Bleu saphir et autres nuances pétrole ou lavande

Contrairement au rose, le bleu est ambivalent. Si l’on parle de bleus à l’âme ce n’est pas pour dire que nous sommes dans une bonne passe. Si l’on évoque en revanche le bleu céleste, il nous vient des idées de paradis sans commencement ni fin. On aime le bleu parce que c’est la couleur de notre astre. De leur côté Uranus et Neptune ont beau se la jouer bleu horizon, planètes bien jolies à regarder, elles sont invivables. Lorsque Joan Miró a peint ses « Trois bleus » (dont un ci-dessus) depuis Palma de Majorque, ce fut dans le cadre « d’une très grande tension intérieure » visant au dépouillement final. Grâce aux variations de la teinte, chacune de ses trois toiles produit un effet bienfaisant. Le fait qu’elles fussent additionnées de quelques interventions rouges et noires ne faisaient dès lors que stabiliser, voire renforcer l’effet apaisant, leur charme.

Cela va faire cette année quarante ans que l’artiste catalan est décédé mais apparemment, rien n’a été inscrit au programme des musées en ce sens. Sans doute parce qu’il a été, il n’y a pas si longtemps, l’hôte du Grand Palais et que d’autre part en matière de célébration, le nombre cinquante vaut officiellement davantage que le niveau quadra. Et puis les « Trois bleus » sont à Pompidou, on peut y aller chaque jour, faire son plein de bleu et même de grand bleu, comme dans le film éponyme de Besson (programmé mercredi sur Arte pour ceux que ça intéresse).

Tout ça pour dire que le bleu c’est toute une affaire, Soulages c’était le noir, Klein le bleu, mais par ces temps déjà sombres, on cherchera davantage l’azur, ainsi que l’on nommait il y a longtemps la couleur du ciel. Calé entre l’indigo et le vert, le bleu est présent dans un nombre incroyable de références, comme le Danube ou le Yang-Tsé-Kiang mais aussi le manteau de la Vierge, l’avis d’un huissier, le drapeau capétien ou la zone déterminant un stationnement réglementé. C’est, disent les amateurs de joaillerie, la plus belle couleur du saphir et celle aussi qui faisait que l’on reconnaissait d’emblée un paquet de Gauloises brunes.

Lavande, pâle, outremer, prussien, pétrole, turquoise, cette couleur compte moult variétés qui varient de surcroît en fonction de la lumière. Ce qui a fait dire à Van Gogh (1853-1890), dans une lettre à son frère Théo en 1883, que sa quête de bleu était incessante et qu’il aimait surprendre cette matière vivante selon les contrastes apportés par le vert des arbres ou la blondeur des blés. Il était alors aux Pays-Bas et note que par le biais d’une harmonie innée, les paysans du coin s’habillaient également de bleu.

Il est facile de remarquer en bord de mer que le bleu épouse la profondeur et ce faisant il la désigne, la confond. Kandinsky (1866-1944) avait également son point de vue sur la question. Pour lui cette couleur est instable, mobile, et son intensité détermine son action intérieure. Autrement dit, on croit avoir affaire à une matière inerte, il n’en est rien. Pour Kandinsky encore, « le bleu profond attire l’homme vers l’infini », éveillant en lui le « désir de pureté et une soif de surnaturel ». Quant à Miró, il avait déclaré qu’il était la « couleur de ses rêves ». On peut supposer que là où ils se trouvent désormais, les deux hommes se sont mis d’accord, la passerelle entre le spirituel et les songes ayant été construite bien avant qu’ils mettent la main à leur première palette.

Paul Éluard a connu quelques belles inspirations dans ce domaine, notamment quand il écrivit en 1929: « La Terre est bleue comme une orange. » En poésie comme en publicité, c’est ce qu’il est convenu d’appeler une trouvaille. Enfermé quelque jours à la Santé, Apollinaire s’était plaint que « le ciel était bleu comme une chaîne » et l’on devine que son humeur alors, était bien grise et maussade. Chez les artistes en revanche, nombre d’entre eux ne se sont pas gênés pour repeindre le monde à leur goût. S’il faut changer un peu la couleur des abricots qu’est-ce que cela change puisque cela se passe sur une toile. Sauf qu’attention, quand on commence à repeindre, on sait quand ça commence mais moins quelle en est l’échéance.

Pour en revenir à Joan Miró, c’est le 23 juin 1961, qu’il exposa pour la première fois son triptyque à la galerie Maeght à Paris. La vie moderne fait qu’il est toujours possible d’aller les voir même si l’on navigue dans l’hémisphère sud, du moment que l’on dispose d’une connexion Internet (1). Après, on peut toujours s’amuser à repérer le bleu autour de soi le temps d’une promenade ou en faisant le tour de son salon. S’agissant du bleu, l’inventaire obtenu n’est jamais innocent.

PHB

 

Voir « Les trois bleus » à Pompidou

Photos: ©PHB
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6 réponses à Bleu saphir et autres nuances pétrole ou lavande

  1. Seriez-vous complètement miro ?

    Bleu de bleu
    Quand j’ai besoin de bleu,
    Quand j’ai besoin, de bleu, de bleu,
    De bleu de mer et d’outre-mer,
    De bleu de ciel et d’outre-ciel,
    De bleu marin, de bleu céleste ;

    Quand j’ai besoin profond,
    Quand j’ai besoin altier,
    Quand j’ai besoin d’envol,
    Quand j’ai besoin de nage,
    Et de plonger en ciel,
    Et de voler sous l’eau ;

    Quand j’ai besoin de bleu
    Pour l’âme et le visage,
    Pour tout le corps laver,
    Pour ondoyer le cœur ;

    Quand j’ai besoin de bleu
    Pour mon éternité,
    Pour déborder ma vie,
    Pour aller au-delà
    Rassurer ma terreur
    Pour savoir qu’au-delà
    Tout reprend de plus belle ;

    Quand j’ai besoin de bleu,
    L’hiver,
    Quand j’ai besoin de bleu,
    La nuit
    J’ai recours à tes yeux.

    Jean Mogin
    (La Belle Alliance)

  2. Merci, André Lombard !
    Je ne résiste pas à l’envie de partager cette trouvaille (au bas d’une page Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_noms_de_couleur)
    « […] vous voulez savoir de quoi sont nos discours ; ils sont des duels, où il se faut bien garder de admirer la valeur d’aucun […], vous philosophez sur les bas de chausses de la Cour, sur un bleu Turquoise, un orangé, feuille morte, isabelle, zizoulin, couleur du Roy, mimime, trist’amie, ventre de biche ou de Nonains, si vous voulez, amarante, nacarat, pensée, fleur de seigle, gris de lin, gris d’été, orangé pastel, Espagnol malade, Celadon, astrée, face grattée, couleur de rat, fleur de péché, fleur mourante, vert naissant, vert gai, vert brun, vert de mer, vert de pré, vert de gris, merde d’oye, jaune paille, jaune doré, couleur de Judas, de vérolé, d’aurore, de serain, écarlate, rouge sang-de-beuf, couleur d’eau, couleur d’ormus, argentin, singe mourant, couleur d’ardoise, gris de ramier, gris perlé, bleu mourant, bleu de la fièvre, gris argenté, merde d’enfant, couleur de selle à dos, de veuve réjouie, de temps perdu, fiammette, de soufre, de la faveur, couleur de pain bis, couleur de constipé, couleur de faute de pisser, jus de nature, singe envenimé, ris de guenon, trépassé revenu, Espagnol mourant, couleur de baise-moi-ma-mignonne, couleur de péché mortel, couleur de crystaline, couleur de bœuf fumé, de jambons communs, de soucis, de désirs amoureux, de racleurs de cheminée. J’ai oui dire à Guedron que toutes ces couleurs s’appellent la science de Chromatique, & que dorénavant on s’habillerait de couleur de Physique, comme de jambes pourries, de nez chancreux, bouches puantes, yeux chassieux, têtes galeuses, perruques de pendus, & le tout à la mode, sans y comprendre les couleurs de Rhétorique & m’a dit qu’il se falloit garder de la couleur d’amitié. »
    Aventures du baron de Fæneste, 1630, dans Théodore Agrippa d’Aubigné, Œuvres complètes, t. 2, Paris, Lemerre, 1873-1877 »

  3. Ibanès Jacques dit :

    BLEU

    A plein œil les ciels bleus d’hiver que je dévore
    dans le meuglement des tramontanes
    bleu de bleu
    bleu

    à la dérive des esquifs j’attache les lambeaux de mes vies
    bleu de bleu
    bleu

    l’errant de mon enfance
    Ulysse
    chef du charroi de mes réminiscences
    conduit en riant mes fantasmes de bleu
    bleus ses cheveux
    bleu son regard
    baume bleu que le père aimé
    le modèle
    dépose sur les angoisses de l’enfant qui n’est pas mort en moi comme un onguent
    bleu de bleu
    bleu

    la note bleue s’insinuant dans les syncopes
    le stylo bleu amorçant des azurs de chimère
    l’oiseau bleu dont j’ai tranché la gorge dans l’impasse
    la flèche bleue qui me terrasse dans l’extase
    et la mort la mort étendant de bleu sa présence invariante
    bleu de bleu
    bleu
    blue
    blues.

    (in « Entame »)

  4. Centre de lecture et d'écriture en français cormier dit :

    Voilà qui est étrange que de penser aux gens du Tamasheq… Leur peau mate se colore du bleu de leur chèche ; nomades dans le désert brûlant, ils enveloppent leur corps de la couleur de l’eau.
    (Le Bleu plein)

  5. Gilles Bridier dit :

    … et une pensée pour les cols bleus qui, loin de la grande bleue, ont le blues à l’heure bleue entre chiens et chats. Mais même pas peur… bleue, peut-être !

  6. bruno charenton dit :

    « La couleur n’est pas tant un phénomène naturel qu’une construction culturelle complexe, rebelle à toute généralisation, sinon à toute analyse. »
    Bleu – histoire d’une couleur.
    Michel Pastoureau

    « Blue, blue, electric blue, that’s the colour of my room, where i will live… »
    Sound and vision – David Bowie

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