Résurrection anglaise

Succédant à Robert Laffont comme éditeur de Graham Greene, les éditions Flammarion ont entrepris la résurrection des plus importants de sa trentaine de romans dans une nouvelle édition. L’éditeur fait grand cas du nouveau traducteur, alias Claro, présenté sur le revers de couverture comme « l’époux de la réalisatrice Marion Laine. Il est par ailleurs l’auteur d’une trentaine de livres (fiction, essai, poésie), traducteur de l’anglais et dirige les éditions Inculte ». Après « Deux Hommes en un » et en attendant  « Le Troisième homme », vient de sortir « Le Ministère de la Peur », suivi d’une intéressante postface signée Claro sur laquelle nous reviendrons. Poète, écrivain, journaliste, critique, envoyé spécial, grand voyageur, scénariste, espion, Graham Greene est né en octobre 1904 dans le comté de Hertfordshire au nord de Londres, et mort et enterré à Vevey dans le canton de Vaud en avril 1991. Il publie « The Ministry of Fear » en 1943, après « Brighton Rock » en 1938 (« Le Rocher de Brighton » 1947), « The Power and the Glory » 1940 (« La Puissance et la Gloire » 1948), et avant « The End of the Affair »1951 (« Fin d’une liaison »»1952), « The Quiet American » 1955 (« Un Américain bien tranquille »1956), « Our Man in Havana » 1958 (« Notre homme à la Havane » 1959), et bien d’autres. Quantité de ses titres seront adaptés au cinéma.

« Le Ministère de la Peur » (« Espions sur la Tamise » tourné par Fritz Lang en 1944) lui est inspiré par son expérience du Blitz londonien d’avril 1941, alors qu’il a été recruté pour le M16 (Service de renseignements extérieurs) par sa sœur cadette Elizabeth et se rend en Sierra Leone, supervisé par Kim Philby (le fameux agent double). Même s’il qualifiait ses « thrillers » de « divertissements », tous ses livres mêlent mystère et philosophie, sans oublier l’obsession religieuse depuis sa conversion au catholicisme en 1926 afin d’épouser une jeune femme.

L’histoire s’ouvre par le «Livre un, L’homme malheureux, Chapitre 1 « Les mères libres ». Chaque mot a son importance, mais nous le comprendrons plus tard, au fur et à mesure. En plein Blitz londonien, un homme nommé Arthur Rowe s’enchante de tomber sur une kermesse: « La kermesse était une promesse d’innocence, étroitement liée à l’enfance, comme les jardins du presbytère, les filles en robe d’été blanches, le parfum des massifs et le sentiment de sécurité ». Un thème qui reviendra souvent, celui de la nostalgie de l’enfance et de la sécurité chez le héros qui nous est présenté comme « un homme grand, mince et voûté aux cheveux noirs déjà grisonnants (…) on l’aurait pris pour une célibataire s’il n’avait eu l’air indéfinissable d’un homme marié… « . Belle formule intrigante, mais là encore la vérité nous sera distillée lentement, très lentement.

« Arthur Rowe s’avança gaiment dans l’adolescence, dans l’enfance », et tombe sur un auvent abritant un stand où il faut deviner le poids d’un superbe gâteau confectionné avec plusieurs rations de beurre. Il donne un chiffre, ne gagne pas, continue ses déambulations, arrive jusqu’à la baraque d’une diseuse de bonne aventure, « la merveilleuse Mrs. Bellairs », lui dit-on, qui lui dicte le poids du gâteau. Lorsqu’il va retirer la pâtisserie muni de ce sésame, un étrange silence tombe sur le stand. On veut lui reprendre le gâteau. Il s’obstine, et repart avec son lot. En passant, il remarque une affiche sur les grilles « Comité d’aide aux Mères des Nations Libres. Une kermesse aura lieu… « . Nous allons beaucoup entendre parler de ces Mères Libres dans la suite du roman. Dès le lendemain, un curieux petit bonhomme emménage chez Rowe au deuxième étage, les épaules déformées par la polio. Il tient des propos étranges, drogue le thé de son hôte, et se jette sur le gâteau quand une bombe anéantit les lieux.

À partir de là, nous allons de révélation en révélation avec Arthur Rowe, dans un climat
permanent de terreur et de destruction qui donne son titre au livre. Enquêtes, bureau des Mères Libres, mystérieuse séance de spiritisme, nouvelle bombe qui rend Arthur amnésique et fait son bonheur (« Livre deux, L’homme heureux »), personnages louches, amour avec une Mère libre, meurtre par empathie, tout s’emmêle et s’embrouille. S’agirait-il d’un long cauchemar, tout simplement ? Ou plutôt d’une farce macabre ? Car Graham Greene, conteur virtuose, s’amuse visiblement avec le lecteur à jouer des codes de l’espionnage et du polar par une accumulation d’absurdités très réjouissantes quand on les prend au second degré.

D’autant plus que la nouvelle traduction de Claro a débarrassé le texte des scories de l’ancienne traductrice Marcelle Sibon, ayant trusté pendant des décennies les livres de l’auteur. Le nouveau traducteur nous donne deux exemples très convaincants de traduction comparée, expliquant qu’il a choisi de privilégier la prosodie du texte. N’est-ce pas ce qui compte avant tout chez un grand auteur, la prosodie de son style ?

Lise Bloch-Morhange

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3 réponses à Résurrection anglaise

  1. catherine Chini Germain dit :

    J’ai regardé dans ma bibliothèque si j’avais des livres écrits par Graham Greene: aucun.
    La lecture de ton article m’en donne bien sur et comme toujours envie.
    Merci , Lise,

  2. gege dit :

    envie de lire!!!!!!

  3. Gressé dit :

    Toujours aussi percutante Lise. Merci pour toutes ces étapes culturelles. Bravo

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