Couleur Brésil

Lorsqu’en 1924 elle retourne au Brésil après une longue parenthèse parisienne, Tarsila do Amaral y est alors rejointe par deux poètes, son compatriote Oswald de Andrade (1890-1954) et Blaise Cendrars (1887-1961). De sa rencontre avec ce dernier à Paris l’année précédente, il en résultera l’illustration d’une couverture du livre « Feuilles de route » et quelques projets autour du même thème, que l’on peut voir en ce moment-même à l’occasion d’une exposition sur Tarsila do Amaral, située au Musée du Luxembourg. Le fait que cet établissement s’écarte un peu des sentiers battus est à souligner. Avec cette artiste née en 1886 dans l’État de Sāo Paulo à Capivaru et disparue dans la même ville en 1973. Issue d’une famille aisée, Tarsila do Amaral n’a pas hésité à franchir un jour l’océan afin d’aller se frotter, à Paris, aux avant-gardes dont tout le monde parlait alors. C’est ainsi qu’il en est resté des esquisses comme cette étude (ci-dessus) d’un projet d’affiche pour une conférence que devait tenir Blaise Cendrars.

Tout le plaisir ici réside dans la bonne surprise de cette rencontre inattendue, avec un personnage ayant trempé sa propre culture dans le bouillon artistique de l’entre-deux guerres à Paris. Entre le primitivisme et le cubisme mais pas seulement, son œuvre comporte des aspects souvent étonnants. Ainsi il n’est pas possible de se dire, passé la première salle, que la suite sera à l’avenant, comme cousue de fil blanc. Ses portraits, ses paysages tropicaux forcément luxuriants, ses dessins, forment bienheureusement un ensemble non linéaire, mais réunis tout de même par la sensibilité singulière de l’artiste.

Le fait est que l’étonnement est souvent au rendez-vous, comme avec cette tour Eiffel repérée un jour lors d’une plongée dans une favela. C’était en 1924, lors d’un déplacement à Rio de Janeiro et plus précisément dans le quartier populaire de Madudeira. Cette représentation primitive de ce symbole parisien rendait en l’occurrence hommage à l’aviateur brésilien Santos-Dumont, lequel avait survolé la capitale française en dirigeable, durant l’année 1906.

Tarsila do Amaral en a fait une peinture flamboyante empruntant tout à la fois à sa culture et à celle des peintres rencontrés à Paris, dont Fernand Léger, dont on retrouve souvent la patte. Un mélange de styles dont la réussite souligne en quoi, l’influence peut être positive là où d’autres s’alarment aussitôt, et un peu bêtement d’ailleurs, d’un soupçon de plagiat. Deux pinceaux, deux inspirations se télescopent ici, produisant quelque chose qui n’existait pas auparavant. C’est en tout point le progrès d’un croisement. Face au Brésil polychrome, Cendrars évoque justement dans un poème (illustré par Tarsila do Amaral) les couleurs de cette terre dont le vert est « plus foncé » qu’en Europe avec semble-t-il, une préférence pour le « bleu céleste qui colore les campos fleuris ».

De son séjour à Paris dans les années vingt, lors duquel elle rencontre ceux qui comptent, les Delaunay, Brancusi, Picasso Braque, Léger, Cocteau…, elle ne suscite pas, côté critiques d’art que des éloges, tant s’en faut. Ainsi que le mentionne Rafael Cardoso dans sa présentation, les plumes savantes l’avaient qualifié « d’artiste charmante, décorative et naïve ». On peut faire mieux comme compliment. Il faut dire qu’elle-même n’a pas été tendre avec les femmes artistes et singulièrement Marie Laurencin (ex-compagne d’Apollinaire) dont « elle déplore son manque de recherche technique, d’audace et de vigueur » et son « narcissisme manifeste ». Pour l’amabilité on repassera, sachant qu’en outre, en matière de narcissisme et d’estime de soi, il ne manquait pas dans le Paris d’alors, de fameux compétiteurs.

Sous les cimaises du musée, l’écho de ces chamailleries ne se fait plus guère entendre. Et l’on peut profiter au calme des 150 œuvres exposées, en allant plaisamment de l’une à l’autre avec l’impression d’aborder presque à chaque fois, une nouvelle rive. Comme cette étrange toile de 1929 sobrement titrée « Ville (la rue) ». Ici ni primitivisme ni cubisme qui vaillent, mais de la matière allaitée si l’on veut, aux mamelles de l’irréel. Étranges sont ces bottes rouges dont émergent des têtes noires, insolites cyclopes dont on se demande où est leur tronc. Tarsila do Amaral échappe de ce fait au classement hâtif, aux colleurs d’étiquettes toujours frustrés d’une référence facile.

Son autoportrait lui aussi interpelle, une tête sans cou encadrée par deux longues boucles d’oreilles. Il nous est expliqué qu’elle s’en est servi afin d’illustrer les couvertures de presque tous les catalogues d’expositions organisées de son vivant. Une marque un peu énigmatique, peu conforme à ses autres peintures, symbolisant de fait une personnalité loin d’être simple à cerner.

PHB

« Tarsila do Amaral-Peindre le Brésil moderne » du 9 octobre 2024 au 2 février 2025, musée du Luxembourg
Photos: ©PHB
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