Jacobus Vrel presque toujours insaisissable

Les experts ont conclu que la toile ci-contre était une copie, mais une copie de l’auteur. Lequel avait ajouté un nid de cigognes sur la cheminée à gauche qui la distinguait de la première. Mais sur les deux il avait maintenu l’inscription « Dit buijs ijs te buijr », ce qui signifiait d’une part que la maison figurant sur l’image était à louer et que d’autre part Jacobus Vrel s’attachait aux détails. À moins bien sûr que le propriétaire de la maison n’eût passé un petit accord publicitaire avec le peintre. Lequel reste à ce jour à l’abri de la notoriété. Comme il marquait la plupart de ses œuvres JV, on pouvait de surcroît le confondre avec Johannes Vermeer (1632-1675) ce qui amena quelqu’un à compléter ni plus ni moins la signature en faveur du second. Procédé qui conduisit au 19e siècle un certain Thoré à l’inclure dans son catalogue Vermeer. Depuis, beaucoup d’erreurs d’attribution ont été réparées et l’on peut aujourd’hui comptabiliser 44 toiles de la main de Jacobus Vrel. Cinq huiles supplémentaires ne sont plus localisables. Ce qui fait beaucoup de mystères autour de cet homme dont la Fondation Custodia à Paris fait le sujet central d’une fort intéressante exposition.

Au moins les spécialistes en dendrochronologie (datation du bois des cadres) ont pu établir que Jacobus Vrel a produit un peu avant Vermeer. Et des historiens patentés ayant étudié à la loupe les scènes de rue, les ont situées dans la ville hollandaise de Zwolle. C’est bien maigre et pour compliquer le tout, ce Jacobus ne signait pas toujours de la même façon (1). Néanmoins il est remarquable qu’à deux reprises seulement, son nom intégral figura en toutes lettres. Il reste que sa peinture, pour austère qu’elle nous apparaît aujourd’hui, n’en dégage pas moins un charme évident avec des ambiances sombres, intimistes, pleine de sages, très sages silences. La Fondation Custodia a en outre complété son exposition avec des artistes représentatifs du Siècle d’or hollandais. Ce qui donne davantage de substance à l’ensemble puisque la totalité des Vrel disponibles n’aurait pas suffi.

Même si Théophile Thoré (1807-1869) a pu être induit en erreur, la mise au jour de Jacobus Vrel lui doit beaucoup. C’était un journaliste et critique d’art lequel s’était intéressé à Vermeer lors d’une visite au Mauritshuis de La Haye. Ville d’où il ramena dans ses filets et sans le savoir d’emblée, l’artiste qui nous intéresse aujourd’hui. Comme il nous est raconté sur un livret très bien fait remis à chaque visiteur, on peut voir sur une photographie, ornant les murs du domicile de Thoré, quatre œuvres de Vrel. Toiles qu’il attribuait (sauf une) au « sphinx de Delft » car c’est ainsi nous dit-on, qu’il surnommait Vermeer. C’est en 1892 que le Rijksmuseum acheta une peinture de ruelle issue de la collection Thoré et à propos de laquelle ce dernier avait déjà des doutes, estimant qu’il s’agissait d’un « suiveur » ayant imité Vermeer « avec une exactitude scrupuleuse ». Toujours est-il que c’est à la suite de cet achat par le Rijksmuseum que le nom de Jacobus Vrel put enfin prendre la lumière qui lui était due a minima.

On peut comprendre la confusion ayant entouré cet homme. On voit notamment dans son travail des effets de perspectives et de profondeur qui ne sont pas sans faire penser à son contemporain Pieter de Hooch (1629-1694). Au point d’ailleurs qu’au 19e siècle quelqu’un avait recouvert sans se gêner la signature du premier par le second. La falsification avait été opérée sur une huile figurant  « Une vieille femme à sa lecture, un garçonnet derrière la vitre » (détail ci-contre). Elle était signée de façon bizarre -comme tout ce qui touche à cet auteur- sur ce qui semble être un morceau de papier jonchant le sol. Ce qui était incroyable était que Thoré s’était interrogé sur l’attribution à de Hooch mais son instinct penchait pour un Vermeer, excluant une troisième option. Cette toile voisine incidemment avec une autre , »Femme penchée à la fenêtre », la seule ayant été datée (1654). La femme y est cette fois exécutée de dos, le jeune garçon est à peine visible, nous cheminons ici et encore d’énigmes en énigmes.

Ce qui frappe, surtout de nos jours où tout un chacun est prompt à signer la plus minable des croûtes et se tient prêt à traduire en justice quiconque violerait son droit d’auteur, c’est l’effacement de ce Jacobus Vrel, lequel s’est peut-être amusé, en plus d’une certaine modestie, à brouiller les pistes. Cette exposition inattendue fait que l’on se pique volontiers à son jeu des secrets.

PHB

Jusqu’au 17 septembre à la Fondation Custodia (ex Institut Néerlandais), 121 rue de Lille 75007 Paris

(1) « J.Frel », « Vrel », « Vrell », « Vrelle », « Veerlle »

 

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3 réponses à Jacobus Vrel presque toujours insaisissable

  1. Philippe PERSON dit :

    Cher Philippe,
    je gare souvent mon vélib à la station près de l’Institut. J’avais vu l’annonce de l’expo, votre article m’a convaincu de m’y arrêter à mon retour à Paris…
    Au moins une expo où il ne faut pas attendre une heure pour la visiter au pas de charge dans une ambiance hall de gare un jour de grand départ !

  2. Objois Françoise dit :

    Les expos de la Fondation Custodia sont toujours de petites merveilles !

  3. bruno charenton dit :

    Un mot sur le « phylactère » apposé sur la maison, ce serait plutôt : dit huijs ijs te huir (des h plutôt que des b).
    En néerlandais moderne, ce serait quelque chose comme « het huis is te huur…  » Cette maison est bien à louer.

    L’article est fort intéressant et l’exposition invite à revenir et intégrer tout ce que vous dites au regard du jeu d’attribution d’une oeuvre et d’un peintre, dont les premiers tableaux sombres au cadrage serré, conduisent à de magnifiques compositions habitées, limpides et complexes à la fois ; il faut parfois entendre les connaisseurs s’extasier ou s’insurger des vernis, et se faire sa propre idée ; difficile de ne pas s’enfiévrer plus loin du choix de gravures et dessins remarquables, dont la Saskia alitée de Rembrandt, fascinant petit format.
    La fondation Custodia présente aussi les oeuvres surprenantes d’un artiste néerlandais d’aujourd’hui, le dessinateur et peintre Rein Dool, dont les fusains (jardins de Dordrecht) m’ont sidéré, et d’autres travaux tendres, acides, drôles, vifs qui méritent plus qu’un coup d’oeil.

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