Il y a quelques jours à peine, on pouvait suivre en direct l’amarrage d’un vaisseau russe à la Station spatiale internationale, à quelque 400 kilomètres au-dessus de nos têtes. Sur le fil de X (ex-réseau Twitter), à quelques secondes du docking, tandis que Progress s’avançait dans les tout derniers mètres, on pouvait constater que moins de 52.000 personnes suivaient l’événement. Le monde était trop occupé à autre chose pour ce qui est perçu désormais comme de la routine spatiale. Quand bien même l’opération se réalisait sous contrôle à la fois russe et américain, gravement fâchés au sol. Cela fait immanquablement penser à ce poème bien connu d’Alfred de Musset intitulé « Une soirée perdue » et qui disait: « J’étais seul, l’autre soir, au Théâtre Français/Ou presque seul; l’auteur n’avait pas grand succès/Ce n’était que Molière, et nous savons de reste/Que ce grand maladroit, qui fit un jour Alceste/Ignora le bel art de chatouiller l’esprit/Et de servir à point un dénouement bien cuit. » Les gens sont bien trop occupés aux mille tâches de ce nouveau siècle avec des choses nouvelles comme distribuer des « likes » et produire des histoires personnelles sur Instagram, afin de gaver leurs followers toujours en carence de signes d’amour.
Ce n’était donc là qu’un amarrage de vaisseau de ravitaillement, finalement à peine plus exceptionnel qu’une livraison de pizzas à vélo. Du moins si l’on en juge par cette audience famélique et comparativement à celle des premiers pas de l’homme sur la Lune. Pourtant la NASA se défonce littéralement pour nous abreuver en déconcertantes nouvelles extra-terrestres, au jour le jour et même heure par heure, sans doute aussi pour justifier ses défenses pharamineuses.
Mais pour ceux qui rêvent, pour ceux qui voient dans la « Sonate au clair de lune » de Beethoven, une invitation au voyage interstellaire dans un espace entièrement défiscalisé, sans lois, sans règlements intérieurs, sans injonctions morales, les petits films de l’agence spatiale américaine nous offrent en lieu et place de la promenade du dimanche après-midi, une sortie extra-véhiculaire où l’on peut -ou pas- écouter Beethoven en glissant sans limites sous la voûte étoilée.
Sans doute consciente que les paysages martiens divulgués tous les jours peuvent lasser à la longue, l’agence s’efforce bravement de varier la programmation via un autre compte (toujours sur le réseau X), en donnant des nouvelles de Voyager 2, sonde lancé dans l’espace en 1977 et qui file toujours à près de vingt milliards de kilomètres d’ici. Récemment on a pu voir une jolie photo d’Uranus, prise en 1986 (!) et profiter de la sensuelle couleur aigue-marine de son enveloppe dont le seul inconvénient est que l’on ne discerne pas ce qui peut se passer en dessous, au contraire de ses lunes aux surfaces bien étranges.
Une autre photographie bien émouvante également, avait été prise le jour de la Saint-Valentin, en 1990, par Voyager 1. À 3,7 milliards de kilomètres de chez nous, la sonde s’était retournée juste un instant pour capturer une ultime image de la Terre, laquelle n’était plus qu’un tout petit point jaune au milieu d’un océan d’encre.
Cependant, tous les exploits ne sont pas américains. En 1982 une sonde soviétique en forme de bonbonne blindée, s’était posée sur Vénus, ayant largué juste avant des caméras auxquelles on doit une photo de l’atterrissage et une incroyable photo au sol. Compte tenu de la température infernale, les instruments n’ont fonctionné que 123 minutes, ce qu’il fallait de temps néanmoins pour transmettre les données à l’orbiteur. Qui emmagasina les prises de vues. Le sol vénusien ressemblait à une crème (trop) brûlée, mais voir tout ce caramel astral vaut bien désormais une recherche d’images sur Google.
Pour en revenir à cet amarrage spatial de cette fin du mois de novembre, c’est sa banalité qui finalement fascine. À travers l’écran de contrôle et ses lettres en cyrillique, en entendant le contrôleur à terre parlant russe au côté d’un homologue américain avec la voix de John Wayne, l’on se dit que de là-haut, il est sain que les querelles entre pays restent en bas. Les alpinistes connaissent bien ce phénomène: une fois atteint le sommet convoité, une envie de ne plus redescendre se fait ressentir. Un fol besoin de rester comme des vacanciers, dont l’idée serait de ne plus revenir pour une fois, et de rester à l’aise dans la caravane familiale laquelle vaut bien un orbiteur. Bienheureuses les sondes Pioneer et Voyager, elles ont pris de leur côté un aller simple, sans connaître le nom du terminus. Mais qui sait, avec l’effet surprise des rebonds gravitationnels, nous les reverrons peut-être un jour.
PHB