Cartoucherie

Le fait que le Musée Carnavalet s’intéresse jusqu’à la fin du mois à la période de la Régence (1715-1723) convoque en pensée le bandit Cartouche. Et il est pratiquement impossible de penser à Cartouche sans lui prêter les traits de Jean-Paul Belmondo dans le film signé Philippe de Broca sorti en 1962 et simplement intitulé « Cartouche » . Pas simple non plus de ne pas appeler le visage de Philippe Noiret dans « Que la fête commence » afin de mieux imaginer celui qui fit l’intérim du roi Louis XV, Philippe d’Orléans. Les deux films ont été des succès mérités. Avec le temps, les génériques des deux longs métrages sont presque devenus des requiem. Outre Belmondo et Noiret on pense pêle-mêle à Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort ou la regrettée Christine Pascal. C’est la force de ces films que d’avoir scellé irrésistiblement des masques sur les visages de personnages historiques. Justement, un jour que le Régent circulait grimé dans une fête qui se donnait au milieu du jardin des Tuileries, un faux abbé (ci-dessus par Bilibine) s’approcha de lui pour lui souffler l’imminence de la « conjuration de Cellamare ». Vivement intéressé le Régent convia discrètement l’homme chez lui afin d’avoir tous les détails. Sans vouloir connaître son identité il lui confia en guise de remerciement, une bague royale, censée le protéger le cas échéant.

Le Régent avait-il deviné que le faux était abbé n’était autre que Dominique Bourguignon dit Cartouche, le plus célèbre fripon de cet intervalle entre deux règnes? Toujours est-il que plus tard, parmi les proches acolytes de Cartouche, il s’en trouva deux pour voler la bague à leur chef, en profitant d’une grosse fièvre ayant altéré sa lucidité. Et le jour où les argousins (policiers) attrapèrent Cartouche pour de bon, ce dernier ne put exhiber l’objet qui devait lui servir de talisman protecteur. On le conduisit en place de Grève, on l’attacha sur une roue, on lui brisa les membres jusqu’à ce que mort s’ensuive. On a dit que Cartouche qui n’avait que vingt-huit ans, avait bénéficié d’un retentum, mot latin signifiant une faveur de dernière minute, celle consistant à tuer discrètement le condamné avant le supplice.

Aujourd’hui il est possible dans Paris de marcher dans les traces de cartouche, soit en empruntant la rue du Pont-au-Choux (3e arrondissement) où il est né, soit en se rendant rue de la Grange Batelière (9e) là où il fit l’acquisition d’un petit hôtel particulier, ou encore au pied de la rue de Belleville où non seulement son père tenait une auberge mais où il subsiste une brasserie, la Vielleuse (1), qui a au moins gardé l’enseigne que fréquentait le sieur Bourguignon.

La vie de Cartouche a maintes fois été racontée, on ne sait pas toujours, sauf à travers quelques documents administratifs (ou son marque mortuaire conservé à Saint-Germain-en-Laye) ce qui relève de la romance pure et de la réalité historique. Au fond peu importe, ce qui compte c’est l’aventure, telle la version racontée en 1935 par Charles Quinel et Adhémar Cordebœuf de Beauverger, marquis de Montgon. C’est la version sage. À travers cette belle édition enrichie d’illustrations remarquables signée de Ivan Bilibine, c’est en effet le côté historique et social qui prime dans un ensemble particulièrement chaste. Cela sent la distribution des prix. On découvre les débuts de Dominique Bourguignon, ses itinéraires jalonnés de taloches, depuis Belleville d’abord jusqu’à Rouen où il apprend à survivre dans le sillage d’un couple de gitans. Avant d’être récupéré par son oncle lequel fera en sorte qu’il reçoive une bonne instruction.

La narration des deux auteurs est suffisamment bonne pour y fleurer une ambiance à la mousquetaire que notre mémoire n’a pas trop besoin d’assaisonner d’éléments imagés, puisés dans les deux films cités plus haut. Le mythe du bon bandit marche à fond, la combine démarre au quart de tour, on aime à y croire, tout ne peut pas être mauvais comme dans la vraie vie. Cartouche nous fait rêver autant que Belmondo, en détroussant des idiots cupides.  Et par extension, le soufflet sonore administré par le marquis de Pontcallec (Jean-Pierre Marielle) à un idiot qui lui manquait respect, nous fait encore un écho réjouissant dans nos oreilles. Bien raconté, le passé nous fait office de pansement quand le présent nous égratigne et que l’avenir nous inquiète. Et c’est bien pour cela que l’on peut se ré-intéresser à la Régence, une époque suffisamment éloignée de notre 21e siècle pour ne pas attirer les nouveaux censeurs vrombissant dans le poste comme autant de mouches vertes et bleues.

PHB

(1) Information figurant dans le Guide des Brasseries Parisiennes
La Régence à Paris (1715-1723)/L’aube des Lumières jusqu’au 25 février 2024, musée Carnavalet
Photos: ©PHB
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Histoire, Livres. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.