Où il est question d’un jeune homme vivant de l’air du temps, dans les années vingt, en Angleterre. William Caine écrit d’abord que son personnage est remarquablement beau, ce qui amène le lecteur à envisager le sieur Dunkle avec un a priori favorable. Mais la suite prouve que cette introduction est trompeuse, nous voilà eus: « Ses cheveux d’ébène, soigneusement gominés et tirés en arrière depuis son large front, évoquaient d’abord par leur aspect luisant et leurs fines nervures longitudinales, le dos d’une limace (…) ». La prose féroce, typiquement anglaise, fait mouche. Et nous voilà parti à la recherche de « Qui a écrit Trixie », le titre d’un ouvrage tout à fait oublié comme son auteur et pour la première fois édité en français, aux éditions Les Feuillantines. Derrière cette narration où l’on redécouvre le plaisir de déguster, dilués dans l’humour, la méchanceté, la morgue, le mépris, la malveillance en un mot, se cache une initiative originale. Celle d’un nouvel éditeur ayant trouvé comme moyen de débarquer sur un marché déjà bien encombré, un biais original. En l’occurrence aller chercher dans la bibliothèque des grands écrivains, des livres rares parce qu’oubliés.
Et ce « Trixie » dont il est question aujourd’hui figurait dans la bibliothèque d’un certain Vladimir Vladimirovitch Nabokov (1899-1977), notamment passé à la postérité pour sa « Lolita ». Lequel avait lu ce livre de William Caine (1873-1925) au point de le mentionner dans une histoire, stimulant ainsi la curiosité de Hervé Lavergne, à la recherche d’auteurs susceptibles de garnir ses rayonnages tout neufs. Autrefois co-fondateur de Courrier International ce qui n’est pas un mince trophée, Hervé Lavergne a commencé par traduire en français cette langue anglaise complexe à l’ironie acérée. Ce qui amène le lecteur a redécouvrir dans le même temps, par voie de traduction, des expressions françaises un peu surannées comme une « voix melliflue » ou à se voir interpeller par le pogo stick, un jeu anglais (forcément bizarre) consistant apparemment à se déplacer le plus vite possible en échasses à ressorts.
Ce William Caine, auteur d’un nombre respectable d’ouvrages (une trentaine au total), raconte l’histoire instantanément captivante d’un archidiacre s’étant lancé dans l’écriture d’un roman sentimental en attendant de devenir évêque. S’alertant lui-même à l’idée qu’une fois la bluette publiée elle pourrait nuire à sa carrière, il choisit alors de se cacher derrière un prête-nom, son futur gendre Bisham Dunkle, le fameux minet dont la crinière brillante évoque le dos d’une limace. Celui-ci accepte avec mépris la proposition de l’archidiacre dans la mesure où le marché comprend aussi la main de Chloé, pénible personnage à qui il arrive de jurer en évoquant ses « jarretelles roses » comme d’autres diraient « Jésus-Marie-Joseph ». « Qui a écrit Trixie » est donc l’histoire d’une double narration, un roman dans le roman, dont le carburant (la méchanceté et le calcul), se met à flamber en raison du succès de « Trixie ». En conséquence de quoi l’archidiacre veut logiquement récupérer pour lui la paternité de son roman et accessoirement ses droits d’auteur, tandis que l’affreux Dunkie ne fonctionne de son côté qu’avec l’appât du gain. Une intrigue où chacun et tour à tour, cherche à être plus malin que l’autre.
En voilà une bonne idée d’éditeur alors que les tréteaux des libraires ploient sous des livraisons où l’omniprésence du « moi-je » décourage l’achat. Au demeurant « Qui a tué Trixie » sortira concomitamment avec un autre sujet d’humour anglais, cette fois extrait de la bibliothèque de Charles Dickens (1812-1870), soit « Le grand livre des avares » par Frederick Sonner Merryweather (1827-1900).
Tout ici est dans le plaisir de la découverte de ce William Caine miraculeusement exhumé avec son archidiacre, sorti des limbes par un esprit curieux et entrepreneur. Ce Caine diplômé d’Oxford qui, nous explique-t-on, était aussi amateur de gastronomie française et de pêche à la ligne. Surtout, il nous est présenté comme un Anglais authentiquement excentrique, mot qui n’a plus vraiment cours ici, du moins au sens britannique du terme. Géométriquement ou politiquement, l’excentricité consiste à s’écarter d’un point, donné comme le centre. Mais dans le domaine figuré (attitude et du comportement), nos amis d’outre-Manche sont des experts. Balzac avait écrit dans les « Martyrs ignorés » que la société anglaise comptait beaucoup de fous tolérés que l’on l’on nommait « excentriques ». Les Anglais sont aussi les inventeurs de l’humour, cette « humeur » que le poète Max Jacob définissait comme une « étincelle » très différente de l’ironie, celle qui « voile les émotions, répond sans répondre, ne blesse pas et amuse ». Ce n’est pas tout à fait le cas dans « Qui a tué Trixie » et c’est pour cela d’ailleurs qu’a été créé un jour « l’humour grinçant », forme de filiale réservée aux esprits forts. Il est en est de même pour l’humour fiscal et plein d’autres dérivés encore.
PHB
Dans la même veine : « Les Excentriques Anglais » d’Edith Sitwell est un petit bijou d’humour anglais