Plaisante mais finalement vaine tentative de retrouver un gisant

Ce n’est sûrement pas tous les jours que quelqu’un se présente à l’accueil de l’ancien cimetière français de Mexico afin de s’enquérir de l’emplacement funéraire de Alberto Eugenio Giovanni de Kostrowitzky, le demi-frère de Guillaume Apollinaire. Mais voilà qui est fait, un peu plus de trois ans après que nous eûmes retrouvé sa dernière trace terrestre (1). Certificat de décès en main nous avions pu établir qu’il était décédé le 4 juin 1919 à 14h45 d’une septicémie-phlébite-typhus dans un hôpital français, au numéro 150 de la rue de l’hôpital. Le certificat précisait qu’il  était agent de négoce. Et que sa dépouille avait été enterrée au «Panteon Frances de la Piedad, Mexico, Mexique». Il restait à franchir l’Atlantique pour voir si par chance une stèle attestait toujours de cet événement grâce à un complice, ami lillois et lecteur des Soirées, Henri Vanderhaghen. Cent ans après, la probabilité qu’il restât quelque chose était assez faible mais il fallait vérifier. Chercher enclenche l’aventure et il ne faut pas négliger ce type d’occasion. Ce qui au passage, ne nous dispense pas de remercier le bienveillant commandité, dans un rôle équivalent à Harrison Ford dans « Les aventuriers de l’arche perdue ». Sans oublier une amie mexicaine qui s’était également déplacée pour faciliter les choses.

Ce genre de démarche a aussi quelque chose de touchant. Dans la mesure où nulle information n’a (encore) filtré sur la cérémonie d’enterrement. Albert était-il seul, y avait-t-il un curé, un ami parmi ses amis, une connaissance parmi ses clients, une compagne, un compagnon? Quelqu’un en dehors du personnel soignant était-il à son chevet lors de ses derniers instants? Le consulat a-t-il été prévenu et par qui? Cela doit être difficile de mourir si loin de chez soi jusqu’à ce que les retrouvailles avec son frère Guillaume (décédé en 1918) et sa mère (disparue en 1919) se fissent entourés d’angelots soufflant de la trompette dans un paysage forcément constellé de nuages bibliques.

Henri Vanderhaghen a fait trois essais ce mois-ci et, crevons si on ose dire un suspense inutile, ils ont été infructueux. Le premier jour le cimetière venait de fermer, les étranges visiteurs ayant été invités à se représenter le lendemain avec le numéro de la tombe. Le deuxième jour, dès l’ouverture, l’unique employée du bureau « surprise » d’être ainsi sollicitée, éveille un vieil ordinateur et commence à chercher. Histoire de gagner du temps comme toute personne acculée, elle suggère alors aux quémandeurs de repasser à l’heure du déjeuner. « Nous sortons alors du bureau, raconte Henri Vanderhaghen, et nous partons admirer les jaracandas en fleur ». Obstinés, lui et sa compagne décident comme convenu de retourner au bureau cuisiner Alexandra, l’employée, copie de l’acte de décès en main.

Dans le monde entier se confronter avec une administration est toujours une épreuve plus ou moins grande, surtout si l’on semble sorti d’une autre époque, celle de la révolution mexicaine avec Emiliano Zapata dans l’un des principaux rôles. Un rien décourageante, Alexandra prévient d’une part qu’un nouveau cimetière pour Français a été créé en 1942, que les archives de l’ancien y ont été transférées d’autre part et qu’enfin, elles n’ont pas été numérisées, trois indications en forme de « profitez bien de vos vacances au Mexique et oubliez votre vieux gringo depuis longtemps digéré par nos fourmis ». Henri Vanderhaghen ne manque pas alors de remarquer que son interlocutrice sort alors son nécessaire à maquillage ce qui est une façon universelle (avec la lime à ongles) de faire remarquer à un démarcheur que l’entretien est clos. Elle se contente, afin sans doute de conclure sur une note de bienveillance, qu’elle en parlera à son superviseur, estimant les chances de succès à 10% et même 50% si l’entretien a lieu en direct avec les visiteurs. Le tout n’ayant pris pas moins d’une heure.

Histoire de ne pas revenir bredouilles les deux auxiliaires (méritants) des Soirées de Paris ont alors dégainé de quoi photographier les aîtres mais là aussi, comme s’il s’agissait des réserves d’or de la banque centrale, on leur a dit que c’était « prohibido ». Le déclencheur de l’appareil ayant été néanmoins actionné trois fois dans le laps du temps subtil entre le le légal et l’illégal, nous sommes quand même en mesure d’en publier deux, sachant que par ailleurs les images ne manquent pas sur Google et que le « prohibido » devait surtout valoir pour ce jour-là.

Toujours est-il que l’affaire a été tentée. La maison des Soirées de Paris depuis 1912, ne reculant devant rien pour satisfaire ses clients.

 

PHB
(avec Gérard Goutierre et Henri Vanderhaghen)

(1) Relire « Dernières nouvelles d’Albert de Kostrowitzky » (décembre 2019)
Photos: ©Henri Vanderhaghen
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3 réponses à Plaisante mais finalement vaine tentative de retrouver un gisant

  1. Jeremy Moczarski dit :

    Gentlemen, thank you. I have shared this news with the family of his maternal uncles, Henri and Constantin, the brothers of Angelika, via Prof. Jonathan Blagburn (in Puerto Rico), connected to them by marriage.

  2. Marie J dit :

    Si je n’avais pas lu le titre, j’aurais cru / espéré jusqu’au bout qu’ils allaient y arriver… spoiler (comme on dit) n’est pas jouer !

  3. jmc dit :

    Merci pour cette aventure par procuration, cher Philippe. Je dois avouer que j’ignorais tout de l’existence de ce demi-frère, et me précipite donc sur le premier chapitre du feuilleton…

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