C’était un peu la mode alors pourquoi y déroger. Dans son jardin à l’anglaise, Charles Perrier avait fait édifier des serres à l’intérieur desquelles poussaient des orchidées, des ananas, des orangers. Pour le bâtiment disons que l’on avait fait grand genre et même grand siècle. Achevé en 1857, il avait un petit côté Versailles, aspect toujours frappant lorsque l’on se trouve devant. À Épernay, il est à la fois le château Perrier et le Musée du vin de Champagne et d’archéologie régionale. Et donc il se visite, actuellement dans le cadre d’une petite exposition temporaire sur les collections chics, car en plus de chérir les plantes exotiques et de cultiver la vigne, on aimait aussi assembler les trésors venus parfois d’extrême-orient. Mais cette exposition intitulée « Goûter le monde, le banquet des merveilles » (jusqu’au 11 décembre) n’est pas ce qui surprend d’emblée le visiteur venu de Paris. L’étonnement vient d’ailleurs. De cette avenue de Champagne où l’on vante avec raison cette boisson unique sachant dissoudre en quelques secondes tout type de vague à l’âme.
Les négociants s’y sont installés dès le 18e siècle et progressivement ils ont construit une double rangée assez extraordinaire de grandes maisons dont le seul nom suscite l’envie de goûter les meilleurs crus. Ce qui peut être fait mais moyennant finances car nous ne sommes pas au salon de l’agriculture. L’installation à cet endroit d’Épernay était bien pratique puisque la proximité d’un canal et de la gare permettait d’expédier les précieuses bouteilles de par le monde. L’axe se remarque par son élégance. Chaque « point de deal » a l’air en compétition, sur ce point, avec le voisin. C’est le cartel des vignerons champenois qui étale ici sa bonne fortune, y compris la maison Perrier Jouët dont le portail est gardé par deux sphinges lascives, à même de jauger d’un seul coup d’œil le pouvoir d’achat de celui qui se présente. Ici et là, tout semble indiquer que l’acheteur est préférable au touriste en goguette. À noter qu’en cas de nécessité de s’abriter tout ce beau monde peut compter sur un réseau de caves totalisant paraît-il 110 kilomètres de couloirs.
Et puis il y a le musée qui consacre seulement une partie de son espace à l’histoire du vin de Champagne depuis le crétacé, le temps où l’effervescence était considérée comme un défaut et jusqu’au moment où progressivement l’opinion a changé sur la question bulles. Moyennant quoi on nous apprend que le divin frémissement du breuvage enclenche la sortie sonore de trois cents millions de bouchons chaque année, tandis que l’équivalent d’un milliard attend en cave la parfaite maturité. D’Épernay jusqu’à Troyes en passant par Reims, c’est la fête aux assemblages secrets, aux blancs de blancs, aux premiers crus millésimés. Comme le disait une artiste de scène récemment, Madame Foresti pour ne pas la nommer, on en boit de plus en plus tôt, dès le brunch de onze heures, ce qui permet d’oublier notre dernière échéance sur la Terre.
Dans le parcours muséal, il y aurait c’est certain, un devoir de visite pour la grande majorité des garçons de café, les Parisiens comme les autres. Dans une pièce, il y a en effet comme une sorte d’autel où sont présentés les différents récipients qui permettent de boire convenablement. À Paris (notamment) lorsque vous commandez une coupe, on vous apporte sans rire, une flûte. Le mal est persistant et si vous froncez le sourcil devant cette bévue ou pire si vous faites une remarque, on vous regarde avec cette bienveillance pénible que l’on accorde aux vieux imbéciles.
Nous avons donc là un bel échantillonnage cristallin de ce qui se fait de mieux en la matière, du verre tulipe jusqu’aux vraies flûtes. Il est mentionné pour ceux que cette discorde sur le contenant intéresse, qu’une coupe n’est pas le format idéal pour boire du champagne si elle est trop courte sur sa base. Car la main risque ainsi de réchauffer le vin. Il vaut mieux une coupe avec un beau pied ce qui est aussi au passage, le cas des escarpins. Il est en effet des situations (cela s’est vu) où ivresse aidant, il est possible d’utiliser une chaussure féminine pour lamper un millésimé. Mais c’est un cas extrême, convenons-en. Grâce à sa transparence, le verre est l’ami de l’homme et la vue du champagne concourt par sa joliesse à flatter le goût du contenu. Pour le reste il n’y a que les pilotes de Formule 1 ou les champions de courses cyclistes pour boire le champagne directement à la bouteille avant d’en asperger les voisins, ce qui qui représente un gâchis tout à fait regrettable. Mais il est vrai qu’avec du coca, ce serait moins bien, sans compter que ce soda envahisseur attire les guêpes, enfin quand il y en a encore.
PHB
Entre le début de cette chronique pétillante et la fin, combien de coupes – pardon, de flûtes? À la santé des lecteurs!