Lorsque l’on accédait au sein gauche par l’intérieur, apparaissait un toboggan. Tandis qu’au sein du sein droit, se trouvait comme de juste, un milk-bar. Cet aménagement déconcertant, à hauteur d’homme et plus encore d’enfant, n’était qu’un des aspects de « Elle la cathédrale », la femme exposée en 1966 au Moderna Museet de Stockholm. Cette « nana » géante, avec tout son conditionnement, toutes ses couleurs, constituait l’œuvre commune d’un trio composé de l’Américaine Niki de Saint Phalle (1930-2002), le Suisse Jean Tinguely (1925-1991) et un conservateur (et artiste) de musée hors norme, le Suédois Pontus Hulten (1924-2006). Il y avait une longue file d’attente pour la visite dont la singularité susceptible d’être choquante, était d’entrer et de sortir par le vagin. Alors qu’une exposition sur le sujet se tient jusqu’au 4 janvier au Centre Pompidou, lieu hébergé au Grand Palais pour cause de rénovation du premier, la chaîne Arte a eu la bonne idée de programmer un documentaire autour de la fine équipe, mais la diffusion n’ira pas plus loin que le 19 septembre. Il vaut donc mieux le voir avant l’expo, surtout si l’on n’est pas un familier de Niki et de ses compagnons. Un aperçu (1) vidéo permet aussi de se faire une bonne idée de l’exposition.
En 1966, Pontus Hulten est un déjà un directeur de musée innovant, à la recherche de concepts susceptibles d’attirer le grand public. Le documentaire signé Sabine Jainski et Thorsten Ernst, nous met tout de suite à l’aise, tellement ce qui va nous être montré bouillonne de liberté et de créativité. On voit le duo débarquer à Stockholm (depuis une belle berline de type Sedan), afin qu’ils y inventent quelque chose. Avec une implication si forte de Pontus Hulten, que le binôme devient instantanément trinôme. Dans ce making-off réjouissant, on assiste à des réunions où le champagne (d’après la forme des bouteilles) semble servir de carburant. Mais la voix off nous explique qu’en dépit des libations, les deux artistes importés sèchent. Et finalement, c’est Pontus qui a la bonne idée: transformer une des « Nanas » de Saint Phalle en géante enceinte, avec son sexe en guise d’entrée de service. En 1966 il fallait le faire, même si la Suède sur le plan des mœurs était en avance sur son siècle.
Outre les seins évoqués plus haut, « Hon » (« elle » en suédois), l’ensemble abritait des sculptures cinétiques de Jean Tinguely, un distributeur de billets de tombola ou encore une galerie de vrais faux tableaux où s’inscrivait avec à propos, le mot « fake ». La cathédrale, comme elle fut appelée, celle que Niki de Saint Phalle voyait aussi comme une déesse, fit venir 80.000 visiteurs en trois mois. Elle avait été signée par les trois artistes et fut détruite trois mois plus tard par les mêmes ainsi qu’il avait été convenu afin d’agir contre le commerce de l’art.
Il semble que beaucoup de ceux qui y pénétrèrent, vécurent la sortie comme une renaissance ce qui assez logique, mais ce n’était pas vendu d’avance. Le concept avait donc fonctionné, notamment grâce à Pontus Hulten qui eut l’instinct de réunir Tinguely et Niki de Saint Phalle, puis l’idée de génie qui s’illumina telle une ampoule de Géo Trouvetout, suscitant l’enthousiasme des deux premiers. Des photos les montrent tous les trois en train d’assembler « Hon ». Le directeur mettait ainsi la main à la pâte au propre comme au figuré. Dans le ciel les planètes étaient, comme on dit de nos jours à propos d’un peu tout, parfaitement alignées.
On nous rappelle qu’à Milly la Forêt près de Fontainebleau, dans le genre visitable, se trouve un cyclope de vingt deux mètres de haut conçu dans le même esprit que « Hon » par Tinguely, après un chantier démarré en 1969 et achevé dix ans plus tard. L’œuvre dont la restauration (débutée en 2021) est aujourd’hui achevée, comporte aussi un « Hommage aux déportés » signé Eva Aeppli en forme d’un wagon de chemin de fer en suspension. Le message est évidemment plus grave qu’à Stockholm en 1966. Mais Tinguely et Saint Phalle avaient des messages à faire passer, la seconde cultivant entre autres choses le féminisme, et dénonçant tout aussi bien la guerre via des réalisations en ce sens.
Ce pourquoi ce documentaire comme cette exposition nous éveille alors que l’on était persuadé de ne pas dormir.
PHB
Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely et Pontus Hulten « Art, amour et amitiés ». Documentaire de Sabine Jainski et Thorsten Ernst, jusqu’au 19 septembre sur Arte
Découvrir l’exposition (vidéo de douze minutes)
Photo: Niki de Saint Phalle, photo de la « Hon » repeinte, 1979. Photo © Niki Charitable Art Foundation. Tous droits réservés/Katrin Baumann © Hans Hammarskiöld/ Hans Hammarskiöld Heritage
Ah, les fameux « messages à faire passer’ !!!
Messages ou couleuvres, au fait ?
Merci Philippe, pour cette rentrée tu nous as gâtés !