Homo ludens

Le lancer de nain est une activité « épatante ». Plus facile que le lancer de gros. Cette attraction est apparue en Australie, pays ou les mœurs sont rudes, mais où chacun a sa chance. En 1986, un championnat du monde a attiré les foules. Le vainqueur fut l’équipe britannique Team England, de Londres. On s’y livre, généralement, dans les boîtes de nuit, pour la distraction des noctambules. La règle s’énonce simplement: soit un volontaire nain, caparaçonné comme au football américain, muni de sangles latérales facilitant la prise. On le saisit à deux mains, pour le jeter le plus loin possible, sur d’épais matelas de mousse. Le gagnant a droit à l’estime de ses camarades, au regard brillant de sa compagne, à la tournée du patron, voire à l’une de ces babioles d’étagère faisant la fierté des compétiteurs sportifs. Le nain, quant à lui, touche un cachet. Il peut ainsi se nourrir. Pas trop, car il grandirait et perdrait son gagne-pain.

Objectivement, le lancer de nain ne présente que des risques négligeables. Moins que le métier de jockey. On ne le pratique pas sur plaque de béton vibré, tessons de bouteille ou pointes métalliques. Depuis que l’être humain a inventé la masse d’armes, il a vécu des activités plus dangereuses. On reste loin du lâcher de chrétiens dans l’arène ou du jet de lance-flammes sur population mobile. Il s’agit d’un sport édulcoré, civilisé, à la hauteur de Fort Boyard. Mais allez donc savoir pourquoi ? À l’annonce d’un lancer de nain dans une discothèque de sa ville, le 25 octobre 1991, le maire (PCF) de Morsang sur Orge y fit obstacle. Il se basait sur l’article L131-2 du code des communes, lui donnant mission « d’assurer le bon ordre, la sureté, la sécurité et la salubrité publique« , toutes considérations que ce spectacle ne mettait nullement en cause. Monsieur Manuel Wackenheim et Fun Production, sa gérante, déposèrent un recours pour excès de pouvoir, arguant d’une atteinte caractérisée aux libertés du travail, du commerce et de l’industrie. Le nain volant souligna qu’il trouvait là un revenu, ainsi que la dignité d’une reconnaissance professionnelle.

Le tribunal administratif de Versailles leur donna raison, annulant l’arrêté du maire. Bien que le lancer de nain « puisse heurter la moralité », il ne pouvait être interdit, « en l’absence de circonstances particulières ». (1) Car, à vrai dire, à Morsang-sur-Orge, à l’exception du maire, tout le monde s’en tapait, de ce lancer de nain. Au reste, il s’effectuait dans un lieu privé, entre adultes consentants. La commune était, parallèlement, condamnée à réparer le préjudice subi, soient 10.000 francs bien comptés. Elle interjeta appel devant le Conseil d’État, qui infirma cette décision. En dépit de l’évident accord du principal intéressé à participer à la prestation, la Haute juridiction instaurait le respect de la dignité humaine comme « une composante de l’ordre public ». Le pouvoir de police du maire lui permettait, par conséquent, même en l’absence de circonstances locales, d’interdire une attraction y portant atteinte, avec une belle marge d’appréciation. La dignité humaine, un principe que l’on doit respecter, y compris aux dépens de sa dignité personnelle. Il n’était toutefois pas question de s’avancer trop avant dans le concept de moralité publique.

Cette décision administrative s’avère infiniment regrettable. Déjà une Fédération nationale des lanceurs de nains était en voie de constitution, des publicitaires s’apprêtaient à couvrir de logos chatoyants la combinaison des gnomes. Peut-être pouvait- on envisager une nouvelle discipline olympique ?

Depuis, saisi d’une loi relative au respect du corps humain, le Conseil constitutionnel a considéré que « la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle » (27 juillet 1994). La portée de cet énoncé reste cependant limité. Il ne frappe ni l’élection de Miss France, ni le concours du plus gros mangeur de boudin, ni les combats de boxe. Et dans l’ordre des jeux à la con, vient d’apparaitre le MMA (2)

Jean-Paul Demarez

(1) Arrêt société les films Lutétia CE 18 décembre 1959. À l’annonce de la projection du film « Le feu dans la peau », des associations cultuelles, le jugeant immoral, annoncèrent leur intention d’y faire obstacle par des manifestations Le maire de Nice, en dépit de l’autorisation nationale de l’œuvre, l’a alors interdite, ce que le Conseil d’État justifia par « des circonstances locales ».
(2) Le Mixed Martial Arts (ou MMA), autrement dit Ultimate Fighting Championship (UFC) est un sport de combat  « tridimensionnel », associant judo, boxe et karaté pour former une discipline autonome. Il inclut coups de pieds, lutte, soumission, frappes au sol. En dépit de sa violence, légalisé en France en 2020, il « suscite une passion croissante dans tous les milieux sociaux ». Malgré des prix élevés, les billets s’arrachent. Il se pratique dans une cage, à la manière de certains jeux de l’Antiquité.

 

Illustration d’ouverture: Nain par Vélasquez. Source: ©Gallica
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3 réponses à Homo ludens

  1. Jacques PAILLARD dit :

    En effet cela ne date pas d’hier, le genre humain ayant depuis toujours aimé les jeux à la con ! « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Luc 23-34)

  2. Philippe PERSON dit :

    Sur la chaîne 21, le samedi soir, on peut voir des combats de MMA. Regardez au moins une séance et vous pourrez juger… Et le mot « con » ne vous viendra plus en tête…
    C’est comme la corrida, on aime ou on n’aime pas… D’ailleurs, le catalan Albert Serra, peut-être le plus grand cinéaste actuel, a tourné récemment un film sur un toréro péruvien, le meilleur toréro du moment, qui rebat les cartes sur la corrida : » Tardes de soledad ». Une merveille…
    Moi, le seul jeu à la « con » que je ne supporte pas c’est la guerre. Gaza et l’Ukraine, par exemple, on y tue aussi les nains…

  3. Dupuis Bernard dit :

    Que faire de nos soirées après cette interdiction ?Il nous faut lancer un nouveau divertissement.Que penser du lancer de moraliste ?Il n’est pas victime d’une malfaçon génétique ;il a choisi librement son statut.Il est vrai que l’habituelle pesanteur de ses sermons le rend impropre à s’élever même propulsé par de puissants athlètes.

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