En cadence

Certains l’éprouvent en ce moment-même au front: durant l’assaut, toute forme d’encouragement est bonne à prendre. Bien que l’usage se soit dissout, peut-être qu’en réhabilitant le rôle du tambour, un camp serait à même de prendre l’avantage sur l’autre. C’est ce qui est indiqué au pied de cette sculpture de bronze avec la mention « pendant l’assaut ». Tout indique, de l’uniforme en passant par le nom du sculpteur (Charles Anfrie, 1833-1905), que le soldat ainsi figé dans le bronze, opérait vers la fin du 19e siècle. Il a mis un certain temps pour gagner son actuelle demeure vu son poids respectable. Très fort serait le voleur qui pourrait partir avec en courant. Avec sa moustache, sa cartouchière en bandoulière, il personnifie l’élan figé de celui qui d’une façon générale, était là pour marquer la cadence. Une pratique qui relève de la céleustique, c’est-à-dire et en d’autres termes, l’art de transmettre des ordres par des signaux sonores.  Si l’on recule dans le temps, le tambour pouvait être accompagné d’un fifre et, dans les deux cas, il semble que cet accompagnement musical spécifique d’une armée en marche, soit venu de Suisse.

On entend encore le tambour lors des sonneries au mort, mais il faut bien constater qu’il s’agit-là d’une sorte de relégation. On se bat de plus en plus de loin et il semble évident que les drones n’ont guère besoin d’un aéronef-adjoint qui serait là uniquement pour donner du courage à l’escadrille. Non aujourd’hui, on peut encore l’entendre lors de concerts, sur des partitions de Lully ou de Rameau, comme le précise à ce propos un site très spécialisé(1).

Le Musée de l’Armée nous enseigne que son usage dans les troupes est venu, au début du 16e siècle, après celui de la trompette. Sur ses deux jambes, le tambour, dirigé par le tambour-major, « aide les soldats à garder la ligne quand ils avancent vers l’ennemi et améliore la vitesse d’exécution des évolutions qui semblent ainsi moins fatigantes ». Il est vrai qu’à une époque, la guerre ne se concevait pas sans musique et certains peuvent encore fredonner des chants appris à l’école comme « Trois jeunes tambours », « Auprès de ma blonde » ou le célébrissime « Marlborough s’en va-t-en guerre » mironton etc. On pouvait pousser assez loin le goût de l’habillage musical tel le Grand Condé (1621-1686), qui mobilisa pas moins de 24 violons durant le siège de Lérida en 1647. Ce qui ne l’empêcha pas de faire machine arrière en raison de la forte résistance espagnole. L’échec fut peut-être imputé aux violons ou alors avait-il oublié de faire correctement battre la chamade, tempo « qui se fait aux portes d’une place » afin de signifier qu’on veut parler à ceux qui la tiennent.

C’est tout le problème d’ailleurs de ce qu’est devenu la chamade, car venu du cœur, le battement se fait moins bien entendre auprès de l’être à conquérir. Il faudrait trouver un entre-deux car le tambour en principe n’est pas fait pour l’amour. Pour le coup, un fifre serait davantage approprié, encore faudrait-il en trouver un de disponible, sans compter qu’en outre, l’effet de surprise pourrait s’avérer contreproductif à l’égard de l’objectif.

En tout cas ce qui n’est pas tombé en déshérence c’est la transmission, avec à Rennes, une école et surtout un musée qui devrait rouvrir fin janvier. L’établissement porte le nom de Gustave Ferrié (1868-1932) ingénieur spécialisé dans les signaux. Selon le site du Ministère de la Défense, il avait été sollicité par un autre Gustave (Eiffel) afin de sauver la tour du démantèlement, en lui conférant une utilité d’antenne pour la télégraphie sans fil. Avec la transmission des messages, est venue parallèlement l’interception des messagers (pigeons, messagers à moto, signaux électroniques…). Il est bien normal en effet de savoir ce que mijote l’ennemi. C’est pour cela qu’on code les messages et que sont nés dans le même temps les décodeurs. Une bipolarité qui n’en finit pas, car il n’y pas d’action sans réaction, de tir sans riposte.

C’est pour cela que le rôle du tambour pourrait être réhabilité. En effet, avant que quelqu’un retrouve le manuel des significations d’un battement en trois temps sur une peau de chèvre ou d’agneau maintenue par un cercle de jonc de part et d’autre d’un fût, il peut se passer un temps décisif au bénéfice de la victoire. Quoiqu’il en soit, pour la solennité, difficile de faire mieux. Le tambour est l’ennemi du banal, l’adversaire de la routine. Avant chaque examen oral à l’université, avant chaque intervention dans un bloc opératoire, avant chaque épreuve sportive, un bon petit roulement des deux baguettes contribuerait en outre au redressement des vertèbres en même temps qu’il apporterait le courage nécessaire aux personnes concernées. On peut aussi se ressaisir avec la great highland bagpipe, la cornemuse chère à nos cousins de là-haut, c’est très bon aussi pour le standing métabolique. Que l’on pourra parfaire avec un doigt de whisky.

PHB

(1) À propos de musique militaire
Photo: ©PHB
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5 réponses à En cadence

  1. Et si l’on faisait rouler le tambour pour exprimer enfin le ral-le-bol de la guerre et que pour une fois il signifie :  » Ne tirez pas, arrêtez tout, rentre chez vous !  » ?????

    • Tristan Felix dit :

      Un cynisme de cette trempe est une arme de dandy qui sauve du vatisme en guerre tout en glissant dans ses tranchées une réflexion tout aussi salutaire. La guerre semble l’issue terrible du naufrage planétaire. Alors, à défaut de Max Roach, quelques roulements désabusés de langue. Merci, Philippe.

  2. Cynique chronique… Et si l’on parlait de paix ?

  3. Pierre DERENNE dit :

    Bataille de la Somme. Le 1er juillet 1916, les britanniques, au pas, s’avancent au son des cornemuses vers les lignes allemandes : 57 400 morts ou hors de combat à la fin de la journée… 6000 chez les Allemands qui n’avaient ni tambour ni trompette

  4. Capelle dit :

    Faire comme le tambour : raisonner avant l’assaut, peut permettre d’éviter l’assaut.

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