Retenue en Italie par son agenda politique et mondain, Margherita Sarfatti, avait décalé sa venue à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels. C’était il y a cent ans précisément du côté des Invalides, du 28 avril au mois de novembre 1925. L’égérie de Mussolini (chef d’État italien, funeste inventeur du fascisme et du totalitarisme) vint en effet plus tard inaugurer le pavillon italien signé Armando Brasini. Arc de triomphe fermé, n’accueillant au mieux que des silences polis et des attitudes goguenardes des commentateurs, comme le racontait très bien Françoise Liffran, dans sa captivante biographie de Margherita, sortie en 2009 au Seuil. Et cette grande dame d’Italie (1880-1961), fut déçue par l’accueil de cette France radicale socialiste qui vit dans le pavillon italien « un cénotaphe à la mémoire des libertés écrasées ». Pourtant cette femme issue de l’aristocratie juive, avait pris un bon départ dans la mouvance socialiste, de même que Mussolini, lequel aurait préféré mourir, dit-il un jour, que de renier cet idéal. Ni l’une ni l’un n’en seraient dans leur vie, à reniement près.
Le parcours de Margherita Sarfatti est passionnant à lire. Il permet de comprendre comment, une femme éprise d’art et de poésie, va progressivement glisser du socialisme aux idées fascistes, promouvant au passage l’art, l’architecture, la littérature et la poésie du genre. Comment encore, soif de pouvoir aidant, elle va faire bifurquer la presse vers l’antiparlementarisme militant, et soutenir de très près un régime qui voyait dans la liberté un frein à inactiver dans toute la mesure du possible. Et pour finir l’abandon de sa religion, lorsque Mussolini épousa les idées de l’Allemagne nazie, avec la promulgation dans la péninsule, des lois raciales de 1938.
Peu avant la guerre de 14, cette journaliste qui se piquait d’art, rédigeait des critiques en ce sens dans les journaux où elle avait plume ouverte. Elle défendait entre autres choses des idées féministes, dans la foulée des suffragettes qui se battaient en Angleterre pour le droit de vote des femmes. Françoise Liffran détaille son premier périple à Paris en 1910 où son regard avait affronté les premières expériences cubistes, se rendant notamment chez Kahnweiler, voir des toiles de Picasso. Elle s’était intéressée à lui et à Braque, discernant « la force qui se dégageait » des « polyèdres fragmentés, l’ampleur et la densité des volumes démultipliés dans l’espace ». À son retour dans la capitale française trois ans plus tard, elle commença à se défier de l’abstraction qui devenait à juste titre, comme le résume Françoise Liffran, « le champ libre de l’art pour l’art, sans autre sujet et finalité que lui-même ».
Margherita Sarfatti était semble-t-il, bien plus à l’aise avec l’art claironnant des futuristes italiens, Marinetti en tête, avec son manifeste publié dans le Figaro, dont il avait acheté trois colonnes à la une. La représentation militaire, mécanique, industrielle, toutes ces choses et tous ces regards fixés droit devant, étaient bien davantage compatibles avec une dictature qu’allait subir durant vingt deux ans, la population italienne. Dans ce pavillon aux couleurs nationales, bouffi par le mauvais goût, à l’occasion de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels, figurait d’ailleurs (ci-dessus) une tête sculptée de Mussolini, démarche invraisemblable qui en disait long sur la soumission des artistes à l’idéal fasciste. On peut voir les images du « savoir-faire » italien dans le catalogue (1) édité pour l’occasion, disponible sur le site de Gallica. Le nom de Margherita Sarfatti y figure au générique parmi d’autres, mais c’est bien elle la chef, la femme du chef, avec ses moyens financiers considérables, ses accès à la presse, son réseau savamment tissé au fil des années et son entregent autoritaire.
À son passage, à celui des futuristes à Paris, les artistes et écrivains français, Apollinaire en tête, avaient flairé l’embrouille, relevant dans les mots et les images, des marqueurs plus ou moins louches. Et ils avaient eu bougrement raison ne sachant pas encore, pourtant, les tourments catastrophiques qu’allait endurer la France sous le joug nazi.
L’ambition, l’amour (très) libre, le goût de l’argent et de la puissance, tous ces éléments furent à l’origine d’une drôle de mayonnaise ayant envahi le cerveau de celle qui, encore une fois, démarra dans le socialisme. Et qui dut sans trop broncher, encaisser l’assassinat du député PSI Giacomo Matteotti en 1924 par les squadristi fascistes. Au bout d’un moment, il n’y a plus qu’à croire à ce que l’on fait et évacuer toute tentative de discernement. Même lorsque Mussolini est exécuté en 1945 avec sa maîtresse et que leurs corps sont exhibés depuis une poutrelle, pendus par les pieds.
Elle avait rejeté le rapprochement avec Hitler et dut connaître l’exil avec des moyens qui restaient enviables. Pour autant, ainsi que le mentionne Françoise Liffran, lorsque madame Sarfatti publia ses mémoires en 1955, elle ne mentionna pas la disparition de sa sœur et de son mari dans les « fournaises » de Buchenwald. À sa façon, mais dans le genre abject, elle savait aussi pratiquer l’abstraction.
PHB
Cet article m’a conduite à revenir sur les transformations architecturales de Paris.
J’ai lu ainsi « Le ballon de rouge est devenu hors de prix » (Publié le 6 mars 2019 par Philippe Bonnet) (il n’y a pas si longtemps que je suis abonnée)
qui n’a pas manqué d’évoquer les émigrants d’Apollinaire:
« Une famille transporte un édredon rouge comme vous transportez votre cœur
Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels » Zone
La prochaine fois parlez-nous plutôt de Melnikov.
Cordialement
Chère madame, bienvenu sur le site. Comme vous avez l’air de bien connaître Constantin Melnikov, n’hésitez pas à proposer un article à Philippe Bonnet. A bientôt de vous lire.
Bonne journée