques soirées

Un des meilleurs écrivains anglais contemporains, Alan Hollinghurst, avait obtenu chez nous le Prix du Meilleur livre étranger en 2013 avec « L’enfant de l’étranger ». Auparavant, il avait reçu at home le Prix Somerset Maugham pour « La Piscine-bibliothèque » en 1989, puis le Booker Prize pour « La ligne de beauté » en 2004. Son éditeur français Albin Michel vient de publier le petit dernier (six cents pages quand même) sous le titre « Nos soirées » (« Our Evenings »), si bien qu’à soixante-et-onze ans, avec quelque sept ouvrages, sa réputation est considérable dans son pays. En France, il est moins connu que Jonathan Coe par exemple, peut-être parce qu’il est un écrivain au plein sens du terme, comme on n’en fait plus: il développe ses intrigues sur une longue période, trente ans, quarante ans, parfois plus, sachant étroitement tisser l’Histoire anglaise et les destinées de ses personnages, alternant traits essentiels et descriptions sensuelles. De quoi se demander pourquoi les romanciers français ne savent plus le faire… Continuer la lecture

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Un cœur de sang à Kaboul

Nigina se demande, sur le chemin de l’université de Kaboul, si elle va pouvoir reprendre ses cours de littérature anglaise. Car les Talibans viennent de prendre le pouvoir. Nous sommes en 2021, dans la capitale de l’Afghanistan. La caméra la suit, puis le film continue avec un téléphone portable, la première ayant été proscrite. Quelques instants plus tard on la voit remonter dans un taxi. Les professeurs l’ont prévenue: l’étau se resserre. Tout le cursus devra être accompli dans l’année. Et de fait, l’année suivante, en 2022, une loi interdit aux jeunes filles de plus de 12 ans de poursuivre des études supérieures. Une telle ombre sur la vie de Nigina enclenche quelques larmes qu’elle cache et efface prestement. Ce n’est pas tous les jours que l’on fouille les documentaires en replay sur la chaîne parlementaire (LCP), que l’on se surprend à visionner ce film « Comme tu es belle » et à le revoir une heure plus tard avec l’impression d’avoir loupé les détails de quelque chose de plus important qu’un doc ordinaire. Ce cinquante-deux minutes s’intitule « Comme tu es belle », car les deux jeunes filles dont nous sommes amenés à partager la vie, gagnent leur vie comme esthéticiennes, dans un salon où les Talibans n’osent pas -encore- mettre les pieds. Continuer la lecture

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Internet avant Internet

Des fiches, des millions de fiches. Des tiroirs, des milliers de tiroirs. Il semblerait que cet alignement soit sans fin. Nous sommes à Mons, en Belgique, dans une bibliothèque créée il y a un peu plus d’un siècle et qui se voulait la plus universelle et la plus exhaustive au monde. Le nom du lieu (« Mundaneum ») donne une idée de l’ambition de ses créateurs, deux humanistes belges nés au milieu du XIXe siècle. Originaire de Bruxelles où il vit le jour en 1868, le juriste Paul Otlet, animé par des idées socialistes et pacifistes, a un idéal: permettre à chacun d’avoir accès à toutes les connaissances, quel que soit le sujet ou l’époque. « Avancer les connaissances, les répandre, veiller à leur conservation et à leur utilisation, c’est œuvrer directement à l’amélioration de la vie ». Il fait la rencontre d’un autre Bruxellois qui partage les mêmes idéaux, et dont les actions en  faveur de la paix seront récompensées en 1913 par le prix Nobel de la Paix, Henri La Fontaine. Ensemble, ils vont s’atteler à une tâche gigantesque: répertorier et classer toutes les productions écrites existantes.   Tout sur tout …et pour tout le monde. Ce sera « l’Institut  international de bibliographie », présenté en 1895, auquel le gouvernement belge donne son appui. Continuer la lecture

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Non pas « remake » mais « making of »

Il fallait un cinéaste américain indépendant pour nous replonger dans la France des années cinquante-soixante. Richard Linklater, né en 1960 à Austin, capitale du Texas, a tourné « Nouvelle Vague » en 2024, en deux mois, dans les rues de Paris. Un film parlant français, produit par une société française, mais avec toute la virtuosité technique américaine, en pellicule, numérique, et images d’archives. Non pas un « remake » du film de Godard « À bout de souffle », mais le « making of », la genèse du film phare. Huit ans avant Mai 68, il révolutionnait le cinéma français. On comprend mieux l’exploit quand on connaît le parcours hors piste de ce texan né l’année de la sortie du film, vivant dans une ferme à une quarantaine de kilomètres de la capitale Austin, animateur du mouvement de sauvetage des animaux. Refusant de séjourner à Hollywood, il s’est fait connaître avant tout par une trilogie unique dans l’histoire du cinéma yankee et mondial: « Before Sunrise » en 1995, « Before Sunset » en 2004 et « Before Midnight » en 2013. On y suit sur dix-huit ans les tribulations amoureuses du duo Julie Delpy-Ethan Hawke, les deux ayant participé à l’écriture du scénario avec Linklater. Les bienheureux qui les ont vus se souviennent de leurs dialogues quasi non stop lorgnant du côté de Rohmer. Continuer la lecture

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Fabulateurs

Hervé Bazin, nous enseigne le dictionnaire, « petit neveu de René Bazin, est l’auteur de romans de facture traditionnelle, dont la violence satirique s’exerce contre une certaine bourgeoisie, les méfaits de la civilisation industrielle, et plus particulièrement, les contraintes de la famille et de l’éducation ». Son essor littéraire va reposer sur le récit d’une enfance pitoyable, dans le « cadre étouffant de la bourgeoisie angevine ». Il racontera, plus tard, le chapelet des persécutions infligées par sa génitrice, surnommée Folcoche, avec le concours de prêtres malveillants. Folcoche, plus que la contraction de folle avec cochonne, est « pour le fermier du coin, la truie qui mettant bas, dévore ses petits ». Grâce aux récits de ce fils martyrisé, elle va devenir l’archétype de la mère plus qu’indigne. Selon la biographie officielle, Bazin, à l’adolescence, se révolte, refuse de passer les examens à la faculté catholique de droit ou sa famille le presse d’étudier, rompt définitivement avec elle, et s’enfuit à Paris. Là, suivant sa vocation littéraire, il s’inscrit en licence de lettres à la Sorbonne. En 1947, une plaquette de poèmes lui vaut le prix Apollinaire. Continuer la lecture

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Polyphonique Kandinsky

Il y aurait eu ce point de départ à Moscou en 1896. À l’automne de cette année-là, Vassily Kandinsky assiste à un opéra de Wagner. Et c’est alors que ce professeur de droit de son état, remarque que la musique lui procure des sensations annexes. Le son prend forme et se colore. Dans un fort recommandable documentaire diffusé par Arte (en parallèle d’une exposition du Centre Pompidou hébergée à la Philharmonie), le commentaire désigne en l’occurrence, ce phénomène mental comme une synesthésie. Terme dont le cousin proche s’intitule synopsie et qui nous concerne un peu tous, soit la faculté d’attribuer une couleur à un son ou à une lettre. Ce qui fait que l’exposition a été baptisée « la musique des couleurs ». Toujours est-il que le destin de Vassily Kandinsky (1866-1944) bascule à ce moment-là. D’autant que lors de sa jeunesse aisée, il a tâté des deux disciplines, la musique et le dessin. On peut dire dès lors que Wagner l’attendait au tournant (il ne sera pas le seul) et qu’à la suite de ce rendez-vous du destin, c’est décidé, il sera artiste-peintre. Continuer la lecture

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Le schnaps, boisson intersidérale

Rien de tel qu’un bon petit documentaire sur la planète Mars afin de tuer le temps agréablement. Arte diffuse en ce moment un de ces films malgré tout fort distrayants, sur l’idée consistant à aller vérifier si des fois sur la planète rouge, il n’y aurait pas eu un peu de vie avant que les eaux et l’atmosphère locales ne s’en aillent. C’est pour cela que l’on a expédié là-haut des engins d’exploration dont deux sont toujours en activité. Des prélèvements d’échantillons martiens figurent au programme, ils seront si tout va bien récupérés un jour par un orbiteur et seront ramenés sur Terre pour être étudiés. Dans l’objectif précis nous explique-t-on ici, de détecter de la vie ou ses traces. Et le seul pense-bête scientifique qui vaille dans ce domaine, répond à l’acronyme « c.h.n.o.p.s ». Six lettres désignant l’essentiel de ce qui constitue le vivant à nos yeux, soit le carbone, l’hydrogène, l’azote, l’oxygène, le phosphore et le soufre. Avec cela vous disposez à titre d’exemple de 97% de ce qui compose l’humain. Et donc une matière prélevée sur Mars qui regrouperait ces éléments, trahirait quelque chose de local comme un bout de cerveau, une miette de céréales ou une aile de mite. Continuer la lecture

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Marianne mène le bal

Il y a vingt-cinq ans, la muse bergmanienne Liv Ullmann (1938) avait tourné le film « Infidèle » sur un scénario d’Ingmar Bergman (1918-2007). Aujourd’hui, le cinéaste suédois Tomas Alfredson (1965-) adapte l’histoire, avec la scénariste Sara Johnsen, en une minisérie sous le titre « Infidèles ». Le passage du film à la minisérie et du singulier au pluriel montre leur intention de faire le tour des bonheurs et des douleurs de l’adultère, celle d’un couple et du meilleur ami du mari. Le metteur en scène de soixante-ans possède l’art de la distanciation, ayant démontré il y a quatorze ans sa virtuosité en tournant « La taupe », un des plus beaux films d’espionnage adapté de l’un des plus beaux livres du genre, peut-être le plus beau de John le Carré. On retrouve dans la série l’amour des lents travellings, des scènes de nuit et du constant aller-retour entre le passé et le présent. Continuer la lecture

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La visite de Poincaré rendue à Mistral

Le 14 octobre 1913, le président Poincaré s’en revenait d’Espagne où il avait visité la famille royale. Avant d’aller rejoindre son prédécesseur Émile Loubet qui s’était retiré à Montélimar, il avait fait escale à Maillane (Bouches-du-Rhône) où résidait Frédéric Mistral, un poète qui n’écrivait qu’en langue provençale, soit un authentique félibre, ainsi qu’il convenait de nommer cette catégorie. Pourquoi lui et pas un autre: au moins les habitants de son village savaient que leur concitoyen, avait obtenu le prix Nobel de littérature en 1904, faisant souffler sur la commune un vent de notoriété miraculeux.  Ainsi que nous le raconte Léo Larguier (1878-1950), la servante du poète s’était affairée toute la matinée afin de polir et lustrer les meubles de la maison de Maillane et essuyé « avec un linge fin » le buste de Lamartine, l’autre poète qui avait reçu à Paris le premier. Le président était venu en train, dans l’un de ces wagons présidentiels, luxe et élégance combinés surmontant les boggies. L’un de ces wagons siglés « PR » que l’on peut visiter au musée de Mulhouse. Les gendarmes de Graveson avaient également astiqué les boutons de leur costume de cérémonie. L’air était doux et parfumé avec juste autour de Mistral, une bonne odeur de cigare. Continuer la lecture

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