Andy Warhol au nerf du constat

Dans les années soixante et durant un bon mois, Andy Warhol a filmé un certain John Giorno en train de dormir. Cela se passait 74e rue East street à New York. Depuis une caméra fixe, le premier plan représentait l’abdomen du dormeur et totalisait quarante cinq minutes de visionnage. Comme de juste, le film s’intitulerait « Sleep » avec une projection qui cumulerait en salles plusieurs heures au total sans action particulière. De surcroît Warhol avait réduit le rythme en passant de vingt-quatre à seize images par seconde. Dans sa biographie sortie ce printemps chez Flammarion, Michel Nuridsany tient ce propos remarquable à propos de cette performance inédite. Il écrit qu’avec ce film, Andy Warhol est allé au « nerf du constat ». On y comprend au fil des pages que Warhol (1928-1987) prenait bien soin de ne rien faire comme tout le monde, de mettre l’accent sur ce que l’on élimine d’ordinaire, de souligner enfin ses propres défauts comme des valeurs au lieu de les cacher.

Dans la même veine que « Sleep », il réalisa également un plan très long d’un homme en train, supposément, de faire l’objet d’une fellation par un autre homme, sauf que l’on ne voyait jamais ce dernier. C’était le côté pervers de Warhol consistant à frustrer ceux qui regardaient. Une de ses proches lui dira d’ailleurs à propos de « Blow job » qu’elle avait eu l’impression « d’être un voyeur privé de trou de serrure » et qu’elle avait trouvé le film « chiant ». Andy Warhol avait rétorqué à cette Française qui se faisait appeler Ultra Violet, qu’il aimait « les choses chiantes ». De la même façon il disait que les Américains consommaient avant de penser et qu’il se sentait à ce titre très américain. Du Wahrol 100%.

Cette biographie impossible à lire en diagonale, ce qui est un signe de richesse pour le récit, raconte en marge de la vie du personnage, cette époque où New York fut la capitale de l’art avec l’arrivée du pop art et des pointures du genre comme Roy Lichtenstein (1923-1997)  et Wahrol, jusqu’à son extension dans les années quatre-vingt avec de brillants autant que fugaces successeurs tels Keith Haring (1958-1990) ou Jean-Michel Basquiat (1960-1988) lequel devra beaucoup de son succès à Andy Warhol.

Warhol aura également une vie écourtée faute d’avoir reçu à l’hôpital des soins appropriés. Il avait déjà échappé à deux tentatives d’assassinat. Dans la première les balles n’avaient pas atteint leur but mais ses œuvres. Ce qui fait que l’auteur, commerçant avisé, comprit tout de suite que les trous des projectiles dans les toiles leur avait apporté un surplus de valeur. La seconde tentative eut lieu à la « Factory », le repaire de Warhol où tout pouvait justement se produire. Une nommée Valérie Solanas y conduisit un bain de sang. Elle toucha en effet plusieurs personnes -surtout Warhol- avec ses deux revolvers. Valérie Solanas (1936-1988), féministe radicale, déclara en substance au policier à qui elle se rendra peu après qu’elle avait voulu tuer Warhol car il avait un trop grand contrôle sur sa vie. Manipulateur habile, Wahrol avait paraît-il conscience des dangers qu’il courait du fait de son attitude à l’égard de son entourage.

De fait, Michel Nuridsany ne fait pas l’impasse sur l’ambivalence destruction-création de l’artiste. Il a ses atouts, ses grandes inspirations mais aussi ses failles. Après sa mort apprend-on, il apparaîtra par exemple que Warhol était un  catholique fervent, qu’il ne ratait pas la messe hebdomadaire et participait dans l’anonymat à la distribution de soupe aux pauvres. Mais même mort depuis un bon moment maintenant, il reste relativement insaisissable avec des énigmes non résolues. Ce qu’il y a de sûr c’est qu’il avait la bosse du commerce. Tout comme Rubens en son temps, insiste l’auteur, il n’hésitait pas à fréquenter boîtes et salons variés de façon à convaincre des célébrités de se faire tirer le portrait par lui. Il avait sur ce plan un succès indéniable car, tout comme Van Dongen, il savait valoriser ses sujets.

Auteur de plusieurs biographies dans le domaine de l’art (Dali, Basquiat, Caravage, Watteau) l’auteur fait montre en l’occurrence d’une écriture pleine d’énergie. Il nous explique la genèse des « Marilyn », des « Chaises électriques », des « Camouflages » et bien sûr des « Boîtes de soupe Campbell ». Ces dernières furent d’emblée proposées à des prix élevés ce qui conduisit un épicier de la même rue où elles étaient exposées, à sortir les boîtes du rayonnage et à en proposer trois « vraies » pour un prix défiant la concurrence artistique. Warhol n’a pas été forcément compris, ce n’est rien de le dire et à l’instar de Koons, l’un de ses épigones, il a déjà eu l’occasion de se faire traiter d’escroc.

Warhol ce n’est pas seulement une somme d’œuvres, c’est surtout un univers complexe, une œuvre en soi, composée de l’artiste et des nombreux satellites qu’il attire et parfois asservit, de la Factory et enfin d’une attitude érigeant le contre-pied en système anti-système. « Cool » peut-être, comme il est dit en quatrième de couverture, intéressant sûrement. Il n’a pas fasciné pour rien.

PHB

« Andy Warhol’ par Michel Nuridsany, Flammarion (2023) 29 euros

 

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3 réponses à Andy Warhol au nerf du constat

  1. Dans Sleep il aurait aussi pu éteindre la lumière : ç’aurait été alors vraiment génial !

  2. Philippe PERSON dit :

    Je recommande à notre ami André le livre d’Hector Obalk, qui lui valut dix ans de placard éditorial (heureusement il a survécu) : « Andy Wahrol n’est pas un grand artiste ».
    Je crois que c’est intellectuellement sain d’avoir deux avis opposés.
    Entre Nuridsany et Obalk, on aura une vision complète de cet artiste typique de l’art au temps du marché de l’art. Véritable artiste ou publicitaire photocopieur ? A vous de juger… avant d’aller voir le spectacle sur l’art d’Obalk

  3. alain BOUTRY dit :

    Je ne comprend pas l’intérêt que peut présenter cet artiste;voir une boîte de Campbell soup ne me procure aucune émotion mais je n’ignore pas que l’être humain a tendance à adorer la nouveauté pour la nouveauté!J’avais lu dans le temps un article,peut-être dans la gazette,ou il était rapporté que les connaisseurs considéraient des artistes comme Laurencin,Vlaminck(hors fauve),Utrillo,etc..comme des »tartes »!J’y mettrait bien Warhol et quelques autres américains!

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