Cieux soufrés

En orangeant ses cieux à outrance ou en les teintant plus délicatement comme ci-contre dans cette vue de Leeds, William Turner (1775-1851), ne cherchait pas particulièrement à se distinguer. Il n’aurait fait que recopier la nature. Surtout à partir de 1815 lorsque les gaz soufrés émis en quantités gigantesques par l’entrée en éruption du volcan indonésien Tambora ont été disséminés à travers le monde entier, faisant plusieurs fois le tour du globe. Cette passionnante hypothèse est émise dans le documentaire que diffusera Arte dès le 2 mars. Elle s’appuie notamment sur une étude publiée en 2014 par l’Union européenne des géosciences et reprise par l’Agence France Presse. D’où il ressortait également que les paysages peints par Edgar Degas (1834-1917) avaient été affectés dès 1883 par l’éruption cataclysmique d’un autre volcan indonésien, le Krakatoa. La pollution d’une façon générale, autorise la belle peinture. On peut le constater notamment dans nombre d’œuvres de Claude Monet (1840-1926), avec la prise en compte par son pinceau, de la fumée sortant des cheminées d’usines ou des locomotives de Saint-Lazare. Cela est également vrai pour la photographie: rien de plus barbant qu’un ciel bleu.

Les peintres ont documenté l’histoire, soit parce qu’ils étaient présents face au sujet, soit parce qu’ils avaient traduit les récits d’événements variés. Comme les impressionnistes allaient « sur le motif », ils ont évidemment été des témoins précieux.

Ce documentaire de Jens Hahne (Allemagne, 2015, 1h28mn), intitulé « Volcans assoupis,
des géants sous haute surveillance » nous rappelle à notre condition humaine bien fragile, lorsque le magma s’amoncelle sous la croûte terrestre. L’humanité en a parfois payé le prix fort, nous explique ainsi le film. Comme à l’époque de l’empereur Justinien (482-565) où l’on suppose que l’éruption d’un volcan aurait été à l’origine d’une réaction en chaîne entraînant une pandémie de peste, laquelle précipitera la chute de l’Empire byzantin. Un volcan qui pète et c’est le reset comme on dit en anglais, une réinitialisation qui remet tout le monde au même plan: horizontal.

On se laisse attraper par le suspens induit, laissant entendre qu’une super éruption pourrait bien se produire à nouveau  si l’on pense au volcan se trouvant actuellement sous le parc de Yellowstone aux États-Unis. Le magma est là, menaçant. Mais c’était il y a 630 mille ans et la probabilité qu’il vienne déranger nos plans pour les week-ends à venir est tout de même assez faible. Ce qu’il y a de sûr en revanche, pour en revenir à Monet et à Turner, c’est que nous aurons les images, dans la mesure toutefois où la vie sur Terre ne sera pas abolie.

On aurait bien aimé que le 20 février 1943, l’apparition du Paricutín, volcan du Mexique situé dans l’État du Michoacán, eût été filmée, peinte ou photographiée. Car cette montagne nouvelle, culminant désormais à plus de trois mille mètres est sortie de terre au beau milieu d’un champ de maïs. Et à ce titre, on n’ose imaginer la distribution extraordinaire de pop-corn, qu’une telle éruption a pu engendrer, à condition toutefois que le maïs en question fût bien mûr. Le paysage alentour s’en est trouvé durablement modifié, ainsi que nous le montre le documentaire avec une église ayant vaillamment résisté, émergeant toujours du magma enfin refroidi, après neuf ans d’activité.

L’année 1816 avait été sur Terre une année sans été, après la crise du Tambora. Cette baisse brutale des températures dont il n’est pas sûr qu’elle soit à nouveau souhaitable malgré le réchauffement en cours, s’est également produite après la colère du volcan islandais Laki en 1783, expédiant notamment 8 millions de tonnes de gaz fluorés, dont on peut comprendre qu’ils avaient là aussi changé la couleur des nuages et des cieux. Nombre d’historiens s’accordent à penser que la famine ayant résulté des récoltes calamiteuses durant plusieurs années, a joué un rôle dans la Révolution française. Et il faudrait à cette aune se pencher sur la production picturale et même littéraire de l’époque afin de déceler l’influence qu’une telle catastrophe a pu avoir chez les artistes et les écrivains.

Rien n’est sous contrôle. Entre deux éruptions, on joue malheureusement à la guerre, le goût de l’explosion et le sens de la destruction étant exclusifs aux humains. D’ailleurs nous modifions nous-mêmes le climat avec une insouciance qui trahit possiblement l’ennui. En attendant le prochain trop plein de magma qui pourrait sortir de l’un des 1500 volcans en activité dont 100 sous surveillance serrée. Et sans compter bien sûr ceux qui, comme le Paricutín, sortent de nulle part comme le diable de sa boîte. Ou encore le Popocatépetl qui ne s’appelle pas « montagne fumante » pour rien. Nous dormons sur un lit de braises.

PHB

« Volcans assoupis, des géants sous haute surveillance »du 02/03/2024 au 31/03/2024, sur Arte
Peinture: Leeds, aquarelle de Turner. Domaine public, source Wikipédia

 

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3 réponses à Cieux soufrés

  1. Muriel Martin dit :

    Merci toujours pour votre spleen est votre humour qui couvent leur ire.

  2. Jean V. dit :

    Oui Philippe, on adore les cieux de Turner, mais les effets de l’éruption du Tambora ont été majeurs, famines, décès, migrations, développement de l’opium ds le Yunnan, choléra, émeutes en Bavière (on cherchait déjà des souffre – ou soufre-douleurs !) , pour un refroidissement d’environ 1.5°C, ça vous rappelle rien cette variation de température ?
    A lire : L’année sans été , de Gil D’arcy Wood.
    N’oublions pas l’éruption de l’Okmok en Alaska, 43 BC, qui a pu provoquer la chute de la République romaine. Le souci actuel : les Champs Phlégréens.

  3. Michèle Puyserver dit :

    Passionnant article, merci!

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